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© L.C.

Témoignage : vivre avec la schi­zo­phré­nie loin des préjugés

Mal connue et stig­ma­ti­sée, cette mala­die men­tale chro­nique souffre de nom­breuses idées reçues. À l’occasion des Journées de la schi­zo­phré­nie débu­tant ce same­di 13 mars, Léa Chèze, 25 ans, diag­nos­ti­quée schi­zo­phrène à 18 ans, témoigne. 

Dans le film d’horreur, Split, de Night Shyamalan, le psy­cho­pathe, Kevin Wendell Crumb, se débat avec ses vingt-​quatre per­son­na­li­tés qui s’expriment à tour de rôle à tra­vers lui. Qualifié de dan­ge­reux schi­zo­phrène, Crumb souffre en réa­li­té de TDI, autre­ment dit de trouble dis­so­cia­tif de l’identité. Mais de Docteur Jekyll et Mister Hyde en pas­sant par Psychose, Black Swan ou Split, la lit­té­ra­ture et le ciné­ma nour­rissent, depuis des décen­nies, les cli­chés sur la schi­zo­phré­nie. Pourtant, pas de dédou­ble­ment de per­son­na­li­té dans cette mala­die men­tale chro­nique qui touche le cer­veau en alté­rant la réa­li­té et le fonc­tion­ne­ment de la pen­sée. Être schi­zo­phrène, c’est per­ce­voir des choses qui ne sont pas réelles, entendre des voix qui n’existent pas, s’isoler socia­le­ment ou encore souf­frir de délires de per­sé­cu­tion. Quelque 600 000 per­sonnes en France seraient tou­chées par la mala­die, qui pro­voque très sou­vent chez les autres l’incompréhension. Pourtant, une fois diag­nos­ti­quées et accom­pa­gnées d’un trai­te­ment adap­té, les per­sonnes schi­zo­phrènes peuvent vivre avec cor­rec­te­ment. C’est le cas de Léa Chèze, 25 ans, autrice du livre La Douce Voix du schi­zo­phrène, paru en 2020. Diagnostiquée à 18 ans, la Corrézienne témoigne dans Causette pour cas­ser les pré­ju­gés et sen­si­bi­li­ser sur une mala­die com­plexe encore mécon­nue et stigmatisée. 

"On a diag­nos­ti­qué ma schi­zo­phré­nie à 18 ans, après sept années d’errances médi­cales. Depuis mes 12 ans, je souf­frais très régu­liè­re­ment de périodes de dépres­sion, de tocs et de manies. J’étais para­noïaque, je véri­fiais tout ce que je fai­sais une dizaine de fois, je me lavais beau­coup, car j’avais la sen­sa­tion d’être tout le temps sale. Mais ni moi ni mes parents n’avons pen­sé un seul ins­tant que ça pour­rait être de la schi­zo­phré­nie. Parce que je ne vais pas men­tir, j’imaginais les schi­zo­phrènes comme des tarés qui tuent tout le monde, ou alors comme des gens avec plu­sieurs personnalités. 

J’ai eu mes pre­mières hal­lu­ci­na­tions visuelles et audi­tives à l’âge de 16 ans, à la suite d’un choc émo­tion­nel. J’avais des conver­sa­tions avec des per­sonnes ima­gi­naires, j’entendais des voix et j’avais tou­jours l’horrible sen­sa­tion d’être sui­vie ou qu’on allait me tou­cher. C’était tel­le­ment per­tur­bant que je n’ai pas pu aller au bout de mon année de ter­mi­nale, ce qui ne m’a pas empê­chée d’obtenir mon bac lit­té­raire avec men­tion. Les voix inter­ve­naient sur­tout le soir, au moment de m’endormir. Elles n’étaient pas per­sé­cu­tantes, mais ne me lais­saient aucun répit. C’est-à-dire que ce n’était pas vrai­ment moi qui fai­sais mes choix à l’époque, c’était les voix dans ma tête. Elles m’aidaient par exemple à me pré­pa­rer le matin en me disant quoi faire, com­ment m’habiller, com­ment me comporter. 

