Aider les personnes prostituées à quitter le trottoir, c’est l’ambition des parcours de sortie de la prostitution, créés par la loi du 13 avril 2016. Trois ans plus tard, Causette a voulu savoir ce qu’il en était vraiment… et c’est pas joli joli ! De Poitiers à Nice, enquête sur un fiasco.
![Le «parcours de sortie de la prostitution» est une véritable errance pour celles qui le demandent 1 Grace Agbonavbare Laurent Carré 1 copie](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/12/Grace-Agbonavbare-Laurent-Carré-1-copie-683x1024.jpg)
le parcours de sortie en 2017.
© Marie Rouge pour Causette
« La journée, je marche, je vais à l’église, je dors… Je ne peux rien faire d’autre. Quand je vais voir les gens pour travailler dans les restaurants ou faire du baby-sitting, ils me disent qu’ils aimeraient bien m’aider, mais ils ne peuvent pas m’embaucher, car je n’ai pas de papiers. C’est vraiment dur », raconte Grace, une Nigériane de 28 ans, dans un mélange d’anglais et de français. Arrivée à Nice (Alpes-Maritimes) en 2010, elle a été contrainte de se prostituer pour rembourser sa « mama », la femme qui l’a fait venir en France. Une situation typique des réseaux de traite nigérians, qui transitent par la Libye, l’Italie, et atterrissent en France, où des milliers de jeunes filles se retrouvent sur les trottoirs de nos villes. Grace y est restée six ans, à quelques pas de la très chic promenade des Anglais. Jusqu’à ce qu’elle se fasse arrêter par la police et envoyer en centre de rétention administrative, où elle s’est alors tournée vers une assistante sociale de l’association ALC, à Nice. C’est par son intermédiaire qu’elle a appris l’existence du parcours de sortie de la prostitution (PSP), ce dispositif censé permettre aux « victimes de la prostitution » de changer de vie, en leur donnant accès, pendant deux ans maximum, à une allocation mensuelle de 330 euros, à un accompagnement socioprofessionnel et à un titre de séjour provisoire de six mois, renouvelable trois fois. À la condition, bien sûr, qu’elles aient arrêté durablement la prostitution.
« On m’a dit que si j’arrêtais de travailler dans la rue, le gouvernement allait m’aider, que j’aurais des papiers, que j’irais à l’école et que je pourrais travailler », se souvient Grace. Pleine d’espoir, elle a donc pris sur elle de quitter le trottoir, et l’ALC a méticuleusement constitué son dossier pour le PSP, avant de le présenter, en octobre 2017, à la commission départementale de lutte contre la prostitution. Mais à l’arrivée, c’est la douche froide : le préfet – à qui revient la décision – a finalement retoqué quatorze des quinze dossiers présentés sur le département des Alpes-Maritimes. Dont celui de Grace. Officiellement, aucune raison n’a été avancée pour justifier ce refus. Officieusement, la crainte de créer un « appel d’air migratoire » a été la plus forte (le seul dossier accepté a été celui d’un homme bulgare). Contactée, la préfecture refuse de commenter. « Ils veulent probablement que je retourne dans la rue, puisqu’ils ont refusé de me donner les papiers qui pouvaient m’aider. Et aujourd’hui, je n’ai rien », résume une Grace désespérée qui ne sait plus comment s’en sortir.
183 PSP en trois ans
Présentée comme une « avancée de civilisation » par Marie-George Buffet (PC), comme « la loi Veil de notre génération » par l’ancienne ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol (PS), la loi du 13 avril 2016 peinerait-elle à tenir ses promesses ? Sur les 37 000 personnes prostituées que compte la France 1, combien, comme Grace, ont vu leur dossier refusé ? Lorsqu’on l’interroge, la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – qui dépend du ministère des Solidarités et de la Santé et est chargée de piloter ce dispositif – évite soigneusement le sujet. Et combien sont-elles, réellement, à avoir pu bénéficier d’un parcours de sortie ? Tout juste 183, selon la même DGCS. Une « progression remarquable » par rapport à l’année dernière, se félicite-t-elle… alors que l’on reste bien loin de l’objectif de mille PSP par an initialement fixé par les pouvoirs publics.
