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Isabelle Lonvis-Rome © Ministère

Isabelle Lonvis-​Rome : « Je sou­haite por­ter une nou­velle stra­té­gie natio­nale de lutte contre la pros­ti­tu­tion à la rentrée »

La ministre à l'Égalité Isabelle Lonvis-Rome dresse le bilan de la loi du 13 avril 2016 pénalisant le client et instaurant un accompagnement des personnes souhaitant sortir de la prostitution. Et affiche une politique volontariste pour « booster » la loi, notamment d'ici la tenue des Jeux.

Il y a sept ans jour pour jour, la loi « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées » était promulguée. Au programme : d'une part, renverser la culpabilité, en pénalisant non plus le·la prostitué·e mais le·la client·e, d'une amende de 1 500 euros (3 750 euros en cas de récidive) ou en le contraignant à un stage de responsabilisation. D'autre part, accompagner via un budget dédié des parcours de sortie de la prostitution (PSP) encadré par des associations proposant un logement et une aide pour trouver un emploi. Le PSP accorde également un titre de séjour temporaire aux prostitué·es, 90% de celles·ceux entrant dans le dispositif étant étranger·ères selon les chiffres du ministère de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances.

C'est d'ailleurs la ministre Isabelle Lonvis-Rome qui a en février dernier organisé un comité de suivi interministériel de la loi avec l'ensemble des membres du gouvernement impliqués (Justice, Intérieur, Solidarité, Travail, Logement, Sport, Tourisme...). Enjeu : amorcer un état des lieux de ce qui fonctionne et des manques, dans la perspective du lancement d'une stratégie nationale au sujet de la prostitution en septembre. Entretien avec Isabelle Lonvis-Rome.

Causette : Quel bilan tirez-vous de la loi du 13 avril 2016 ?
Isabelle Lonvis-Rome :
Tout d'abord, je tiens à dire que je suis fière de la position de la France au sujet de la prostitution. Lorsque je suis devenue ministre, il m'est apparu très important de suivre de manière attentive l'application de cette loi qui est un texte fondateur de la politique abolitionniste de la France.
En la matière, nous partions de loin. Aujourd’hui, il est à noter qu'à part deux départements - à qui j'ai demandé de s'activer d'ici fin juin - tous ont mis en place une commission de sortie de la prostitution, instance qui permet d'accorder les parcours de sortie de la prostitution [PSP].
Question chiffres, ce sont 1247 PSP qui ont été mis en place entre avril 2016 et janvier dernier, dont 643 rien qu'en 2022. On voit donc que la mise en place de la loi monte en puissance. Le PSP est le bon outil de réinsertion puisque son taux est de 95% de réussite.

Comment se mesure ce taux de réussite ?
I.L.-R. :
Il s'agit du moment où la personne s'est stabilisée et a pu retrouver un emploi, de manière à pouvoir s'extraire du système prostitutionnel. Elle n'a plus besoin de l'allocation octroyée avec le PSP, d'un montant de 343 euros.
Ces bons résultats nous incitent à monter en puissance sur le dispositif, de façon à ce que plus de personnes en profitent.

De quel genre d'emplois parle-t-on ?
I.L.-R. : Je pourrai vous répondre lorsque j'aurai eu le retour de l'ensemble des associations partenaires de ces PSP, que je vais rencontrer dans peu de temps. J'ai souhaité les réunir pour amorcer une véritable concertation, recueillir leurs diagnostics et leurs attentes. C'est à partir de ce travail-là que je pourrai émettre des propositions lors d'une nouvelle réunion interministérielle afin de lancer une stratégie nationale de lutte contre la prostitution à la rentrée. L'enjeu n'est a priori pas de légiférer mais de booster le cadre législatif existant.

En posant la question des moyens sur la table, jugés dérisoires par les associations encadrantes lorsque Causette avait enquêté en 2019 ?
I.L.-R. : Le budget a augmenté aujourd'hui, les PSP bénéficient de 9,9 millions d'euros par an. Un tiers de cette somme, 3,4 millions d'euros exactement, provient des avoirs criminels.
Parmi les pistes d'amélioration, il y a celle d'augmenter petit à petit le montant de l'allocation, afin de créer les conditions d'affranchissement de la prostitution en attendant de trouver un travail.
Récemment, je me suis rendue dans un centre d'accueil de personnes victimes de traite. Deux d'entre elles ont pu m'expliquer comment elles étaient tombées dans la prostitution à la suite d'une mauvaise rencontre sur internet. Elles pensent se rendre à un rendez-vous galant mais se retrouvent en fait dans un appartement où elles sont violées par plusieurs hommes. Elles tombent ensuite dans une relation d'emprise, dans laquelle le fait de gagner beaucoup d'argent joue également : elles sont tentées de recommencer et début ainsi l'engrenage.