Je ne suis pas res­tée seule avec ces angoisses, j’en ai par­lé immé­dia­te­ment à mes parents, dont je suis très proche. Ils ont insis­té pour trou­ver ce que j’avais, car c’était très dif­fi­cile pour eux de me voir dans une telle souf­france. Ils ne com­pre­naient pas ce qu’il se pas­sait chez moi, et moi non plus, je ne com­pre­nais pas à vrai dire. Depuis mes 12 ans, j’ai dû voir une dizaine de psy­cho­logues et psy­chiatres, j’ai même été inter­née à de mul­tiples reprises. La pre­mière fois à 17 ans, dans un hôpi­tal psy­chia­trique pour adultes. Ce fut l’expérience la plus dou­lou­reuse de ma vie. On m’a éga­le­ment pres­crit de nom­breux anti­dé­pres­seurs, mais ça ne don­nait rien. Mes parents ont donc fini par m’emmener voir un psy­chiatre répu­té à Clermont-​Ferrand. C’est lui qui m’a diag­nos­ti­quée schi­zo­phrène en 2014. Ce fut un mélange de souf­frances, car j’avais beau­coup de pré­ju­gés sur la mala­die, mais aus­si d’un énorme sou­la­ge­ment, car quelqu’un posait enfin un mot sur ce qu’il se pas­sait dans ma tête. Pour mes parents aus­si, ce fut l’apaisement. Ça a été plus facile pour eux de m’accompagner. Après ça, j’ai essayé plu­sieurs trai­te­ments pour savoir lequel était le bon. Certains ont été très dif­fi­ciles à sup­por­ter : avec le pre­mier, j’ai pris 45 kilos en six mois par exemple. Mais petit à petit, on a trou­vé le bon dosage. 

Aujourd’hui, ça fait deux ans que je ne suis pas allée à l’hôpital. Je ne vis pas non plus recluse chez moi, iso­lée du monde entier, comme on peut s’imaginer un schi­zo­phrène. En fait, mettre un mot sur mes troubles, ça m’a per­mis de trou­ver le bon trai­te­ment et, fina­le­ment, ça m’a per­mis de vivre. Je pense que sans, j’aurais fini ma vie inter­née. Parce que je suis per­sua­dée que je n’aurais pas vu vivre dans le monde réel. Même s’il arrive que je fasse encore des crises, elles sont rares et je sais com­ment les gérer seule. Et puis je conti­nue à voir un psy­chiatre et une psy­cho­logue très régu­liè­re­ment. Si je fais une grosse crise que je ne peux pas gérer seule, je sais que je peux les appe­ler à tout moment pour être hos­pi­ta­li­sée et pro­té­gée. Mes médi­ca­ments me per­mettent de vivre la vie la plus nor­male pos­sible. Ce qui ne veut pas dire que je suis gué­rie. Je serai schi­zo­phrène jusqu’à la fin de ma vie et je pren­drai mon trai­te­ment jusqu’à la fin de mes jours, mais je vis avec mon copain depuis cinq ans, je sors, je vois mes amis… bref, la vie nor­male d’une jeune fille de 25 ans qui aime­rait vivre de sa plume.

Au début, c’était dif­fi­cile, j’avais honte, j’ai même per­du des amis de longue date qui m’ont pour­tant connue avant mon diag­nos­tic. Ils m’ont fuie en appre­nant que j’étais malade, sûre­ment par peur et par incom­pré­hen­sion. Des per­sonnes m’ont aus­si dit que j’étais dan­ge­reuse. Je crois que le pré­ju­gé sur la dan­ge­ro­si­té des schi­zo­phrènes est celui qui m’a le plus mar­quée. Pour cer­tains, la simple évo­ca­tion du mot “schi­zo­phrène” a suf­fi pour qu’ils partent en cou­rant. Mais avec le temps, j’ai appris à ne plus craindre la mala­die ni le regard des autres. Je l’ai annon­cé tout de suite à mon copain, quand je l’ai ren­con­tré, il n’a pas eu peur parce qu’il m’a lais­sée lui expli­quer. Je l’annonce aus­si faci­le­ment aux gens que je ren­contre. Je l’assume tota­le­ment parce que je me suis ren­du compte que j’étais davan­tage moi-​même et beau­coup plus libé­rée quand j’assumais ma mala­die. C’est ce qui m’a d’ailleurs pous­sée à me lan­cer dans l’écriture. En 2020, j’ai autoé­di­té mon pre­mier livre, La Douce Voix du schi­zo­phrène, pour déstig­ma­ti­ser, lut­ter contre les pré­ju­gés et appor­ter un peu d’espoir. Pour prou­ver aux malades, aux familles, aux proches qu’on peut se sta­bi­li­ser, qu’on peut vivre en paix avec la mala­die. Et puis, sur­tout, pour prou­ver à la socié­té que la schi­zo­phré­nie ne nous défi­nit pas. Nous sommes des per­sonnes avant d’être des schizophrènes."

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