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Les plaignants devant le Conseil d'Etat ce jeudi 22 juillet © Salomé Robles

Contrôles au faciès : six ONG sai­sissent le Conseil d’Etat

C’est une action de groupe inédite. Des asso­cia­tions fran­çaises et inter­na­tio­nales et des avo­cats assignent l’Etat en jus­tice pour mettre fin à ces discriminations. 

« Aujourd’hui est un grand jour », lance Me Antoine Lyon-​Caen, l’avocat qui porte l’affaire devant le Conseil d’Etat, ce jeu­di matin. Celui-​ci repré­sente les six asso­cia­tions qui sai­sissent la plus haute juri­dic­tion admi­nis­tra­tive fran­çaise pour mettre fin aux contrôles d’identité au faciès. Parmi elles, trois sont d’envergure inter­na­tio­nale : Human Rights Watch, Amnesty International et Open Society Justice Initiative. Les trois autres sont des col­lec­tifs locaux : la Maison Communautaire pour un Développement Solidaire (MCDS), Pazapas et Réseau Egalité, Antidiscrimination, Justice Interdisciplinaire (Réaji).

Une pro­cé­dure inédite

L’action de groupe est une pro­cé­dure ins­ti­tuée en 2016 qui per­met une pour­suite col­lec­tive de vic­times d’un même pré­ju­dice sans avoir à iden­ti­fier pré­ci­sé­ment les indi­vi­dus. La pro­cé­dure actuelle fait suite à une mise en demeure lan­cée le 27 jan­vier envers le pre­mier ministre et les ministres de l’Intérieur et de la Justice. Ces der­niers avaient alors quatre mois pour ouvrir la dis­cus­sion, ou au moins faire valoir leur point de vue sur le sujet. Mais la mise en demeure est res­tée lettre morte. « C’est un silence qui est vécu comme une véri­table condes­cen­dance », déplore Me Lyon-Caen.

Lire aus­si : Contrôles au faciès : une plainte dépo­sée contre l’État par un col­lec­tif d’ONG

Le délai des quatre mois étant lar­ge­ment expi­ré, les plai­gnants entrent dans la deuxième phase de l’action de groupe. Ils sai­sissent le Conseil d’Etat afin qu’il « recon­naisse que les contrôles au faciès géné­ra­li­sés consti­tuent un grave man­que­ment de l’Etat à ses obli­ga­tions » et qu’il « contraigne les auto­ri­tés res­pon­sables à prendre les mesures utiles pour les faire dis­pa­raître », explique l’avocat. Le Conseil d’Etat étant l’instance qui juge de la léga­li­té des poli­tiques publiques natio­nales, le col­lec­tif lui confie la tâche de faire ces­ser cette pra­tique discriminatoire. 

Des paroles aux actes 

« Face à un pro­blème sys­té­mique, nous deman­dons une réponse sys­té­mique et pas des mesu­rettes », affirme Issa Coulibaly, pré­sident de Pazapas Belleville. Le mili­tant asso­cia­tif fait notam­ment réfé­rence à la géné­ra­li­sa­tion des camé­ras pié­tons mises en place par Emmanuel Macron ou encore aux matri­cules RIO por­tés par les poli­ciers qui sont, selon lui, des mesures insuf­fi­santes. Le Président de la République a déjà lui-​même recon­nu l’existence de ces contrôles au faciès, notam­ment lors de son inter­view pour le média Brut en décembre 2020. De la même manière, un rap­port du Défenseur des droits de jan­vier 2017 avait conclu « qu’un jeune per­çu comme arabe ou noir [avait] 20 fois plus de chance d’être contrô­lé que le reste de la popu­la­tion ». Pour les six ONG, il est temps de pas­ser des paroles aux actes.

L’Etat a déjà été condam­né à plu­sieurs reprises dans des affaires de contrôles au faciès. En 2015, Me Slim Ben Achour, qui porte éga­le­ment aujourd’hui cette action de groupe, avait por­té cette pro­blé­ma­tique devant les tri­bu­naux et avait obte­nu la condam­na­tion de l’Etat pour « faute lourde » par la Cour de Cassation. L’année sui­vante, cette même juri­dic­tion avait affir­mé qu’un contrôle basé uni­que­ment sur des carac­té­ris­tiques phy­siques – en l’occurence, une cou­leur de peau – consti­tuait bien une dis­cri­mi­na­tion. Plus récem­ment, ce 8 juin der­nier, l’Etat a de nou­veau été condam­né pour faute lourde lors des contrôles d'identité jugés dis­cri­mi­na­toires de trois lycéens dans une gare pari­sienne lors d’un voyage sco­laire en 2017.

Une frac­ture de la com­mu­nau­té nationale 

Les six asso­cia­tions et leurs repré­sen­tants demandent donc une réforme com­plète des contrôles d’identité. L'intérêt de la pro­cé­dure est qu’elle ne met pas en cause le com­por­te­ment raciste de cer­tains poli­ciers mais la poli­tique même de l’Etat en la matière. « Pour cela, nous avons accu­mu­lé un ensemble de preuves qui montre que c’est sys­té­mique, notam­ment avec des témoi­gnages de poli­ciers qui confirment ces pra­tiques dis­cri­mi­na­toires », explique Sabine Gagnier d’Amnesty International.
Pour Me Slim Ben Achour il y a urgence car il s'agit là d’une « ques­tion démo­cra­tique et une ques­tion d'État de droit ». Les contrôles au faciès « pro­duisent une cou­pure du lien avec la com­mu­nau­té natio­nale parce que les jeunes vic­times voient clai­re­ment une inéga­li­té de trai­te­ment entre les citoyens », note Issa Coulibaly. Ces pra­tiques sont de véri­tables « céré­mo­nies de dégra­da­tion » pour les vic­times et « ren­forcent les pré­ju­gés et le racisme dans le reste de la socié­té car les gens finissent par se dire qu’il doit y avoir un pro­blème avec ces com­mu­nau­tés si elles se font tout le temps contrô­ler ».

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