« Ils veulent probablement que je retourne dans la rue, puisqu’ils ont refusé de me donner les papiers qui pouvaient m’aider »
Grace, Nigériane de 28 ans
Si cet objectif est loin d’être atteint, c’est que, dans bon nombre de territoires, la loi n’est tout bonnement pas appliquée. Trois ans après son adoption, seules soixante-deux préfectures sur cent une ont mis sur pied leur commission départementale – sans laquelle rien n’est possible – et, parmi elles, trente-deux à peine sont aujourd’hui actives 2. Quant aux associations agréées pour la mise en œuvre du dispositif, « elles ne sont pas en capacité de faire face aux demandes d’accompagnement vers le parcours de sortie », observe Laura Slimani, de la Fédération des acteurs de la solidarité. Car elles n’ont pas les moyens, ni humains ni financiers, d’assurer le suivi colossal que nécessite le PSP. Un état des lieux qui semble gêner le gouvernement actuel : Marlène Schiappa nous a fait savoir par son cabinet que son « agenda » était trop chargé pour nous répondre, tandis que le rapport d’évaluation de la loi, promis pour octobre 2018, n’a toujours pas vu le jour.
Si le dispositif ne mobilise pas les pouvoirs publics, il peine également à convaincre les premier·ères concerné·es. En 2018, deux chercheurs ont mené une étude auprès des travailleur·ses du sexe : sur 583 personnes interrogées, 59 % n’avaient pas connaissance du PSP. Et parmi celles qui en avaient eu vent, seules 26 % envisageaient de faire le grand saut. Ce qui ne surprend pas tellement l’ONG Médecins du monde : « Beaucoup de nos usagères nous disent qu’elles veulent arrêter la prostitution. Mais quand elles apprennent ce que permet vraiment le PSP, elles nous disent clairement : “C’est pas possible de nous proposer une alternative aussi médiocre”. » Nombreuses sont celles, en effet, qui ne voient pas comment s’en sortir avec une allocation mensuelle de 330 euros, l’Afis (aide financière à l’insertion sociale et professionnelle), pour seul subside. Dans la rue Saint-Denis, à Paris, haut lieu des prostituées dites « historiques », Nanou, blonde volubile d’une quarantaine d’années, se marre : « Que voulez-vous que je fasse avec 330 euros ? J’achète mes cigarettes, et je ne mange pas ! »
« Avec ce PSP, les seules personnes qui peuvent imaginer accepter des conditions aussi indignes sont celles qui n’ont aucune autre perspective d’être régularisées »
Maïwenn, association Paloma
À Nantes (Loire-Atlantique), Maïwenn, travailleuse sociale à l’association Paloma, qui mène des actions de santé auprès d’environ quatre cents travailleur·ses du sexe, le constate tous les jours : « Le PSP est un dispositif qui ne correspond à personne. Les seules qui peuvent imaginer accepter des conditions aussi indignes sont celles qui n’ont aucune autre perspective d’être régularisées – et même elles nous disent : “Comment je fais pour vivre ?” » Tous les acteurs du PSP, associations comme administrations ou politiques, conviennent aisément que ces 330 euros ne suffisent pas à vivre. « On aurait préféré que cette aide soit l’équivalent du RSA [revenu de solidarité active, soit 550 euros, ndlr]. Mais c’était un compromis à faire pour que la loi puisse passer en 2016 », se remémore Catherine Coutelle, ancienne députée de la Vienne. Elle qui avait défendu bec et ongles le texte du 13 avril 2016, dont elle était d’ailleurs coautrice, demeure néanmoins « convaincue que c’est une bonne loi ».
Des habitant·es à la rescousse
![Le «parcours de sortie de la prostitution» est une véritable errance pour celles qui le demandent 2 AM33303 2](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2019/06/AM33303-2-683x1024.jpg)
déposer une demande de PSP.
