Isabelle Rome : « Je suis très atta­chée à la notion de spé­cia­li­sa­tion des forces de l’ordre et des acteurs judi­ciaires sur les vio­lences intrafamiliales »

Alors que les mani­fes­ta­tions Nous toutes orga­ni­sées dans toute la France ont ras­sem­blé plu­sieurs dizaines de mil­liers de per­sonnes dans le pays same­di, la ministre à l'Égalité Isabelle Rome a accor­dé un grand entre­tien à Causette sur les pre­miers mois de son man­dat et sur les grands chan­tiers de l'année à venir.

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Isabelle Rome © Ministère à l'Egalité

Notre ren­contre avec Isabelle Rome nous aura per­mis de véri­fier ce qui se dit dans les milieux fémi­nistes : la ministre délé­guée char­gée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances connaît sur le bout des doigts ses dos­siers droits des femmes, par­ti­cu­liè­re­ment en ce qui concerne la pro­tec­tion des vic­times de vio­lences. Cela tient à ses fonc­tions pré­cé­dentes, qu'il s'agisse de son par­cours de magis­trate confron­tée aux vio­lences de genre ou à son pas­sage au Haut Conseil à l'Égalité et à ses acti­vi­tés mili­tantes per­son­nelles, dans sa vie pré-ministérielle.

C'est peu dire que l'attente des fémi­nistes envers cette ministre experte est grande : same­di encore, elles étaient des dizaines de mil­liers à défi­ler dans toute la France contre les vio­lences à l'encontre des femmes, à l'appel du col­lec­tif Nous Toutes, qui réclame non plus 1 mil­liard mais désor­mais 2 mil­liards de bud­get pour lut­ter contre les vio­lences sexistes et sexuelles. On en est loin, mais Isabelle Rome a vu le bud­get de son minis­tère aug­men­ter de 7,3 mil­lions d’euros pour 2023, le por­tant à 57,7 mil­lions d’euros. Cela repré­sente 15% de bud­get sup­plé­men­taire, qu'elle a annon­cé flé­cher en prio­ri­té sur la lutte contre les vio­lences, lors d'une audi­tion devant la délé­ga­tion aux droits des femmes du Sénat le 6 octobre dernier.

Alors qu'Isabelle Rome entre­prend cette semaine un mara­thon de ren­contres et de col­loques en amont de la Journée inter­na­tio­nale pour l'élimination de la vio­lence à l'égard des femmes, le 25 novembre, la ministre nous a accor­dé un entre­tien (relu par les ser­vices du gou­ver­ne­ment) sur ses pre­miers mois au minis­tère, les grands chan­tiers à venir et sa ligne féministe.

Causette : Vous avez le large por­te­feuille de ministre délé­guée auprès de la Première ministre char­gée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances. En ce qui concerne la cause des femmes, quelles sont vos prio­ri­tés ?
Isabelle Rome :
Le Président de la République a sou­hai­té que l’égalité entre les femmes et les hommes soit la grande cause, renou­ve­lée, de ce quin­quen­nat. Ma prio­ri­té est clai­re­ment la lutte contre les vio­lences faites aux femmes. Il faut dire que je suis arri­vée au minis­tère avec mon expé­rience d'une tren­taine d'années de magis­tra­ture et de pré­si­dence de cour d'assise et je connais bien ces sujets. J'ai jugé beau­coup de fémi­ni­cides et de viols.
Par ailleurs, avant d'être appe­lée au minis­tère, j'ai été haute fonc­tion­naire à l'égalité femmes-​hommes au sein du minis­tère de la Justice. J'ai notam­ment coor­don­né l'ensemble des tra­vaux rele­vant de ce minis­tère dans le cadre du Grenelle des vio­lences conju­gales. J'étais donc très au fait de là où nous en étions et j'ai pu, dès que j'ai été nom­mée ministre, iden­ti­fier les mesures qu'on devait ren­for­cer d'une part et, d'autre part, les direc­tions qu'on n'avait pas encore tota­le­ment explorées.

"J'ai sou­vent en tête le visage de vic­times que j'ai ren­con­trées en tant que magis­trate. Le plus dur, c'est quand elles n'étaient plus là et que c'étaient les familles qui étaient là pour par­ler d'elles à la cour d'assises."

