Douleurs pendant la grossesse, problèmes de poids du bébé, ou encore demandes d’IVG. Chaque week-end et jour férié, des sages-femmes assurent une permanence de soins pour les femmes et leurs nourrissons dans un cabinet parisien. Près de quatre ans après son lancement, ce projet unique en France risque de ne pas perdurer en 2023, faute de budget.
« J’ai paniqué, alors je suis venue tout de suite. » Survêtement vert, masque sur le nez, Mariétou s’inquiète. Endormi dans ses bras, son bébé d’un mois et demi est enrhumé et a les paupières enflées. Impossible de trouver un rendez-vous pour un tel motif ce samedi après-midi. Au lieu de passer plusieurs heures aux urgences pédiatriques, elle s’est présentée dans cette permanence de soins du XIIIe arrondissement. Assurée par des sages-femmes, elle est ouverte les week-ends et jours fériés.
Après quelques minutes d’attente, la jeune femme de 30 ans est reçue par le sourire bienveillant de Nijani, la sage-femme de garde. « C’est classique pour un nouveau-né d’être encombré, surtout avec les changements de températures », la rassure-t-elle, avant d’installer le petit Maodo sur la table à langer, gigotant dans sa barboteuse.
Face à la sage-femme, Mariétou partage ses craintes. « J’ai peur de pulvériser trop de sérum dans son nez et qu’il s’étouffe. » Nijani l’invite à revoir les bons gestes avec elle. Au-delà de l’acte médical, c’est une mission sociale qui est confiée à Nijani. « On aide les parents à le devenir, tant qu’ils en ont besoin. »
Les grossesses ne s’arrêtent pas le week-end
Pendant ce temps, en salle d’attente, Bertille et son conjoint sont un peu nerveux. La trentenaire, habitante du IIIe arrondissement, est dans son dernier mois de grossesse. Elle ressent quelques douleurs et des contractions depuis la veille. « On ne voulait pas embêter la maternité alors qu’on n’est pas sûrs que ce soit une grosse urgence », explique Arnaud, le futur papa. « Ce lieu est très utile… les grossesses ne s’arrêtent pas le week-end ! », sourit Bertille, les mains sur son ventre.
En cinq heures, 14 patientes défilent dans le cabinet pour des petites ou grosses urgences. Pas seulement des nouvelles ou futures mères. Certaines femmes sont là pour avorter, comme Jade1, 28 ans, qui patiente à l’extérieur avec son petit ami, loin des pleurs de bébés de la salle d’attente.
Il y a deux semaines, elle découvre sa grossesse. C’est la panique. Elle se rend chez un gynécologue, mais ne se sent pas assez accompagnée. « J’ai cherché un rendez-vous le plus tôt possible et Doctolib m’a proposé de venir ici », expose la jeune femme qui n’arrive « à avoir aucune clinique ou sage-femme au bout du fil ».
Jade a déjà vécu une IVG chirurgicale l’année dernière, alors que son implant contraceptif ne faisait plus effet. « J’étais enceinte sans le savoir, il était trop tard pour l’IVG médicamenteuse », raconte celle qui aimerait éviter une autre opération. L'IVG médicamenteuse étant pratiquée jusqu'à la fin de la 7e semaine de grossesse, ce rendez-vous, elle y tenait vraiment : « Je ne pouvais pas attendre plus longtemps, je suis bientôt à ma 6e semaine. »
“Pour les femmes, pas pour les sages-femmes”
Au milieu des consultations, Patricia Lucidarme fait irruption, les bras chargés de cartons. Sage-femme libérale, elle a porté et porte encore le projet de permanence de soins de sages-femmes à bout de bras. Lancé en mars 2019, ce dispositif, unique en France, et où 12 professionnelles se relaient risque de disparaître dans deux mois.
Le financement alloué par l’ARS Île-de-France n’étant prévu que pour trois ans, « la structure survit aujourd’hui grâce aux avenants de la convention, souvent obtenus au dernier moment », explique Patricia en remplissant le stock de spéculums. Sollicitée par mail, l’ARS Île-de-France nous indique qu’elle « doit étudier sur la base du rapport d’activité 2021–22 les modalités de poursuite du projet ». Aucune pérennisation du dispositif n’est actée pour l’heure.
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Pionnière dans la démarche, Patricia se bat pour obtenir des financements, notamment auprès des communautés professionnelles territoriales de santé, peu nombreuses à répondre à ses sollicitations. « Parfois, je me dis que je vais laisser tomber”, avoue Patricia. « Mais très vite, je me rappelle que je ne le fais pas pour les sages-femmes. Je le fais pour les femmes. »
“La dernière roue du carrosse”
Au sein de la profession, le projet suscite de l’enthousiasme. La structure doit « servir de modèle pour se développer sur l’ensemble du territoire », espère Caroline Combot, secrétaire générale de l'Organisation nationale syndicale des sages-femmes. Dans la loi, il n’existe aucune obligation de permanence de soins pour les sages-femmes, seuls les médecins ont le devoir d’y participer. Conséquence : « personne ne se précipite pour accompagner ce type de projet », poursuit Caroline Combot. « La périnatalité ne semble pas être une priorité pour les politiques de santé, car ça concerne les femmes. On est un peu la dernière roue du carrosse. »
Les choses pourraient changer. Dans un amendement déposé le 17 octobre au projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2023, le gouvernement souhaite élargir la permanence de soins aux sages-femmes. Une mesure qui s’inscrit dans un contexte plus large où le ministre de la Santé François Braun plaide pour un partage – voire une délégation – de compétences entre médecins, personnels médicaux et paramédicaux pour pallier le manque de médecins dans le pays.
Au cabinet, la journée touche à sa fin. Jade fait partie des dernières patientes. En sortant de la consultation, la voilà rassurée, le sourire aux lèvres. Elle doit revenir dès demain pour la prise d’un premier médicament. « Je ne sais pas comment j’aurais fait si ce lieu n’était pas ouvert ce week-end ! »
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- Le prénom a été modifié[↩]