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Photomontage de Francine Néago et son orang-outan © site de Noah and his ark

Francine Néago : his­toire d'une intoxi­ca­tion médiatique

Peut-être avez-vous vu passer l'info. A 86 ans, Francine, Primatologue de renommée internationale, échouait au Samu Social acculée par la précarité. Cette version a fait le tour des médias. Pourtant, après vérification, elle est très largement romancée, pour ne pas dire bidonnée. Retour sur une intox.

Il faut dire que l’histoire était trop belle. Fin janvier, Francine Néago, une « célèbre primatologue » selon France Inter, « mondialement connue », selon L’Humanité, « l’une des plus grandes spécialistes mondiales des singes et de leur langage », pour Le Monde, et « dont les travaux n’ont rien à envier à une Jane Goodall ou une Dian Fossey », selon le quotidien La Croix, s’est retrouvée au Samu social. La vieille dame de 86 ans, qui vit depuis 50 ans en Indonésie, était venue à Paris pour tenter de régulariser sa situation. En effet, selon ses dires, relayée par nos confrères, elle ne touchait plus, depuis quelques temps, son allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Selon une nouvelle règle administrative, explique-t-elle, reprise par la presse, il faut désormais passer au moins 6 mois en France par an pour la toucher. Ayant tout juste de quoi passer quelques nuits à Paris, Francine Néago, qui pensait régler la situation rapidement, s’est donc très vite retrouvée à la rue. C’est alors qu’elle a été recueillie par le Samu social. Le personnel écoute son histoire. Pense qu’elle affabule un peu. Elle est auscultée par la psychogériatre du centre Jean Rostand d’Ivry sur Seine, qui ne diagnostique aucun signe de pathologie. Le fils de la médecin, Pierre Maurel, par ailleurs attaché de presse, s’émeut de son histoire. Et décide de faire un communiqué de presse. Les médias s’emballent : ceux que nous avons cité précédemment mais aussi Le Figaro, France 3, France Culture…. Francine fait le tour du Web et des réseaux sociaux. L’écrivain Daniel Pennac, lui aussi sensible à sa cause, s’engage à lui financer un hôtel dans le 14ème arrondissement de Paris jusqu’à ce qu’elle puisse repartir en Indonésie. Vincent Dattée, qui dirige une clinique vétérinaire à Antony et Norin Chaï, directeur adjoint et responsable vétérinaire de la Ménagerie du Jardin des Plantes, s’émeuvent à leur tour du sort de Francine, dont ils découvrent la situation, et décident de l’aider en créant un comité de soutien et en lançant un appel aux dons. L’argent récolté, 29 500 € à ce jour, permettra d’aider Francine à rentrer en Indonésie et à créer un sanctuaire pour « ses » animaux. L’association SOS-MAWAS créée par Vincent Dattée, le vétérinaire d’Antony, voit le jour. C’est elle qui, pour l’instant détient ces dons.

Causette, émue elle aussi par l’histoire de Francine Néago, avait prévu d’en faire sa « Copine » du mois d’avril. Un grand portrait sur quatre pages. Nous sommes donc allés l’interviewer comme il se doit à son hôtel dans le 14ème. Mais au bout d’une heure et demie d’interview, quelque chose nous semble étrange. Francine mélange tout. Les dates, les faits. Elle se contredit souvent. Rien ne concorde. Bizarre… Impossible de faire un papier avec cette matière-là. Francine a 86 ans, normal qu’elle ait un peu la mémoire qui flanche. Qu’à cela ne tienne, nous tenterons de faire l’article en nous appuyant sur sa biographie « officielle » publiée sur le site de son « association » Noah and his ark, basée en Indonésie. Loin de nous l’idée de causer du tort à Francine. Mais notre enquête nous a menées vers une issue que nous ne soupçonnions pas. Qui révèle plus les défaillances de notre système médiatique qu’une pure escroquerie.

Un grossier photo-montage

Première chose troublante, cette image qui illustre le site de l’ONG Noah and his ark créée par Francine Néago, il y a trois ans, et reprise par la plupart de nos confrères. Pour la responsable du service photo de Causette, cela ne fait aucun doute, il s’agit d’un grossier photomontage.

Quant à la biographie officielle de Francine, sensiblement identique à sa page Wikipédia (créée en janvier 2015), il s’agirait quand même de vérifier… A Causette, comme à nos confrères, ainsi que dans sa bio, Madame Néago assure, entre autres choses, avoir :

  • - Ecrit onze ouvrages de référence sur les orangs-outans.
  • - Avoir étudié leur comportement en passant ses journées avec 18 orangs-outans enfermée dans une cage au Zoo de Singapour, six mois durant, à la fin des années 70.
  • - Avoir enseigné pendant 10 ans à l’UCLA (l’université de Californie) le langage des orangs-outans. Elle aurait même inventé une méthode de communication pour dialoguer avec eux grâce à un ordinateur spécialement conçu par IBM.
  • - Elle dit, enfin, vivre actuellement avec ces grands singes dont elle doit s’occuper.

