Tandis qu'Emmanuel Macron déplore la baisse de la natalité en France, de nombreuses femmes, en couple, hétérosexuelles, lesbiennes ou célibataires éligibles à la procréation médicalement assistée (PMA) attendent toujours.
Lors de sa conférence de presse mardi soir, le président Macron a annoncé des mesures en faveur de la natalité et d’un “réarmement démographique”. De quoi faire monter la moutarde au nez des femmes en attente de PMA en France, où les délais d’accès depuis l’ouverture de la PMA pour toutes sont toujours aussi longs. “Cela m’a bien fait rire mais aussi mise très en colère,” déplore Sandrine Ngatchou, fondatrice de l’association Utasa, spécialisée dans l’infertilité des personnes noires. Face aux innombrables obstacles, celle-ci a elle-même abandonné un parcours de PMA en 2018. Aujourd’hui, elle constate qu’en dépit de quelques campagnes sur les réseaux sociaux, il n’y a eu “aucune évolution” dans les dons de gamètes pour les personnes racisées, qui ont toujours autant de difficulté à trouver un·e donneur·euse.
“Je n’avais pas compris que ça allait être aussi dur et aussi long”, confie de son côté Éva, célibataire de 33 ans en parcours de PMA depuis 2021. Basée dans l’est de la France, elle n’a trouvé de créneau qu’au Cecos (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) de Montpellier. Plusieurs mois se sont écoulés entre les innombrables examens médicaux et rendez-vous psy pour finalement être admise sur liste d’attente. À ce jour, elle ne sait toujours pas quand aura lieu le don de gamètes. “Ce que le président ne comprend pas, c’est qu’il faut aussi des infrastructures et des professionnels,” s’inquiète-t-elle. Si depuis le passage de la loi relative à la bioéthique, en 2021, le nombre de demandes a en effet augmenté, selon l’Agence de biomédecine, c’est également le cas des délais. Entre le second semestre 2022 et le premier semestre 2023, le délai moyen de prise en charge est passé de 14,4 à 15,8 mois pour une AMP (assistance médicale à la procréation) avec don de spermatozoïdes et de 23 à 23,8 mois pour une AMP avec don d’ovocytes. Dans les faits, c’est souvent davantage.
“Pas de moyens dans les Cecos”
Même parcours de la combattante pour Charline, 33 ans, et sa femme, qui ont pu réaliser leur premier essai de PMA en novembre, soit un an après leur premier rendez-vous médical : “Un an, dans un parcours PMA lesbien, c’est la fourchette basse du temps d’attente, précise telle. On nous a dit qu’il n’y avait pas assez de donneurs et qu’on devait attendre.” Si bien que le couple envisage déjà de renoncer à avoir un jour un deuxième enfant, en raison des délais en France et de la complexité du parcours. Dans ce contexte, Charline se dit “très en colère” à la suite du discours du président lors de sa conférence de presse : “On ne fait pas des enfants pour réarmer quoi que ce soit,” remarque-t-elle. Elle poursuit : “En 2021 [date de passage de la Loi relative à la bioéthique, ndlr], on savait très bien que la demande allait exploser et pourtant rien n’a été fait. Pas de campagne à grande échelle, pas de moyens dans les Cecos. Aujourd’hui, certains refusent des dossiers ou donnent un temps d’attente de deux à trois ans.” En tant que personne queer, elle dit également s’être sentie exclue des annonces faites par Emmanuel Macron : “Des gens qui veulent faire des enfants mais n’en ont pas le droit, on en connaît plein, comme des couples gays qui voudraient pouvoir faire une GPA [gestation pour autrui]. Sans parler des personnes trans exclues de la loi bioéthique.”
“De belles promesses”
Si bien que de nombreuses femmes continuent de se rendre à l’étranger, en dépit du passage de la loi. C’est le cas de Camille, 37 ans, qui s’est rendue dans une clinique en Espagne après deux essais infructueux de fécondation in vitro en France, en 2019. “C’est l’hôpital français qui nous a dit qu’il ne pouvait plus rien pour nous,” constate-t-elle, effarée. Le couple qu’elle forme avec son mari nécessite en effet un double don, illégal à l’époque, puis légalisé en 2021 par la loi bioéthique. Malgré le passage de la loi, ses médecins lui disent qu’elle devra attendre quatre ans pour un don d’ovocytes. “J’ai de l’endométriose, donc si j’attends, mes chances seront plus faibles,” précise-t-elle. Après plusieurs essais, elle a accouché d’une petite fille en 2021 grâce à un double don en Espagne et essaie désormais d’avoir un deuxième enfant, toujours en ce pays. Soit un coût total de plus de 30 000 euros. Les mesures annoncées par le président de la République mardi soir en faveur de la natalité et de la lutte contre l’infertilité ne l’ont pas convaincue : “Tout ça, c’est des belles promesses”, résume-t-elle. C’est bien beau de vouloir “réarmer démographiquement” la France, encore faudrait-il en donner les moyens concrets à celles et ceux qui le désirent ardemment sans pouvoir y parvenir.
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