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© Margot L'Hermite

Anne Canteaut, lau­réate du prix Joliot-​Curie, se désole de la place des femmes dans les sciences

Anne Canteaut, lau­réate 2023 du pres­ti­gieux prix Joliot-​Curie de la “Femme scien­ti­fique de l’année” en France pour ses tra­vaux sur le chif­fre­ment, qua­li­fie de “ter­rible” la place accor­dée aux femmes dans les sciences.

Directrice de recherche en infor­ma­tique à l’Inria (Institut natio­nal de recherche en sciences et tech­no­lo­gies du numé­rique), Anne Canteaut a été récom­pen­sée cette semaine par le prix Joliot-​Curie de la “Femme scien­ti­fique de l’année” pour ses tra­vaux sur le chif­fre­ment, dis­ci­pline nim­bée de mys­tère. “C’est la ver­sion moderne des codes secrets, qu’on uti­lise pour pro­té­ger la confi­den­tia­li­té des infor­ma­tions”, explique-​t-​elle. Un uni­vers réser­vé aupa­ra­vant aux gou­ver­ne­ments et mili­taires, mais dans lequel tout le monde baigne aujourd’hui sans même s’en rendre compte, en uti­li­sant par exemple sa carte ban­caire pour un achat sur internet. 

À 53 ans, la cher­cheuse tra­vaille actuel­le­ment sur des “sys­tèmes consom­mant très peu d’énergie, comme les implants médi­caux com­man­dables à dis­tance, un défi­bril­la­teur car­diaque par exemple. Son rôle est de “trou­ver les failles d’un sys­tème avant qu’elles ne soient trou­vées par quelqu’un de mal­veillant”.

Cette science repose aus­si bien sur les mathé­ma­tiques que l’informatique, dis­ci­pline qu’elle ne vou­lait abso­lu­ment pas pour­suivre à la sor­tie de ses classes pré­pa­ra­toires à Lille, dit-​elle en riant. Sa pre­mière année à l’Ensta Paris (École natio­nale supé­rieure de tech­niques appli­quées) est une révé­la­tion : “J’ai décou­vert que l’informatique est une science, et j’ai adoré.”

Une situa­tion qui “empire”

Rien ne pré­des­ti­nait cette bonne élève d’un lycée de Dunkerque, avec une mère prof d’histoire-géo et un père “abso­lu­ment pas dans le sys­tème édu­ca­tif”, à accom­plir un tel par­cours. Un che­min ren­du pos­sible “par un sys­tème édu­ca­tif, aujourd’hui semé d’embûches”. Les grandes écoles d’ingénieur·es “ne recrutent plus que dans quelques pré­pas, essen­tiel­le­ment en Île-​de-​France”, le finan­ce­ment d’une thèse pour les meilleurs élèves sor­tant d’école “n’existe plus”, et les rares élu·es ayant décro­ché un contrat de thèse “arrivent au mieux à louer une chambre de bonne”, regrette Anne Canteaut.

Quant à la place des femmes dans les sciences, elle la qua­li­fie de “ter­rible”. Pour elle, la situa­tion “empire”. “Il n’y a presque pas de femmes en sciences”, notam­ment en infor­ma­tique et en maths, selon la lau­réate du prix Irène Joliot-​Curie, remis par le minis­tère de l’Enseignement supé­rieur et l’Académie des sciences, qui vise à pro­mou­voir la place des femmes dans la recherche en France.

“Toutes les mesures prises ne font qu'aggraver la situa­tion

L’ingénieure et cher­cheuse salue le tra­vail de four­mi des asso­cia­tions comme Animath ou Femmes et mathé­ma­tiques, qui s’efforcent de fami­lia­ri­ser les jeunes filles avec les sciences. Mais elle s’agace des contra­dic­tions : d’un côté, tout le monde recon­naît que les femmes sont trop mino­ri­taires dans les dis­ci­plines scien­ti­fiques, de l’autre, “toutes les mesures prises ne font qu’aggraver la situation”. 

À com­men­cer par la réforme des lycées de 2019, qui a réduit la place des mathé­ma­tiques et s’est tra­duite par une plon­gée du nombre de filles ins­crites en spé­cia­li­té mathé­ma­tiques. La réforme a été à son tour “réfor­mée” et les mathé­ma­tiques sont à nou­veau ensei­gnées de manière obli­ga­toire pour tous les lycéen·nes en classe de pre­mière, depuis cette année.

Anne Canteaut cri­tique aus­si le sys­tème d’attribution des chaires de professeur·e junior, qui date de 2021, avec un jury dédié à chaque poste ouvert au recru­te­ment. Une orga­ni­sa­tion qui a pour effet per­vers d’empêcher une vision d’ensemble des nomi­na­tions et un res­pect de la diver­si­té, “et pas seule­ment de genre”, des can­di­da­tures. Résultat : sur les douze per­sonnes clas­sées pour obte­nir une chaire à l’Inria en trois ans, une seule est une femme.

Lire aus­si I Remise du prix Irène Joliot-​Curie : Élisabeth Borne et ses ministres en cam­pagne pour les car­rières scien­ti­fiques des femmes

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