Nos confrères ont repris, dans leurs papiers, toutes ces informations telles quelles. Là encore, ils ne semblent pas remettre en question la soi disant renommée mondiale de Francine Néago. Ne lésinant pas sur les superlatifs. « Elle a écrit onze ouvrages de référence sur le sujet », écrit L’Humanité. « En 1977, elle étudie le comportement de 18 orangs-outans en passant ses journées avec eux », assure La Croix. « Ses travaux les plus emblématiques ont eu lieu en Californie avec le singe Bulan », ajoute le quotidien. Sauf que nous, nous n’avons trouvé aucune trace de ces différentes activités.

Nous avons contacté l’Université UCLA : « Désolée mais nous n’avons pu trouver aucune trace de son passage à l’UCLA en tant qu’enseignante… Le département d’Anthropologie, qui aurait pu être le plus à même à accueillir une primatologue n’a aucune trace d’elle… », nous a répondu Stuart Wolpert, responsable de la communication de la célèbre université californienne. Même son de cloche du côté du Zoo de Singapour : « Elle est venue quelques fois en tant que visiteuse. C’était il y a très longtemps. Mais il serait tout à fait impropre de dire qu’elle a mené des recherches formelles en collaboration avec le Zoo. Et nous n’avons aucune trace de son expérience d’enfermement dans une cage avec des orangs-outans », assure Natt Haniff, en charge de le communication du Zoo.

Quant à ses onze ouvrages, nulle trace sur Internet. A part un seul, sur Amazon, A Young Orangutan in a Loving Home, en rupture de stock. Pas de visuel de couverture, pas de maison d’édition référencée… Sur les portails spécialisés, aucun de ses travaux ne sont trouvables.

Les primatologues ne la connaissent pas

« Dans la communauté scientifique ses travaux sont connus », lit-on dans La Croix… Ah bon ? De notre côté, nous avons contacté des primatologues de renom pour savoir s’ils connaissaient Francine Néago. Sabrina Krief est vétérinaire, spécialiste des chimpanzés et maître de conférence au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris : « Je ne connais pas Francine Néago. J’ai découvert sa situation par la presse et, comme vous, ai tenté de faire des recherches sur ses travaux scientifiques que personne dans mon équipe ne connaissait. En vain… » Du côté de l’Orangutan Foundation International (OFI), présidée par Birute Galdikas, considérée comme l’une des plus grandes expertes mondiales du comportement des orangs-outans, même combat : « Nous nous sommes renseignés et nous n’avons pas connaissance de Francine Néago ni de son travail sur les orangs-outans ». Bon, bon, bon, ça commence à sentir le roussi… La canadienne Anne Ronson, rattachée à la York University, à Toronto, étudie les orangs-outans à Bornéo depuis des années. Elle a été amenée à rencontrer Francine Néago : « Je l'ai rencontrée directement une fois, j'ai eu des échanges e-mail avec elle de temps en temps, et j'ai aidé à l'évaluation d'un centre de réhabilitation/sanctuaire pour les orangs-outangs qu'elle voulait monter il y a 2 ou 3 ans. Mais le résultat de mon évaluation a été que ce projet était inapproprié à plusieurs égards. Elle s'intéresse aux orangs-outans depuis longtemps, mais plutôt comme bénévole dans des sanctuaires. D'après moi, son travail n'est pas sérieux en termes d'impact sur la conservation ou la science des orangs-outans ». Voilà qui ne nous avance pas… Marc Ancrenaz est directeur scientifique de l'ONG Hutan, qui oeuvre pour la protection des orangs-outans à Bornéo : « Je l’ai rencontrée il y a une vingtaine d’années et elle essayait déjà de monter son centre depuis plusieurs années. Cela fait donc plus de trente ans qu’elle essaye de monter un projet. Elle a essayé partout sans succès… », assure Marc Ancrenaz, gentiment. « Ce qui est sûr c’est qu’elle n’a jamais percé. Elle n’est pas du tout connue dans la communauté scientifique. Elle s’est toujours attaquée à un truc assez particulier qui est d’essayer de communiquer avec les grands singes. Il y a quelques américains qui ont fait ça dans les années 60, avec Koko le gorille, notamment. Mais ça n’intéresse pas grand monde », ajoute-t-il. A-t-elle même vraiment mené des recherches là-dessus ? Rien ne nous le prouve. Et Marc Ancrenaz lui-même admet ne pas en avoir la preuve : « Je n’ai pas cherché », dit-il.

