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© Suad Kamardeen / Unsplash

“Esclave”, “négresse” : d’anciennes élèves témoignent du racisme à Stanislas

Alors que l’établissement pri­vé catho­lique est dans la tour­mente à la suite des révé­la­tions sur la ministre de l’Éducation, Causette a recueilli deux témoi­gnages gla­çants d’anciennes élèves racisées.

Sexisme, homo­pho­bie, favo­ri­tisme… Stanislas est l’épine dans le pied d’Amélie Oudéa-​Castéra depuis sa nomi­na­tion. La polé­mique n’en finit pas d’enfler depuis qu’à la ren­trée, L’Obs et Mediapart ont révé­lé que les trois enfants de la nou­velle ministre de l’Éducation et des Sports étaient sco­la­ri­sés au collège-​lycée pri­vé catho­lique du 6e arron­dis­se­ment de Paris. C’est ensuite le contour­ne­ment de ParcourSup pour accé­der aux classes pré­pa­ra­toires, dont aurait béné­fi­cié le fils aîné de la ministre, qui a été dans le viseur de la presse. Puis Mediapart publiait le rap­port d’une enquête ouverte au prin­temps 2023 fai­sant état de cours de caté­chisme obli­ga­toires, de plu­sieurs cas de dis­cours homo­phobes et sexistes, y com­pris anti-​IVG, aux­quels se sont ajou­tés des man­que­ments dans l’éducation à la sexua­li­té, dans un éta­blis­se­ment qui pro­pose encore des classes non-​mixtes. La Mairie de Paris a depuis déci­dé de sus­pendre pro­vi­soi­re­ment son finan­ce­ment à l’établissement.

“Est-​ce que tu as le sang rouge ?”

Reste un angle mort, rare­ment évo­qué jusqu’ici : le racisme qui aurait été pra­ti­qué dans cet éta­blis­se­ment pri­vé catho­lique et hup­pé. Emma*, tren­te­naire, a fait toute sa sco­la­ri­té au collège-​lycée Stanislas dans les années 2000. Interrogée par Causette, elle se féli­cite aujourd’hui de la polé­mique : “On tolère des choses à Stanislas que l’on ne tolé­re­rait dans aucun autre éta­blis­se­ment”, avance celle qui se dit “très frap­pée de voir que l’école est sou­vent décrite comme sexiste et homo­phobe, mais jamais raciste”. Celle-​ci en a pour­tant, selon ses dires, fait les frais à Stanislas. Avec des parents d’origine ivoi­rienne, elle confie n’avoir ren­con­tré, au cours de sa sco­la­ri­té, qua­si­ment que des per­sonnes blanches : “Au lycée, je ne me sou­viens que de deux autres per­sonnes noires sur trois mille élèves : une goutte d’eau dans l’océan.”

Scolarisée au col­lège Stanislas dans des classes non mixtes, Emma dit avoir sur­tout été vic­time d’actes et de paroles racistes au lycée, où d’autres élèves l’ont par­fois inter­pel­lée, “pour rire”, en par­lant de “négresse” ou “d’esclave”. Elle nous a rap­por­té à ce sujet plu­sieurs anec­dotes édi­fiantes. En ter­mi­nale, un groupe d’élèves aborde la jeune fille et l’interroge : “Est-​ce que tu as le sang rouge ?”. “J’ai dû leur faire un cours de bio”, com­mente Emma, affli­gée. Le corps ensei­gnant n’aurait pas moins de pré­ju­gés : alors qu’Emma est en classe de seconde, lors d’un cours de sciences et vie de la terre sur le sujet de la mise bas des ani­maux, une élève inter­pelle l’enseignante en ces termes : “Je crois que la ges­ta­tion des femmes noires dure plus que neuf mois.” La pro­fes­seure aurait alors approu­vé ces pro­pos, au grand désar­roi d’Emma. La même année, un pro­fes­seur de fran­çais fait à voix haute le clas­se­ment par notes des élèves en classe, comme il est de cou­tume à Stanislas : “Le pre­mier de la classe était d’origine indienne et la deuxième, c’était moi, se sou­vient Emma. Le prof a dit aux autres élèves : ‘Vous n’avez pas honte que ce soit une Noire et un Indien qui sont les meilleurs en fran­çais ?’.”

Si Emma n’a pas dénon­cé ces pro­pos aux res­pon­sables péda­go­giques de l’établissement, c’est, explique-​t-​elle, dû à la struc­ture hié­rar­chique de l’école ne favo­ri­sant pas la prise de parole et à son cli­mat délé­tère où elle n’avait “pas d’interlocuteur” de confiance vers qui se tour­ner. Les parents d’Emma ont été aler­tés par leur fille, mais ceux-​ci consi­dé­raient, comme de nom­breuses per­sonnes raci­sées, que le racisme était un mal avec lequel il fal­lait com­po­ser et qu’il fal­lait “tra­vailler deux fois plus pour mon­trer son excel­lence”. Alors que ces pro­pos tombent sous le coup de la loi et de l’injure à carac­tère raciste, l’idée de por­ter plainte devant la jus­tice ne l’a, à l’époque, pas effleurée. 

Crachats, "cas­ser de l'arabe"

Une autre ancienne élève aujourd’hui tren­te­naire, Sarah*, d’origine nord-​africaine, a elle aus­si fré­quen­té le lycée Stanislas dans les années 2000 : elle y a décou­vert un sys­tème d’entre-soi riche et blanc, qu’elle a pris le par­ti d’observer en infil­trée, comme une expé­rience socio­lo­gique. Le seul moyen de sur­vivre à la vio­lence de l’environnement, selon elle. Elle résume : “J’avais déjà vécu du racisme, mais pas de cette enver­gure, ni en aus­si peu de temps. À cause de Stanislas, j’ai déve­lop­pé de l’hypervigilance.”