Comment articulez-​vous votre enga­ge­ment de longue date contre les vio­lences faites aux femmes et votre por­te­feuille ?
I.R. :
Sur les deux axes que sont le ren­for­ce­ment des actions déjà mises en place et le déve­lop­pe­ment de nou­veaux outils, ce qui fonde toute mon action, c'est de mettre la vic­time au centre. On ne part pas du minis­tère ou des ins­ti­tu­tions, mais de la vic­time avec à chaque fois le réflexe de se mettre à sa place. Je suis vic­time, qu'est-ce que je fais, quels sont mes besoins ? C'est vrai­ment ce qui me hante parce que c'est lié à tout mon par­cours et à toutes ces femmes que j'ai croi­sées. Quand on est vic­time de vio­lences conju­gales, je sais à quel point on peut être détruite à petit feu, à quel point aus­si on peut se sen­tir comme une ser­pillère.
Aujourd'hui encore, j'ai sou­vent en tête le visage de vic­times que j'ai ren­con­trées en tant que magis­trate. Le plus dur, c'est quand elles n'étaient plus là et que c'étaient les familles qui étaient là pour par­ler d'elles à la cour d'assises. Les pho­to­gra­phies de ces femmes sou­riantes, que les familles amènent au sein du tri­bu­nal pour hono­rer leur mémoire, je ne les oublie pas. C'est mon ancrage et c'est ce qui m'anime en tant que ministre, c'est à par­tir de ça que j'ai pu iden­ti­fier un besoin d'accompagnement des vic­times de vio­lences conju­gales qu'on n'avait pas encore vrai­ment explo­ré, un accom­pa­gne­ment social.

Vous par­lez du pack nou­veau départ, annon­cé en sep­tembre ?
I.R. :
Exactement. J'ai pro­po­sé cette notion de pack nou­veau départ à la Première ministre, qui a annon­cé en sep­tembre son expé­ri­men­ta­tion à par­tir de jan­vier sur plu­sieurs ter­ri­toires. Son enjeu est de déclen­cher un cer­tain nombre de mesures et de ser­vices d'accompagnement sur mesure sans que la vic­time de vio­lences conju­gales ait à frap­per à toutes les portes afin de lui sim­pli­fier la vie dans un moment où elle est vul­né­rable. Parmi les mesures qu'il pour­rait conte­nir, on trou­ve­rait un héber­ge­ment d'urgence, une allo­ca­tion d’urgence si elle n'a pas de reve­nu, une aide à l'insertion pro­fes­sion­nelle et éven­tuel­le­ment à la garde des enfants, ain­si qu'un accom­pa­gne­ment psy­cho­lo­gique.
Même s'il s'appelle « nou­veau départ », ce pack aura voca­tion à s'appliquer autant si la vic­time part du domi­cile que si elle reste, dans un contexte où le conjoint a fait l'objet d'une éviction. 

"Je sou­haite que ce pack inter­vienne dès qu'une mesure de pro­tec­tion est énon­cée par le juge aux affaires fami­liales ou le pro­cu­reur de la République."

À quel moment du par­cours de la vic­time inter­vien­dra ce pack ?
I.R. :
A prio­ri dès qu'une mesure de pro­tec­tion type ordon­nance de pro­tec­tion, télé­phone grave dan­ger ou bra­ce­let anti-​rapprochement est énon­cée par le juge aux affaires fami­liales ou le pro­cu­reur de la République. La mesure de pro­tec­tion a l'avantage d'acter une situa­tion dan­ge­reuse qui jus­ti­fie l'aide que pro­po­se­ra le pack. L'intérêt de l'expérimentation, c'est qu'elle per­met de construire en direct un dis­po­si­tif, on ver­ra donc s'il faut ajuster.

Au titre des chan­tiers de 2023, il y a aus­si cette mis­sion par­le­men­taire sur le trai­te­ment judi­ciaire des vio­lences intra­fa­mi­liales confiée par la pre­mière ministre à la dépu­tée Émilie Chandler (Val d'Oise, Renaissance) et à la séna­trice Dominique Vérien (Yonne, UDI). Quels en sont ses enjeux ?
I.R. :
Il s'agit d'effectuer des recom­man­da­tions pour une jus­tice encore plus réac­tive, plus per­for­mante, et qui prenne vrai­ment en compte la spé­ci­fi­ci­té de ces vio­lences. Je ne le dirai jamais assez : ces vio­lences ne sont pas des vio­lences comme les autres, en ce qu'elles s'articulent au croi­se­ment de l'intime et de la culture patriar­cale. Je suis per­son­nel­le­ment très atta­chée à la notion de spé­cia­li­sa­tion des forces de l’ordre et des acteurs judi­ciaires sur ces sujets. Lorsqu'elle a annon­cé en sep­tembre cette mis­sion par­le­men­taire, Élisabeth Borne a d'ailleurs annon­cé le dou­ble­ment des enquê­teurs spé­cia­li­sés. C'est impor­tant car si on veut bien les trai­ter, si on ne veut pas lais­ser ni la femme ni les enfants en dan­ger, il faut un apport en sciences humaines consé­quent, qui per­mette de bien connaitre les pro­ces­sus d'emprise et de contrôle coer­ci­tif. Il faut com­prendre pour­quoi « elle ne part pas » ou pour­quoi « elle revient ». Pendant long­temps, on disait « elle ne sait pas ce qu'elle veut », « elle est amou­reuse » en mini­mi­sant les méca­nismes d'emprise à l'œuvre.