Pas de sanctuaire, pas d’animaux…

Quant à la situation actuelle de Francine Néago, là encore, règne le plus grand flou. « Elle a fondé un centre de sauvetage pour les espèces menacées, Noah et son arche », écrit L’humanité. « L’immense mouvement de solidarité va permettre à la vieille dame de rejoindre ses animaux, de les soigner, et au-delà de pérenniser son oeuvre », nous dit encore L’Humanité. Francine lance « un appel au secours pour les animaux dont elle s’occupait jusqu’alors avec sa fondation Noah and his ark dans son sanctuaire de la province d’Aceh à Sumatra», lit-on sur le site de l’association SOS MAWAS créée par Vincent Dattée pour soutenir la primatologue. « Le matin ils (les orangs-outans ndlr) viennent me réveiller et m’enlacer de leurs grands bras, cela me manque », dit Francine à La Croix. A nous aussi elle nous l’a dit. Sauf que Noah and his ark n’est en aucun cas un sanctuaire mais bien, pour l’instant, un simple cadre associatif et se résume grosso modo à son site Internet. « Noah and his ark (NAHA) est une ONG créée par Francine Néago. D’abord enregistrée en Irlande puis en Indonésie il y a trois ans, elle a pour but de protéger les animaux en danger », nous explique Peter Lewis, le « directeur » de NAHA « Le but de cette ONG est de construire, à terme, un centre de réhabilitation et une école d’éthologie à Bukit Lawang… Mais pour l’instant il n’y a ni sanctuaire, ni centre de sauvetage. C’est un projet seulement », ajoute-t-il. Norin Chaï lui-même, le vétérinaire du Jardin des plantes, assure qu’il n’y a pas de sanctuaire. Et, surtout, Francine, contrairement à ce qu’elle laisse entendre, n’a pas d’animaux ! Cela encore Peter Lewis, nous le confirme : « Francine n’a aucun animal dont elle s’occupe ».

Tout le monde quitte le navire…

D’ailleurs, Peter Lewis, le directeur, australien de NAHA est assez remonté. Après deux ans à avoir tenté d’aider Francine à monter un centre, il vient de décider de tout laisser tomber. Il y a deux ans, Madame Néago a nommé Peter Lewis, un Australien, directeur de NAHA. Ensemble ils ont voyagé jusqu’à Bukit Lawang, à Sumatra, où Peter a acheté 2 hectares de terres sur ses économies personnelles, pour « construire une guest house pour les touristes afin de lever des fonds pour NAHA et créer un centre de mise en quarantaine, ce qui est obligatoire pour acquérir une licence pour le centre de réhabilitation. Bien qu’il y ait eu de nombreuses promesses de potentiels investisseurs, aucune n’a aboutie. La seule donation est la mienne, et cette terre est vacante depuis trois ans… », déplore-t-il. Là-dessus, il apprend le 5 mars 2016 la création, en France, de SOS MAWAS, suite à l’affaire du Samu social et à l’emballement médiatique autour de Francine. « Nous avons été en contact et ils m’ont assuré que nous allions travailler ensemble. Mais toutes les décisions qui concernent Francine désormais sont prises par eux », déplore Peter. « Et ma demande de poursuivre le projet à Sumatra, où j’ai investi 23 000 dollars, a été ignorée. Je n’ai plus mon mot à dire sur les décisions qui seront prises par SOS MAWAS, un groupe de personnes enthousiastes qui il y a un mois ne connaissaient ni NAHA ni Francine. Et mon argent est perdu », ajoute Peter, un peu dépité.

Jamais dans aucune interview Francine Néago n’a évoqué Peter Lewis… En revanche elle soutient que le gouverneur de la province d’Aceh lui aurait promis, oralement, 1000 hectares de concession…

Quand il y a plusieurs semaines nous avons joint Norin Chaï, le vétérinaire du Jardin des plantes, alors encore membre du comité de soutien de Francine, il justifiait, comme il l’avait fait ailleurs dans la presse, le peu de notoriété de Francine par le fait qu’elle ait toujours agi dans l’ombre. « Elle est hors du système, elle n’a pas suivi le parcours scientifique classique. (…) Pourtant la valeur de ses découvertes est incontestable », assurait-il à la journaliste de La Croix, dans un papier publié le 23 février. Il nous a dit peu ou prou la même chose. « J’admets avoir eu des doutes quant à la précision des faits avancés par Francine, surtout du point de vue des dates, car elle mélangeait un peu tout », explique Marine Lamoureux, la journaliste de La Croix. « Mais j’ai appelé Norin Chaï, du Museum d’Histoire naturelle, ainsi que Vincent Dattée et Pierre Maurel qui ont créé l’association pour aider Francine. Ils m’ont assuré avoir vérifié un certain nombre d’infos, notamment l’UCLA et l’histoire de la cage du Zoo de Singapour. Si je ne peux pas faire confiance à une source comme le directeur adjoint et responsable vétérinaire de la Ménagerie du Jardin des Plantes, alors que faire ? », interroge-t-elle ? « Vous savez la vitesse à laquelle on travaille. Je n’avais pas le temps de vérifier chaque point du CV de Francine », concède-t-elle.

