Alors que l’établissement privé catholique est dans la tourmente à la suite des révélations sur la ministre de l’Éducation, Causette a recueilli deux témoignages glaçants d’anciennes élèves racisées.
Sexisme, homophobie, favoritisme… Stanislas est l’épine dans le pied d’Amélie Oudéa-Castéra depuis sa nomination. La polémique n’en finit pas d’enfler depuis qu’à la rentrée, L’Obs et Mediapart ont révélé que les trois enfants de la nouvelle ministre de l’Éducation et des Sports étaient scolarisés au collège-lycée privé catholique du 6e arrondissement de Paris. C’est ensuite le contournement de ParcourSup pour accéder aux classes préparatoires, dont aurait bénéficié le fils aîné de la ministre, qui a été dans le viseur de la presse. Puis Mediapart publiait le rapport d’une enquête ouverte au printemps 2023 faisant état de cours de catéchisme obligatoires, de plusieurs cas de discours homophobes et sexistes, y compris anti-IVG, auxquels se sont ajoutés des manquements dans l’éducation à la sexualité, dans un établissement qui propose encore des classes non-mixtes. La Mairie de Paris a depuis décidé de suspendre provisoirement son financement à l’établissement.
“Est-ce que tu as le sang rouge ?”
Reste un angle mort, rarement évoqué jusqu’ici : le racisme qui aurait été pratiqué dans cet établissement privé catholique et huppé. Emma*, trentenaire, a fait toute sa scolarité au collège-lycée Stanislas dans les années 2000. Interrogée par Causette, elle se félicite aujourd’hui de la polémique : “On tolère des choses à Stanislas que l’on ne tolérerait dans aucun autre établissement”, avance celle qui se dit “très frappée de voir que l’école est souvent décrite comme sexiste et homophobe, mais jamais raciste”. Celle-ci en a pourtant, selon ses dires, fait les frais à Stanislas. Avec des parents d’origine ivoirienne, elle confie n’avoir rencontré, au cours de sa scolarité, quasiment que des personnes blanches : “Au lycée, je ne me souviens que de deux autres personnes noires sur trois mille élèves : une goutte d’eau dans l’océan.”
Scolarisée au collège Stanislas dans des classes non mixtes, Emma dit avoir surtout été victime d’actes et de paroles racistes au lycée, où d’autres élèves l’ont parfois interpellée, “pour rire”, en parlant de “négresse” ou “d’esclave”. Elle nous a rapporté à ce sujet plusieurs anecdotes édifiantes. En terminale, un groupe d’élèves aborde la jeune fille et l’interroge : “Est-ce que tu as le sang rouge ?”. “J’ai dû leur faire un cours de bio”, commente Emma, affligée. Le corps enseignant n’aurait pas moins de préjugés : alors qu’Emma est en classe de seconde, lors d’un cours de sciences et vie de la terre sur le sujet de la mise bas des animaux, une élève interpelle l’enseignante en ces termes : “Je crois que la gestation des femmes noires dure plus que neuf mois.” La professeure aurait alors approuvé ces propos, au grand désarroi d’Emma. La même année, un professeur de français fait à voix haute le classement par notes des élèves en classe, comme il est de coutume à Stanislas : “Le premier de la classe était d’origine indienne et la deuxième, c’était moi, se souvient Emma. Le prof a dit aux autres élèves : ‘Vous n’avez pas honte que ce soit une Noire et un Indien qui sont les meilleurs en français ?’.”
Si Emma n’a pas dénoncé ces propos aux responsables pédagogiques de l’établissement, c’est, explique-t-elle, dû à la structure hiérarchique de l’école ne favorisant pas la prise de parole et à son climat délétère où elle n’avait “pas d’interlocuteur” de confiance vers qui se tourner. Les parents d’Emma ont été alertés par leur fille, mais ceux-ci considéraient, comme de nombreuses personnes racisées, que le racisme était un mal avec lequel il fallait composer et qu’il fallait “travailler deux fois plus pour montrer son excellence”. Alors que ces propos tombent sous le coup de la loi et de l’injure à caractère raciste, l’idée de porter plainte devant la justice ne l’a, à l’époque, pas effleurée.
Crachats, "casser de l'arabe"
Une autre ancienne élève aujourd’hui trentenaire, Sarah*, d’origine nord-africaine, a elle aussi fréquenté le lycée Stanislas dans les années 2000 : elle y a découvert un système d’entre-soi riche et blanc, qu’elle a pris le parti d’observer en infiltrée, comme une expérience sociologique. Le seul moyen de survivre à la violence de l’environnement, selon elle. Elle résume : “J’avais déjà vécu du racisme, mais pas de cette envergure, ni en aussi peu de temps. À cause de Stanislas, j’ai développé de l’hypervigilance.”