Faut-​il créer des tri­bu­naux spé­cia­li­sés, sur le modèle espa­gnol, et inté­grer le contrôle coer­ci­tif au code pénal, comme au Royaume-​Uni, ain­si que le demandent cer­taines asso­cia­tions fémi­nistes ?
I.R. :
Sur les tri­bu­naux, atten­dons de voir ce que conclut la mis­sion dont l'objet est de faire le bilan du trai­te­ment judi­ciaire de ces vio­lences – son rap­port est atten­du pour mars. Cela peut aus­si pas­ser par des pôles spé­cia­li­sés au sein des tri­bu­naux ou via des magis­trats spé­cia­le­ment for­més.
En ce qui concerne le contrôle coer­ci­tif, c'est une notion inté­res­sante qu'il faut faire connaître et inté­grer dans le débat. On ver­ra si la mis­sion s'empare du sujet.

"Nous avons décu­plé l'attribution des télé­phones grave dan­ger entre 2019 et 2022"

Quel bilan pouvez-​vous tirer de vos pre­miers mois de ministre ?
I.R. :
Beaucoup de choses se sont pas­sées en presque six mois. D'abord, et cela m'importe beau­coup, nous avons tra­vaillé à la conti­nui­té des actions amor­cées au cours du pre­mier quin­quen­nat d'Emmanuel Macron, notam­ment en termes d'outils de pro­tec­tion lan­cés ou pous­sés par le Grenelle des vio­lences conju­gales. Par exemple, en 2019, il n'y avait que 300 télé­phones grave dan­ger attri­bués, contre 3 183 au 18 octobre 2022. On a donc décu­plé leur uti­li­sa­tion. Il y a à peu près 800 bra­ce­lets anti-​rapprochement actifs aujourd'hui. Ils avaient été mis en place fin 2020.
Un autre point de satis­fac­tion, c'est l'actuel taux d'acceptation des ordon­nances de pro­tec­tion dans les tri­bu­naux judi­ciaires, de l'ordre de 70%, en forte pro­gres­sion. Cela signi­fie que tout le monde s'approprie leur usage : les juges aux affaires fami­liales certes, mais aus­si les avo­cats des vic­times et les asso­cia­tions qui les accom­pagnent. Le délai de déli­vrance de ces ordon­nances a éga­le­ment été consi­dé­ra­ble­ment réduit, pas­sant en moyenne de 40 à 6 jours.
On a éga­le­ment consi­dé­ra­ble­ment aug­men­té le nombre de places d'hébergement d'urgence depuis 2017, avec une hausse de 80% de places. On est actuel­le­ment à plus de 9 300. La pre­mière ministre a annon­cé qu'il y en aurait 10 000 d'ici la fin de l'année et 11 000 d'ici fin 2023. Mon rôle, main dans la main avec le ministre de la Ville et du Logement Olivier Klein, c'est de regar­der où sont les manques pour flé­cher les nou­velles places en maillant au mieux les ter­ri­toires. Je suis par exemple par­ti­cu­liè­re­ment atten­tive au maillage des ter­ri­toires d'Outre-mer.
On a aus­si mul­ti­plié les inter­ve­nants sociaux dans les com­mis­sa­riats et les gen­dar­me­ries. Plus de 400 inter­ve­nants accom­pagnent actuel­le­ment les femmes qui portent plainte et nous le por­te­rons à 600 en 2025.
Enfin, on a aus­si fait émer­ger dans le débat public et poli­tique la notion de pré­ven­tion de la réci­dive et de prise en charge des auteurs, ce qui me semble être un axe capital.