Etrange hasard, depuis quelques jours, Norin Chaï a décidé de se retirer de toute cette affaire : « Je n’abandonne pas l’idée d’aider Francine si un cadre précis est officialisé. En revanche je retire tout lien avec l’association SOS MAWAS qui a été créée », assure-t-il, sans souhaiter donner plus d’explication. Décidément… Aurait-il lui aussi été obligé de constater le manque d’informations fiables concernant le CV de Francine ?

« Un excès de communication »

Nous avons, finalement, contacté Vincent Dattée, le vétérinaire d’Antony et président de l’association SOS MAWAS (sauvons Francine), à l’origine de l’appel aux dons, pour lui demander si il avait vraiment réussi à trouver des informations fiables sur le parcours scientifique de la vieille dame ainsi que sur ses activités là-bas. D’abord un peu embêté par nos questions, le vétérinaire a fini par admettre « de grosses zones de flou » dans son parcours. « Nous sommes conscients des limites de l’attestation des compétences scientifiques de Francine. Ses repères chronologiques sont très flous, c’est vrai », assure-t-il. Pierre Maurel, l’attaché de presse de l’agence PRP, qui a alerté la presse en premier lieu il y a plus d’un mois et demi est assez vague lui aussi sur le CV de Francine : « Une chose est sûre, Francine n’est pas Jane Goodall ou Dian Fossey. Une équipe de bénévoles essaie actuellement de trouver des traces de ses travaux et différentes activités mais pour l’instant nous n’avons pas grand chose », admet-il. Cela fait pourtant plus d’un mois et demi que l’association cherche…

Pourquoi alors l’avoir présentée dès le premier communiqué de presse comme une primatologue de renommée mondiale ? « J’admets un petit excès de communication peut-être », finit par concéder Vincent Dattée. Et d’ajouter : « Je confirme que les médias ont certifié des faits non attestés ». Voilà qui va ravir notre consoeur de La Croix qui, elle, assure que Vincent Dattée lui a dit, lors de la rédaction de son article fin février, avoir vérifié les faits. « Mais si ce très bel élan de solidarité peut permettre à Francine de rentrer en Indonésie dans de bonnes conditions et nous permettre de sauver un petit bout de jungle, c’est déjà bien. SOS-MAWAS se donne une mission humaniste et écologiste de soutien à Madame Francine Neago… », conclut le vétérinaire. Certes. Nous serions, évidemment, ravis que Francine puisse finir ses jours en paix en Indonésie. Mais les généreux donateurs anonymes ont-ils vraiment payé pour ça ? Ou pour sauver des orangs-outans ?

Dernière précision concernant l’allocation de solidarité aux personnes âgées que Francine était venue tenter de faire rétablir. Le journal Le Monde, dans son papier daté du 28 janvier, nous explique que : « Francine Néago () espérait bien, (), faire rétablir lallocation de solidarité aux personnes âgées, de 800 euros par mois, que la France lui versait jusqualors sur un compte en banque parisien mais qui avait été récemment coupée. Une nouvelle règle administrative exige, en effet, que le bénéficiaire réside sur le territoire français au moins six mois par an. Son dossier est resté bloqué. Le consul de France à Djakarta, Pierre-Antoine Gounand, a bien, en juin 2015, tenté une démarche pour obtenir une exception, en vain », lit-on dans le quotidien. Isabelle Rey-Lefebvre, la journaliste du Monde assure que Francine Néago lui a montré une lettre le prouvant. Problème : l’Ambassade de France en Indonésie, contactée par Causette assure ne pas être intervenue dans le dossier de Francine Néago. Les dossiers d’aide sociale étant soumis au secret, le consul de France à Djakarta, Pierre-Antoine Gounand ne peut nous détailler précisément la situation de Francine Néago.  Mais il tient à ajouter : « A ma connaissance, il est faux de dire quil y a une nouvelle règle administrative concernant lallocation de solidarité aux personnes âgées. Il a toujours fallu résider sur le territoire français au moins six mois par an pour la percevoir ». Bizarre, vous avez dit bizarre ?

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