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Dans le cabinet d'urgences de sages-femmes du XVIIIè arrondissement de Paris © Barbara Gabel

En France, l'unique cabi­net d’urgence de sages-​femmes est mena­cé de fermeture

Douleurs pen­dant la gros­sesse, pro­blèmes de poids du bébé, ou encore demandes d’IVG. Chaque week-​end et jour férié, des sages-​femmes assurent une per­ma­nence de soins pour les femmes et leurs nour­ris­sons dans un cabi­net pari­sien. Près de quatre ans après son lan­ce­ment, ce pro­jet unique en France risque de ne pas per­du­rer en 2023, faute de budget.

« J’ai pani­qué, alors je suis venue tout de suite. » Survêtement vert, masque sur le nez, Mariétou s’inquiète. Endormi dans ses bras, son bébé d’un mois et demi est enrhu­mé et a les pau­pières enflées. Impossible de trou­ver un rendez-​vous pour un tel motif ce same­di après-​midi. Au lieu de pas­ser plu­sieurs heures aux urgences pédia­triques, elle s’est pré­sen­tée dans cette per­ma­nence de soins du XIIIe arron­dis­se­ment. Assurée par des sages-​femmes, elle est ouverte les week-​ends et jours fériés.

Après quelques minutes d’attente, la jeune femme de 30 ans est reçue par le sou­rire bien­veillant de Nijani, la sage-​femme de garde. « C’est clas­sique pour un nouveau-​né d’être encom­bré, sur­tout avec les chan­ge­ments de tem­pé­ra­tures », la rassure-​t-​elle, avant d’installer le petit Maodo sur la table à lan­ger, gigo­tant dans sa barboteuse.

Face à la sage-​femme, Mariétou par­tage ses craintes. « J’ai peur de pul­vé­ri­ser trop de sérum dans son nez et qu’il s’étouffe. » Nijani l’invite à revoir les bons gestes avec elle. Au-​delà de l’acte médi­cal, c’est une mis­sion sociale qui est confiée à Nijani. « On aide les parents à le deve­nir, tant qu’ils en ont besoin. »

Les gros­sesses ne s’arrêtent pas le week-end

Pendant ce temps, en salle d’attente, Bertille et son conjoint sont un peu ner­veux. La tren­te­naire, habi­tante du IIIe arron­dis­se­ment, est dans son der­nier mois de gros­sesse. Elle res­sent quelques dou­leurs et des contrac­tions depuis la veille. « On ne vou­lait pas embê­ter la mater­ni­té alors qu’on n’est pas sûrs que ce soit une grosse urgence », explique Arnaud, le futur papa. « Ce lieu est très utile… les gros­sesses ne s’arrêtent pas le week-​end ! », sou­rit Bertille, les mains sur son ventre.

En cinq heures, 14 patientes défilent dans le cabi­net pour des petites ou grosses urgences. Pas seule­ment des nou­velles ou futures mères. Certaines femmes sont là pour avor­ter, comme Jade1, 28 ans, qui patiente à l’extérieur avec son petit ami, loin des pleurs de bébés de la salle d’attente.

Il y a deux semaines, elle découvre sa gros­sesse. C’est la panique. Elle se rend chez un gyné­co­logue, mais ne se sent pas assez accom­pa­gnée. « J’ai cher­ché un rendez-​vous le plus tôt pos­sible et Doctolib m’a pro­po­sé de venir ici », expose la jeune femme qui n’arrive « à avoir aucune cli­nique ou sage-​femme au bout du fil ».