"Il n'y a pas de pro­tec­tion des vic­times effi­cace si on ne fait pas de la pré­ven­tion de la réci­dive des auteurs et donc, si on ne traite pas la violence."

En quoi est-​ce impor­tant ?
I.R. :
Je crois qu'il y a une prise de conscience sur le fait qu'il n'y a pas de pro­tec­tion des vic­times effi­cace si on ne fait pas de la pré­ven­tion de la réci­dive des auteurs et donc, si on ne traite pas la vio­lence. Moi qui ai sou­vent trai­té des affaires de fémi­ni­cides, j'ai quand même très sou­vent vu des accu­sés pour ces faits-​là, les plus graves, qui avaient sou­vent des casiers judi­ciaires com­por­tant des condam­na­tions pour des vio­lences com­mises sur d'anciennes com­pagnes. Cela démontre l'existence d'une vio­lence intrin­sèque chez ces indi­vi­dus. Je ne fais pas de rac­cour­ci, je ne dis pas que tous les auteurs de vio­lences conju­gales ont une vio­lence intrin­sèque en eux. En revanche, chez ceux qui com­mettent l'irréparable, c'est qua­si­ment une constance de ce que j'ai pu en voir. Il est donc très impor­tant de prendre en charge ces violences.

De quelle manière ?
I.R. :
Ma pré­dé­ces­seure au minis­tère, Élisabeth Moreno, a mis en place en 2020 les Centres de prise en charge des auteurs de vio­lence [CPCA]. Il en existe trente aujourd'hui dans l’Hexagone et en Outre-​mer, cela repré­sente à peu près 12 000 per­sonnes accueillies.
Fin octobre, j'ai visi­té celui de Limoges, qui coor­donne les centres, et en ai pro­fi­té pour réunir les dif­fé­rents acteurs natio­naux afin de faire un point sur les bonnes pra­tiques, de manière à les har­mo­ni­ser, après un an d'expérience. Un pre­mier élé­ment, c'est qu'environ 90% des per­sonnes qui les fré­quentent le font en rai­son d'une déci­sion de jus­tice. Ce que je sou­hai­te­rais pro­mou­voir dans les mois qui viennent, c'est que d'autres y aillent aus­si à titre pré­ven­tif, en étant orien­tés soit par un ser­vice social soit par un avo­cat, qui se ren­drait compte d'une situa­tion d'emprise, par exemple dans le cadre d'un divorce.
Un autre outil, cette fois plus juri­dique, c'est le contrôle judi­ciaire avec pla­ce­ment pro­ba­toire [CJPP] et qui est expé­ri­men­té sur dix sites actuel­le­ment. Il consiste à pla­cer l'auteur de vio­lences sous contrôle judi­ciaire avec inter­dic­tion d'entrer en contact avec la vic­time, mais aus­si de lui impo­ser un héber­ge­ment dans un lieu déter­mi­né avec une obli­ga­tion de sui­vi strict. L'idée ici est qu'imposer un héber­ge­ment fait par­tie de la contrainte et de la mesure édu­ca­tive, même s'il pour­rait être héber­gé chez quelqu'un de sa famille ou un ami. On lui dit non parce qu'on sait que sou­vent, lorsque ces hommes sont héber­gés chez des proches, il y a un risque de com­plai­sance et un enfer­me­ment l'auteur dans son déni.

"On n'aura pas de baisse sen­sible des fémi­ni­cides si on n'a pas une édu­ca­tion à l'égalité dès le plus jeune âge."

Malgré ces mesures mises en place par le Grenelle des vio­lences conju­gales il y a trois ans, il y a tou­jours bien trop de fémi­ni­cides en France. En 2021, ils ont connu une hausse de 20% par rap­port à l'année pré­cé­dente (122 femmes vic­times). L'année 2022 n'est pas ter­mi­née et le col­lec­tif Féminicides par com­pa­gnons ou ex en a déjà recen­sé 100. Comment appréhendez-​vous ces chiffres ?
I.R. :
Évidemment, ils res­tent trop nom­breux. Cela veut dire qu'il faut conti­nuer à ren­for­cer notre lutte et explo­rer tous les pos­sibles, comme avec le pack nou­veau départ. Il faut aus­si admettre qu'il y a l'amont de ces vio­lences au sein du couple : il s'agit de la pré­ven­tion. On n'aura pas de baisse sen­sible des fémi­ni­cides si on n'a pas une édu­ca­tion à l'égalité dès le plus jeune âge. En nous nous y atte­lant, nous avons enga­gé un long pro­ces­sus de chan­ge­ment de société.