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En ce qui concerne les associations avec qui vous dialoguez, s'agit-il des associations qui sont agrées par l'État pour mener les PSP, ou s'agit-il plus globalement de l'ensemble des associations concernées par le sujet, parmi lesquelles les représentantes de celles qui se disent travailleuses du sexe ?
I.L.-R. : Ma boussole, c'est la dignité humaine et mon postulat, c'est que la prostitution n'est pas un métier mais une violence. Nous souhaitons aider toutes les victimes de cette violence, qu'elles se revendiquent ou non travailleuses du sexe. Si donc une association est dans optique de sortir les personnes de cette violence, elle sera associée aux rencontres. 

Que répondez-vous à ces associations qui ne sont pas sur une ligne abolitionniste et estiment que la loi de 2016 a encore plus précarisé (à cause de la diminution de la clientèle) et mis en danger les prostituées (parce qu'elles doivent accepter des passes avec des hommes violents) ?
I.L.-R. : Ce n’est pas la loi de 2016 qui est en cause, c’est le client et les réseaux criminels, auteurs de ces violences. C’est la banalisation de la marchandisation du corps. Sortons de l’image d’Epinal de la personne prostituée qui travaille pour son propre compte et voit son activité comme une manière de s’émanciper. Ça ne l’est jamais. La prostitution est toujours le résultat de facteurs contraignants (économiques, environnement familial…). Les clients exploitent cette vulnérabilité et cette précarité. La loi de 2016 n’a pas rendu la prostitution plus dangereuse ou plus violente, elle l’a toujours été. L’esprit et l’ambition de la loi de 2016 c’est justement de permettre aux victimes de ce système de sortir de cette spirale de violences et de précarité et de retrouver une vie digne.

Quel bilan chiffré peut-on faire sur le volet verbalisation et stages de responsabilisation des clients ? 
I.L.-R. : On est à un peu moins de 500 condamnations par an, associées à 168 stages en 2022. Il y a donc matière à renforcer ce volet répressif, et cela passe par une évolution culturelle de toute la société pour mesurer la gravité de recourir à l'exploitation sexuelle. En tant qu'ancienne magistrate, j'ai pu voir qu'en matière de violences conjugales, l'évolution de la société sur le sujet a été suivie dans les tribunaux, où il devient très rare de parler de crimes passionnels pour un féminicide. C'est le même changement de paradigme que nous devons opérer pour la prostitution.
L'une des pistes pour aboutir à plus de condamnations, c'est de développer des cyber-patrouilles de manière à « attraper » des clients sur internet. Cela fera partie de mes propositions à l'adresse du ministère de l'Intérieur.

Pour faire évoluer la perception des clients, ne faudrait-il pas systématiser les stages de responsabilisation (organisés par des associations) dès qu'une amende est émise ?
I.L.-R. : C'est une piste de travail également, d'autant que, pour avoir assisté à un stage de responsabilisation qui durait une demi-journée, j'ai pu voir des déclics se produire dans l'esprit des gens. Ce n'était pas moralisateur mais, simplement, en faisant intervenir d'anciennes victimes de la traite, on montrait ce qu'était réellement la prostitution et ses terribles conséquences humaines. C'était très évocateur et je pense que même à titre préventif, ce genre d'informations devrait un peu plus circuler, auprès des jeunes filles.

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En ce qui concerne le proxénétisme, quel est le bilan des condamnations ?  
I.L.-R. : En 2022, il y a eu 1375 condamnations pour proxénétisme et 188 pour traite des êtres humains dans le cadre d'une exploitation sexuelle - la traite est constituée lorsqu'il s'agit d'un réseau organisé, souvent avec une dimension internationale. Le proxénétisme correspond, lui, à une variété de situations, du petit ami qui force sa copine à la personne qui met à disposition un lieu où se déroulent les passes.

C'est à ce propos que vous incluez le ministère du Tourisme dans le suivi de la loi ?
I.L.-R. : En effet. Nous devons trouver des solutions pour contrer le phénomène de la prostitution qui se tient dans des locations de meublés ou dans des hôtels. L'idée est de protéger du mieux que l'on peut les victimes.
Et nous sommes aussi face à un autre enjeu d'envergure : celui des Jeux olympiques de Paris 2024. Comme lors de chaque compétition sportive internationale qui brasse beaucoup de monde, il faut empêcher que Paris devienne un immense lupanar. La France devra tenir son rang de nation qui affiche des positions fortes sur le sujet et se montrer exemplaire. Je pense que l'une des priorités sera de mener des campagnes de communication et de sensibilisation en direction des clients potentiels. 

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