Dès son pre­mier jour, elle raconte avoir décou­vert l’ascenseur du lycée, cou­vert d’autocollants à l’effigie de Jean-​Marie Le Pen. Au gym­nase, elle dit s’être retrou­vée face au sym­bole (un cercle et une croix) du groupe iden­ti­taire GUD (Groupe union défense), tra­cé à la craie sur une hau­teur de 5 mètres. “Ça ne cho­quait per­sonne et moi, je trem­blais, j’avais vrai­ment peur. J’allais sou­vent pleu­rer aux toi­lettes. Je me disais : “On va me tuer””. Elle subit éga­le­ment les remarques xéno­phobes d’autres élèves : “Certains gar­çons par­laient de moi sans me regar­der en disant : ‘Y en a qui devraient ren­trer chez eux, ils n’ont rien à faire là.’ D’autres cra­chaient après mon pas­sage.” Parmi ses cama­rades (dont tous et toutes ne l’ont pas mal­trai­tée, précise-​t-​elle), certain·es sont ouver­te­ment affilié·es à la mou­vance néo­na­zie, quand d’autres ne se cachent pas de par­ti­ci­per à des raton­nades : “Ce week-​end, c’était cool, on a cas­sé de l’Arabe, on est par­ti en équipe avec des battes,” lui relate ain­si l’un d’eux.

Heurtée par des confé­rences orga­ni­sées à l’école, où, selon elle, l’Islam est régu­liè­re­ment déni­gré, elle dit avoir aus­si subi le mépris du corps ensei­gnant qui la “saque” ou la caté­go­rise par­mi les mau­vaises élèves, y com­pris lorsqu’elle a de bonnes notes. Ce serait aus­si le cas, selon elle, du pré­sident de l’établissement de l’époque [ par ailleurs mis en exa­men pour agres­sion sexuelle sur mineur de moins de 15 ans en 2021, ndlr]. “Les seules rai­sons de me trai­ter comme ça, c’était mon faciès et mon patro­nyme”, analyse-​t-​elle aujourd’hui avec le recul.

Engagée à gauche, elle détonne par­mi des lycéen·nes très marqué·es à droite et à l’extrême droite : “Un jour, j’ai été séques­trée dans une salle de classe par deux cama­rades parce que j’étais contre la guerre en Irak, se souvient-​elle. Ils m’ont expli­qué pen­dant une heure trente com­ment G. W. Bush allait sau­ver le monde. Pour eux, être de gauche était aus­si mépri­sable qu’être raci­sée.” Sarah se plaint à ses parents qui, foca­li­sés sur l’excellence sco­laire, lui conseillent d’ignorer la bêtise de ses cama­rades. À l’époque, elle ne songe pas non plus à por­ter plainte.

Si elle consi­dère aujourd’hui avoir été un peu “pro­té­gée” par son appar­te­nance à ce lycée d’élite où elle était par­fois consi­dé­rée comme “une Arabe pas comme les autres”, elle estime néan­moins avoir “bana­li­sé et enfoui des expé­riences vio­lentes” qui l’ont “condi­tion­née”.

L'homosexualité, une "mala­die à soigner"

De son côté, Emma confirme éga­le­ment les accu­sa­tions de sexisme conte­nues dans le rap­port dévoi­lé par Mediapart : “Stan est une école de gar­çons, on était tolé­rées, précise-​t-​elle. On consi­dé­rait que les filles étaient là pour trou­ver un beau par­ti, pas des­ti­nées à faire de longues études.” Elle raconte com­ment les tenues ves­ti­men­taires des ado­les­centes étaient scru­tées et se sou­vient d’une amie venue court vêtue, qui aurait été for­cée par le per­son­nel péda­go­gique à défi­ler devant tous les élèves pour “mon­trer ses jambes”. Autre anec­dote : “À la fin de la troi­sième, une confé­rence a été orga­ni­sée dans l’amphithéâtre pour toutes les élèves. On nous a aver­tis que s’il se pas­sait quoi que ce soit de sexuel ou amou­reux avec des élèves au lycée, même une ami­tié trop proche, ce serait de notre faute et qu’on serait ren­voyées.”

Elle cer­ti­fie éga­le­ment les dérives homo­phobes de l’institution, éga­le­ment épin­glées par Mediapart : en ter­mi­nale, deux gar­çons de sa classe l’enferment dans une salle pour la convaincre que l’homosexualité est “une mala­die qu’il faut soi­gner”.

Contacté par Causette, le collège-​lycée Stanislas nous a indi­qué que les “pro­pos inap­pro­priés dont la direc­tion actuelle a pu avoir connais­sance ont été sys­té­ma­ti­que­ment sanc­tion­nés par des jours d’exclusion”. L’actuelle direc­tion assure, concer­nant le pro­fes­seur de Français évo­qué dans notre enquête, "décé­dé en 2005", qu'elle "n’a pas connais­sance des pro­pos qu’il ait pu tenir à l’époque". Elle assure n'avoir "pas non plus connais­sance de pro­pos racistes tenus par des pro­fes­seurs de SVT". En tous cas "pen­dant son man­dat de 2015 à 2024 "

* Les pré­noms ont été modifiés. 

Lire aus­si I La polé­mique autour du lycée pri­vé Stanislas ne fai­blit pas, Paris coupe ses subventions

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