N'est-il pas com­pli­qué d'espérer une trans­for­ma­tion de la socié­té en la matière tant que la loi sur les trois séances obli­ga­toires annuelles à la vie affec­tive et sexuelle au sein des éta­blis­se­ments sco­laire ne sera pas res­pec­tée ?
I.R. :
Je suis très heu­reuse que le ministre de l'Éducation natio­nale Pap Ndiaye ait répon­du pré­sent tout de suite sur ce sujet comme le montre sa cir­cu­laire du 30 sep­tembre deman­dant aux rec­to­rats et aux chefs d'établissement le res­pect de cette loi de 2001, essen­tielle afin que chaque enfant connaisse ses droits, puisse pré­ve­nir les situa­tions à risque et ait les clés de la rela­tion à l’autre [une cir­cu­laire simi­laire avait déjà été émise par son pré­dé­ces­seur en 2018, ndlr]. Un rap­port de l'Éducation natio­nale nous a per­mis de mesu­rer la pro­gres­sion néces­saire : à l'heure actuelle, l'organisation de ces trois séances par an et par niveau n'est res­pec­tée que par 15% des éta­blis­se­ments. Pour aider les écoles, col­lèges et lycées à déployer ces séances, le minis­tère a pré­pa­ré un vade­me­cum à des­ti­na­tion des chefs d'établissement – qui doivent les ins­crire dans le pro­jet de l'établissement – et des ensei­gnants. Elles peuvent être menées par des pro­fes­seurs, par exemple ceux de sciences natu­relles ou réa­li­sées conjoin­te­ment avec des infir­mières sco­laires.
Mon minis­tère inter­vient de son côté pour com­plé­ter cette offre interne en pro­po­sant des asso­cia­tions, qui sont alors agréées par le minis­tère de l'Éducation natio­nale. J'ai déci­dé de consa­crer 1,4 mil­lion d'euros de mon bud­get sup­plé­men­taire au finan­ce­ment de la contrac­tua­li­sa­tion plu­ri­an­nuelle de ces asso­cia­tions. Elles inter­viennent en milieu sco­laire mais aus­si ailleurs, dans le cadre du Service natio­nal uni­ver­sel (SNU). Il nous faut irri­guer le plus pos­sible cette culture de l'égalité.

En ce qui concerne les vio­lences sexistes et sexuelles, nous vivons dans une socié­té où seule­ment 1% des viols abou­tissent à une condam­na­tion en France, selon les esti­ma­tions des asso­cia­tions. Cinq ans après #MeToo. Qu'en pense l'ancienne magis­trate que vous êtes ?
I.R. :
Après avoir rap­pe­lé qu'il s'agit d'une simple esti­ma­tion, cela ne peut que nous inter­pe­ler. Cela fait par­tie des sujets sur les­quels nous devons tra­vailler. Le pre­mier acte de #MeToo, qui a libé­ré la parole des femmes, s'est maté­ria­li­sé par un nombre de plaintes en nette aug­men­ta­tion [Entre 2017, début du mou­ve­ment #MeToo, et 2021 le nombre de viols ou ten­ta­tives de viols recen­sés par le minis­tère de l’intérieur a dou­blé, pas­sant de 16 900 à 34 300], même si, il est vrai, nous sommes encore loin des chiffres réels sup­po­sés. Nous devons conti­nuer à avan­cer sur cet enjeu. 

"Je serais très fière en tant que magis­trate et citoyenne que notre pays, qui est celui de la décla­ra­tion des droits de l'Homme et du citoyen, recon­naisse le droit à l'IVG comme fondamental."

À ce pro­pos, un récent article du JDD inquiète les fémi­nistes. Il explique que depuis mai 2021, une dépêche inter­mi­nis­té­rielle incite les pro­cu­reurs à clas­ser sans suite les plaintes pour les­quelles les enquêtes n'auraient pas débu­té au bout de six mois. Y a‑t-​il des plaintes pour viol qui sont ain­si pas­sées à la trappe ?
I.R. :
Je suis en contact régu­lier avec les asso­cia­tions et elles ne m'ont jamais rien remon­té de tel. Je pense qu'il s'agit-là d'un contre­sens du JDD car je connais bien cette cir­cu­laire datée du 30 mai 2021 et ce n'est cer­tai­ne­ment pas son esprit. Au contraire, il s'agit de ne pas lais­ser ces pro­cé­dures en souf­france. Son objet est « l'évaluation et la résorp­tion des stocks de pro­cé­dures dans les ser­vices et uni­tés d'enquête, sources d'incompréhension des vic­times et démo­bi­li­sa­tion des enquê­teurs ». Elle a pour but d'établir un état des lieux pour avoir connais­sance des volumes et des pro­cé­dures en cours et pro­po­ser des méthodes pour par­ve­nir à davan­tage d'efficience. L’objectif est d’améliorer la réponse judi­ciaire dans l’intérêt des vic­times et que celle-​ci soit plus adap­tée et plus rapide. Il y a pu y avoir des clas­se­ments sans suite [comme rap­por­té dans l'article du JDD] mais ce n'était pas le but.

