Alors que le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique sera étudié par le Sénat dans les prochaines semaines, le Haut conseil à l'égalité s'invite dans les débats en proposant plusieurs amendements pour renforcer les compétences de PHAROS et de l'Arcom afin de protéger les victimes de l'industrie pornographique.
« On ne peut plus tolérer qu’en 2023, alors que les droits des femmes constituent pour la seconde fois la grande cause du quinquennat, l’industrie pornographique prospère sur la haine et la violence contre les femmes, dans l’indifférence générale et l’impunité la plus totale. » Dans un document diffusé lundi 5 juin sur son site et dit « de vigilance », le Haut conseil à l'égalité (HCE) « appelle à compléter le projet de loi de régulation du numérique » en émettant une série de propositions transposables en amendements pour protéger les femmes.
Débattu avant l'été au Sénat, le projet de loi porté par le ministre de la Transition numérique Jean-Noël Barrot contient à la fois des mesures pour lutter contre les médias de propagande, les arnaques en ligne , le cyberharcèlement, la pédopornographie ou encore l'accès des mineur·es aux sites porno. Si le HCE se félicite « que le texte présenté par le ministre Jean-Noël Barrot contienne des mesures pour la protection des mineur·es avec les compétences augmentées de l’Arcom pour rendre effectif le contrôle d’âge pour les sites pornographiques, ou des mesures contre la pédocriminalité avec un délai maximum de 24h pour le retrait de contenus pédopornographiques », il regrette qu'aucune disposition ne soit « consacrée à celles qui sont les plus grandes victimes du système pornographique : les femmes et les filles ».
"Humiliées, violentées, torturées"
L'instance indépendante dont le rôle est d'évaluer les politiques publiques en matière de lutte contre le sexisme le martèle : de récentes affaires dans le milieu du porno (French bukkake, Jacquie et Michel) ont montré que les femmes y sont « humiliées, violentées, torturées, subissant des traitements contraires à la fois à la dignité humaine, et… à la loi française ». Et de citer le rapport sénatorial « L’enfer du décor » paru en septembre 2022, dans lequel la procureure de Paris Laure Beccuau a indiqué lors de son audition « que 90 % des contenus des vidéos pornographiques relevaient du code pénal, car incluant des actes de violences physiques ou sexuelles ».
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Pour lutter contre « la diffusion et l’hébergement des vidéos criminelles présentant, de manière non simulée, des actes de torture et de barbarie, des traitements inhumains et dégradants ou des viols », le HCE propose que le projet de loi soit renforcé en rendant ces contenus « illicites » et en sanctionnant financièrement les diffuseurs et les hébergeurs de ces vidéos. « Jusqu’à 6% du chiffre d’affaire », exige le HCE.
Retirer les vidéos de viol et de revenge porn
L'instance préconise également d'étendre les pouvoirs du gendarme du numérique, la plateforme PHAROS, en matière de « retrait, blocage et déréférencement » des contenus terroristes et pédopornographiques aux contenus « présentant des actes de torture et de barbarie, des traitements inhumains et dégradants, et des viols ». Pour compléter ce dispositif, le HCE invite le législateur à doter de nouvelles compétences l'instance de régulation de l'audiovisuel et du numérique, l'Arcom : « Suite à des signalements effectués par PHAROS qui seraient restés sans suite, l’Arcom peut être saisie afin de contrôler également la conformité des refus de blocages et ordonner à PHAROS le retrait, le blocage, ou le déréférencement », propose le HCE.
En ce qui concerne les cas de revenge porn, le HCE voudrait que la nouvelle loi sur le numérique assure « un droit de retrait effectif de tout contenu à caractère sexuel par la personne filmée ou photographiée, à tout moment, et sans justification » sous 48 heures, sous peine de sanctions financières. « Les victimes ne doivent plus subir l’impact traumatique d’une diffusion de contenus à caractère sexuel et obtenir un retrait rapide, même s’il y a pu avoir un “accord” donné préalablement », insiste le HCE.
Enfin, l'instance estime que le projet de loi du gouvernement ne va pas assez loin en matière de lutte contre la pédopornographie et demande la suppression d'une phrase controversée dans un article de loi. Il s'agit de l'article 227–23 sur la répression de la pédopornographie, qui stipule que l'enregistrement et la diffusion de ces images sont punies « de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ». Le HCE demande la suppression de la mention « sauf s’il est établi que cette personne était âgée de dix-huit ans au jour de la fixation et de l’enregistrement de l’image », expliquant que « PHAROS tire prétexte de façon contestable de cette phrase pour refuser de retirer des contenus pédopornographiques, arguant d’une présomption de majorité » sur certaines vidéos. Pour l'heure, Jean-Noël Barrot n'a pas indiqué s'il souhaitait reprendre à son compte certaines propositions formulées par le HCE et les traduire en amendements de son projet de loi.