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©Alex Boyd

« Les Fossoyeurs », la reten­tis­sante enquête au cœur des Ehpad Orpea

En enquêtant sur les dérives lucratives du groupe d'Ehpad Orpea, le journaliste indépendant Victor Castanet dénonce dans son livre Les Fossoyeurs les graves dysfonctionnements du secteur privé dans la prise en charge du grand âge. Le directeur général du groupe français vient d'être convoqué par le gouvernement.

Le groupe Orpea est désormais dans le viseur du gouvernement. Le directeur général du groupe, Jean-Christophe Romersi, est convoqué le 1er février par Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’autonomie, a appris Le Monde ce 27 janvier. Cet entretien « sera l’occasion d’entendre les explications du groupe Orpéa sur plusieurs points qui feront l’objet d’enquêtes approfondies par les services de l’État », précise la ministre dans un courrier adressé au directeur général. En cause ? Le livre Les Fossoyeurs, fruit de trois ans d’enquête et de 250 entretiens. 

Publié chez Fayard mercredi 26 janvier, le livre-enquête de Victor Castanet jette un pavé dans la mare en dénonçant les « dysfonctionnements » généralisés au sein des établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). L’enquête fouillée du journaliste indépendant n’entend pas pointer du doigt tous les Ehpad du pays - tous ne sont pas des mouroirs où nos ainé·es sont maltraité·es - mais l’auteur pointe des défaillances et des manquements de la part de certains dirigeants du secteur pour qui la vieillesse est devenue un filon lucratif. En ligne de mire, un groupe privé français : Orpea. Numéro un mondial, la société est un véritable mastodonte qui ne compte pas moins de 65 500 collaborateur·rices dans 1156 établissements répartis dans 23 pays, dont 354 en France.

« Le système Orpéa »

Victor Castanet décrypte ce qu’il nomme « le système Orpea ». Une obsession du profit telle qu’elle pousse les dirigeant·es à privilégier la rentabilité sur le bien-être des résident·es. Pour le comprendre, l’auteur s’est particulièrement intéressé à la résidence « Les bords de Seine ». Un établissement privé situé à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), où le tarif d’une chambre standard revient à 6 500 euros par mois et peut grimper jusqu’à 12 000 euros. C’est cet Ehpad vitrine du groupe qu’Orpea fait visiter à ses investisseur·euses potentiel·ielles. Le journaliste raconte le rationnement des protections hygiéniques (« pas plus de trois par jour » selon une auxiliaire de vie), de la nourriture ou encore la réduction des douches, laissant les résident·es macérer dans leurs excréments plusieurs heures.

Des dysfonctionnements que Victor Castanet impute à l’impuissance de l’État. « Les contrôles de l’État sont défaillants, clairement. J’ai des sources de l’intérieur, des cadres dirigeants de l’entreprise qui me racontaient la facilité avec laquelle ils pipeautaient. Les contrôles étaient prévus à l’avance, ils avaient tout le loisir de prendre des mesures de nettoyage avant qu’ils n’arrivent », explique l’auteur sur le plateau de BFM-TV, le 26 janvier.

« Une enquête longue et difficile » 

Près de trois ans d’enquêtes ont été nécessaires à Victor Castanet pour dénicher des rapports confidentiels, des courriels internes et ainsi accumuler plus de 200 témoignages. Ceux de proches de résident·es mais aussi d’ancien·nes employé·es et cadres d’Orpea. Des témoins qui seraient d’ailleurs prêt·es à accompagner l’auteur en justice si besoin. « Ça a été une enquête longue et difficile, témoigne Victor Castanet sur BFM-TV. J’ai reçu des pressions et menaces de la part du groupe, tout comme les gens qui ont participé à cette enquête. J’ai eu des sources qui m’ont rencontré, donné des documents, et qui après avoir été contactées ont, du jour au lendemain, fait machine arrière. » Victor Castanet aurait d’ailleurs lui-même été victime d’une tentative de corruption. « À la moitié de mon enquête, via un intermédiaire, on me fait une proposition me demandant si j’étais prêt à arrêter mon enquête pour 15 millions d’euros », indique l’auteur sur BFM-TV.

Crash boursier et réactions politiques

« Nous contestons formellement l'ensemble de ces accusations que nous considérons comme mensongères, outrageantes et préjudiciables », a réagi la direction d'Orpea, lundi soir, dans un communiqué. Fustigeant des « dérives sensationnalistes », le groupe français - dont les dirigeant·es actuel·les ou passé·es ont refusé les sollicitations du journaliste - dit avoir saisi ses avocat·es pour donner « toutes les suites, y compris sur le plan judiciaire ». Le tout afin « de rétablir la vérité des faits », selon eux.

Si Orpea dément en bloc, il n’aura fallu que quelques « bonnes feuilles » publiées dans Le Monde lundi pour que les pieds d’argile du colosse vacillent. Le même jour, le titre Orpea dévissait de plus de 16 % à la Bourse de Paris, avant que sa cotation ne soit suspendue pour 24 heures à la demande du groupe. Mardi, l’action s'effondrait de nouveau, de près de 17 %. -20,9% mercredi et encore -8,1% ce jeudi peu avant 12h30. Soit plus de -62 % en quatre jours.

À quelques semaines de l’élection présidentielle, l’enquête de Victor Castanet impose au gouvernement l'urgence du sujet de la prise en charge de la dépendance. Outre l’entretien prévu entre le directeur général du groupe Orpea et la ministre déléguée chargée de l’autonomie Brigitte Bourguignon, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé de son côté mardi avoir lancé une procédure pour obtenir d’Orpea des réponses « sur des allégations graves ». « A la lumière de ces conclusions, je verrai s’il y a lieu de diligenter une enquête de l’inspection générale sur l’ensemble du groupe », a-il affirmé sur LCI. 

9782213716558 001 t
©Fayard

Les Fossoyeurs, de Victor Castanet. Ed Fayard, 2022, 400 pages, 22,90 euros. 

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