Jade a déjà vécu une IVG chi­rur­gi­cale l’année der­nière, alors que son implant contra­cep­tif ne fai­sait plus effet. « J’étais enceinte sans le savoir, il était trop tard pour l’IVG médi­ca­men­teuse », raconte celle qui aime­rait évi­ter une autre opé­ra­tion. L'IVG médi­ca­men­teuse étant pra­ti­quée jusqu'à la fin de la 7e semaine de gros­sesse, ce rendez-​vous, elle y tenait vrai­ment : « Je ne pou­vais pas attendre plus long­temps, je suis bien­tôt à ma 6e semaine. »

“Pour les femmes, pas pour les sages-femmes”

Au milieu des consul­ta­tions, Patricia Lucidarme fait irrup­tion, les bras char­gés de car­tons. Sage-​femme libé­rale, elle a por­té et porte encore le pro­jet de per­ma­nence de soins de sages-​femmes à bout de bras. Lancé en mars 2019, ce dis­po­si­tif, unique en France, et où 12 pro­fes­sion­nelles se relaient risque de dis­pa­raître dans deux mois.

Le finan­ce­ment alloué par l’ARS Île-​de-​France n’étant pré­vu que pour trois ans, « la struc­ture sur­vit aujourd’hui grâce aux ave­nants de la conven­tion, sou­vent obte­nus au der­nier moment », explique Patricia en rem­plis­sant le stock de spé­cu­lums. Sollicitée par mail, l’ARS Île-​de-​France nous indique qu’elle « doit étu­dier sur la base du rap­port d’activité 2021–22 les moda­li­tés de pour­suite du pro­jet ». Aucune péren­ni­sa­tion du dis­po­si­tif n’est actée pour l’heure.

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Pionnière dans la démarche, Patricia se bat pour obte­nir des finan­ce­ments, notam­ment auprès des com­mu­nau­tés pro­fes­sion­nelles ter­ri­to­riales de san­té, peu nom­breuses à répondre à ses sol­li­ci­ta­tions. « Parfois, je me dis que je vais lais­ser tom­ber”, avoue Patricia. « Mais très vite, je me rap­pelle que je ne le fais pas pour les sages-​femmes. Je le fais pour les femmes. »

“La der­nière roue du carrosse”

Au sein de la pro­fes­sion, le pro­jet sus­cite de l’enthousiasme. La struc­ture doit « ser­vir de modèle pour se déve­lop­per sur l’ensemble du ter­ri­toire », espère Caroline Combot, secré­taire géné­rale de l'Organisation natio­nale syn­di­cale des sages-​femmes. Dans la loi, il n’existe aucune obli­ga­tion de per­ma­nence de soins pour les sages-​femmes, seuls les méde­cins ont le devoir d’y par­ti­ci­per. Conséquence : « per­sonne ne se pré­ci­pite pour accom­pa­gner ce type de pro­jet », pour­suit Caroline Combot. « La péri­na­ta­li­té ne semble pas être une prio­ri­té pour les poli­tiques de san­té, car ça concerne les femmes. On est un peu la der­nière roue du carrosse. »

Les choses pour­raient chan­ger. Dans un amen­de­ment dépo­sé le 17 octobre au pro­jet de loi de finan­ce­ment de la sécu­ri­té sociale de 2023, le gou­ver­ne­ment sou­haite élar­gir la per­ma­nence de soins aux sages-​femmes. Une mesure qui s’inscrit dans un contexte plus large où le ministre de la Santé François Braun plaide pour un par­tage – voire une délé­ga­tion – de com­pé­tences entre méde­cins, per­son­nels médi­caux et para­mé­di­caux pour pal­lier le manque de méde­cins dans le pays.

Au cabi­net, la jour­née touche à sa fin. Jade fait par­tie des der­nières patientes. En sor­tant de la consul­ta­tion, la voi­là ras­su­rée, le sou­rire aux lèvres. Elle doit reve­nir dès demain pour la prise d’un pre­mier médi­ca­ment. « Je ne sais pas com­ment j’aurais fait si ce lieu n’était pas ouvert ce week-end ! »

Lire aus­si l Le Sénat adopte à l’unanimité le pro­jet de réforme des études de sages-femmes

  1. Le pré­nom a été modi­fié[]
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