En jan­vier, vous lan­ce­rez sous l'égide de la pre­mière ministre un plan gou­ver­ne­men­tal pour l'égalité. Quel en est son objet ?
I.R. :
Il s'agit d'un outil très inté­res­sant à mes yeux parce qu'il va réunir la plu­part des ministres et per­mettre de décli­ner une poli­tique pour les quatre ans à venir. Ce plan va se décli­ner autour de quatre axes : lutte contre les vio­lences, éga­li­té pro­fes­sion­nelle /​éman­ci­pa­tion éco­no­mique, san­té des femmes et enfin, culture de l'égalité.

Si le par­le­ment échoue à voter l'une des pro­po­si­tions de loi en cours de dis­cus­sion sur la consti­tu­tion­na­li­sa­tion de l'IVG, reprendrez-​vous le flam­beau en tant que ministre ?
I.R. :
Je sou­tiens très fer­me­ment cette consti­tu­tion­na­li­sa­tion. Il est impor­tant de ver­rouiller le droit à l'avortement en l'intégrant à la consti­tu­tion car ce qu'une loi peut faire, une autre loi peut le défaire. Je serais très fière en tant que magis­trate et citoyenne que notre pays, qui est celui de la décla­ra­tion des droits de l'Homme et du citoyen, recon­naisse ces droits exis­ten­tiels comme fondamentaux.

"Depuis tou­jours, le fémi­nisme est plu­riel ; à l’instar de tous les cou­rants poli­tiques. Je consi­dère que toutes les formes doivent exis­ter, les unes se nour­ris­sant des autres pour faire avan­cer la cause des femmes."

Le fémi­nisme est plu­riel et ses dif­fé­rents cou­rants sont régu­liè­re­ment en conflit, en ce moment notam­ment au sujet de la tran­si­den­ti­té. De quel fémi­nisme vous revendiquez-​vous ?
I.R. :
Depuis tou­jours, le fémi­nisme est plu­riel ; à l’instar de tous les cou­rants poli­tiques. Je consi­dère que toutes les formes doivent exis­ter, les unes se nour­ris­sant des autres pour faire avan­cer la cause des femmes. Pour ma part, je suis uni­ver­sa­liste, c'est toute ma culture, toute mon his­toire. Je suis née dans un pays dont la devise est liber­té, éga­li­té, fra­ter­ni­té. L'universalisme, c'est aus­si consi­dé­rer que le fémi­nisme est une des pointes avan­cées de l'humanisme. Quand on nait huma­niste – pour faire un clin d'oeil à notre chère Simone de Beauvoir – on nait fémi­niste. C'est cette vision que je porte, de ne lais­ser per­sonne sur la touche, sur le bord de la route et de por­ter les droits des femmes haut et fort, y com­pris dans les ins­tances euro­péennes et inter­na­tio­nales, je pense que la France a un rôle fort à jouer en la matière.

Comment la France peut-​elle aider concrè­te­ment les Afghanes et les Iraniennes ?
I.R. :
La France, fidèle à sa tra­di­tion, se mobi­lise aus­si bien à titre natio­nal dans le cadre de l’Union euro­péenne pour sou­te­nir ces femmes et condam­ner sans relâche les attaques contre leurs droits fon­da­men­taux. En rece­vant récem­ment quatre Iraniennes, figures du mou­ve­ment de contes­ta­tion du pays, le pré­sident s'engage à sou­te­nir leur com­bat. Personnellement je m'étais enga­gée auprès des femmes afghanes de radio Begum, avec qui je reste en contact.
Ce qui se passe actuel­le­ment en Afghanistan et en Iran nous ren­voie à la néces­si­té de se battre pour les droits des femmes de manière uni­ver­selle. Attaquer les droits des Afghanes ou des Iraniennes, c'est oppri­mer la moi­tié de l'humanité.

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