Dès son premier jour, elle raconte avoir découvert l’ascenseur du lycée, couvert d’autocollants à l’effigie de Jean-Marie Le Pen. Au gymnase, elle dit s’être retrouvée face au symbole (un cercle et une croix) du groupe identitaire GUD (Groupe union défense), tracé à la craie sur une hauteur de 5 mètres. “Ça ne choquait personne et moi, je tremblais, j’avais vraiment peur. J’allais souvent pleurer aux toilettes. Je me disais : “On va me tuer””. Elle subit également les remarques xénophobes d’autres élèves : “Certains garçons parlaient de moi sans me regarder en disant : ‘Y en a qui devraient rentrer chez eux, ils n’ont rien à faire là.’ D’autres crachaient après mon passage.” Parmi ses camarades (dont tous et toutes ne l’ont pas maltraitée, précise-t-elle), certain·es sont ouvertement affilié·es à la mouvance néonazie, quand d’autres ne se cachent pas de participer à des ratonnades : “Ce week-end, c’était cool, on a cassé de l’Arabe, on est parti en équipe avec des battes,” lui relate ainsi l’un d’eux.
Heurtée par des conférences organisées à l’école, où, selon elle, l’Islam est régulièrement dénigré, elle dit avoir aussi subi le mépris du corps enseignant qui la “saque” ou la catégorise parmi les mauvaises élèves, y compris lorsqu’elle a de bonnes notes. Ce serait aussi le cas, selon elle, du président de l’établissement de l’époque [ par ailleurs mis en examen pour agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans en 2021, ndlr]. “Les seules raisons de me traiter comme ça, c’était mon faciès et mon patronyme”, analyse-t-elle aujourd’hui avec le recul.
Engagée à gauche, elle détonne parmi des lycéen·nes très marqué·es à droite et à l’extrême droite : “Un jour, j’ai été séquestrée dans une salle de classe par deux camarades parce que j’étais contre la guerre en Irak, se souvient-elle. Ils m’ont expliqué pendant une heure trente comment G. W. Bush allait sauver le monde. Pour eux, être de gauche était aussi méprisable qu’être racisée.” Sarah se plaint à ses parents qui, focalisés sur l’excellence scolaire, lui conseillent d’ignorer la bêtise de ses camarades. À l’époque, elle ne songe pas non plus à porter plainte.
Si elle considère aujourd’hui avoir été un peu “protégée” par son appartenance à ce lycée d’élite où elle était parfois considérée comme “une Arabe pas comme les autres”, elle estime néanmoins avoir “banalisé et enfoui des expériences violentes” qui l’ont “conditionnée”.
L'homosexualité, une "maladie à soigner"
De son côté, Emma confirme également les accusations de sexisme contenues dans le rapport dévoilé par Mediapart : “Stan est une école de garçons, on était tolérées, précise-t-elle. On considérait que les filles étaient là pour trouver un beau parti, pas destinées à faire de longues études.” Elle raconte comment les tenues vestimentaires des adolescentes étaient scrutées et se souvient d’une amie venue court vêtue, qui aurait été forcée par le personnel pédagogique à défiler devant tous les élèves pour “montrer ses jambes”. Autre anecdote : “À la fin de la troisième, une conférence a été organisée dans l’amphithéâtre pour toutes les élèves. On nous a avertis que s’il se passait quoi que ce soit de sexuel ou amoureux avec des élèves au lycée, même une amitié trop proche, ce serait de notre faute et qu’on serait renvoyées.”
Elle certifie également les dérives homophobes de l’institution, également épinglées par Mediapart : en terminale, deux garçons de sa classe l’enferment dans une salle pour la convaincre que l’homosexualité est “une maladie qu’il faut soigner”.
Contacté par Causette, le collège-lycée Stanislas nous a indiqué que les “propos inappropriés dont la direction actuelle a pu avoir connaissance ont été systématiquement sanctionnés par des jours d’exclusion”. L’actuelle direction assure, concernant le professeur de Français évoqué dans notre enquête, "décédé en 2005", qu'elle "n’a pas connaissance des propos qu’il ait pu tenir à l’époque". Elle assure n'avoir "pas non plus connaissance de propos racistes tenus par des professeurs de SVT". En tous cas "pendant son mandat de 2015 à 2024 "
* Les prénoms ont été modifiés.
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