© Marie Rouge pour Causette
Reste que celles qui décident, malgré les obstacles, de se lancer dans le parcours de sortie doivent, ensuite, attendre plusieurs mois entre le moment où elles commencent à constituer leur dossier et celui où leur requête sera (peut-être) acceptée par la préfecture, chargée d’organiser les réunions des commissions départementales qui statuent sur les PSP… quand bon leur semble. Des mois, parfois une année, pendant lesquels ces femmes, presque toutes sans papiers, doivent se débrouiller seules pour trouver un toit et de quoi manger.
À Poitiers (Vienne), par exemple, le dossier de Mercy Okotie, 24 ans, est prêt depuis janvier. Mais cette Nigériane a dû attendre le 4 juin pour qu’il soit enfin étudié par la commission départementale. En attendant, faute d’autre solution, c’est un retraité du coin, Jean-Michel Bernuchon, qui l’héberge dans sa chambre d’amis et lui vient en aide avec ses modestes moyens. Une situation dans laquelle il s’est retrouvé par la force des choses, au printemps 2018. À l’époque, il donnait un coup de main bénévole à l’association des Ami·e·s des femmes de la libération, qui vient en aide aux victimes de l’exploitation sexuelle. C’est comme ça que, par une nuit d’avril, il est venu à la rescousse de Mercy, qui se prostituait alors à l’entrée de la ville. « Elle était cachée sous une voiture, ensanglantée. Un client l’avait frappée au visage pour lui soutirer de l’argent », se souvient ce retraité. Depuis, Jean-Michel n’a pas eu le cœur de la laisser à la rue. Et c’est lui qui l’a aidée à constituer son dossier de parcours de sortie, pour lequel elle nourrit beaucoup d’espoirs. « Une fois que j’aurai un titre de séjour, je ferai n’importe quel métier. Tout me conviendrait pour ne pas retourner à la prostitution », plaide la jeune fille, d’une voix brisée. À ses côtés, Joy 3, son amie qui dort parfois chez Jean-Michel pour éviter la rue, regarde avec envie l'énorme dossier de Mercy pour le parcours de sortie. Elle aussi voudrait faire sa demande, « mais l’association agréée à qui [elle a] demandé de l’aide [lui dit] qu’ils ne peuvent pas s’occuper [d’elle] pour le moment ».
![Le «parcours de sortie de la prostitution» est une véritable errance pour celles qui le demandent 3 101 Prostitution 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/101-Prostitution-1.jpg)
Cette porte de sortie, Blessing 3, une jeune Nigériane installée à Nice, a réussi à y accéder l’an dernier. Elle qui rêve d’une vie toute simple « avec des enfants, un mari et un travail », prépare désormais son projet d’insertion professionnelle. Tous et toutes les bénéficiaires du dispositif y sont tenu·es. L’objectif étant de les amener à décrocher un emploi dès que possible. C’est dans cette optique que cette femme de 26 ans assiste à « trois cours de français par semaine » afin d’être assez armée « pour suivre une formation dans le service à la personne et pouvoir prendre soin des autres », détaille-t-elle. Pour les personnes en PSP, c’est presque toujours dans l’aide à la personne, le nettoyage ou le maraîchage que s’inscrit leur nouvel horizon professionnel. « Il arrive que certain·es aient d’autres projets, mais la commission leur rit au nez : “Ha ha ha, elle est complètement utopiste.” », a constaté June Charlot, de l’association Grisélidis, agréée en Haute-Garonne, qui a pour l’heure renoncé à présenter de nouvelles demandes de PSP – faute de personnel pour suivre les potentiels bénéficiaires. Et dans ce département, gare à celles qui travaillent « un peu trop ». Car la préfecture a une façon bien à elle d’interpréter les textes. Sur le papier, pour bénéficier de l’Afis, les « ressources mensuelles » des bénéficiaires ne doivent pas excéder le montant du RSA, soit 550 euros. Mais ici, selon June Charlot, l’Afis est considérée comme une ressource. Autrement dit, dès lors qu’une personne en PSP touche plus de 220 euros de salaire… elle se voit retirer ses 330 euros d’allocation ! Contactée, la préfecture n’a pas donné suite à nos demandes.
Autre souci : une fois le PSP obtenu de haute lutte, rien n’est prévu côté logement. En théorie, les bénéficiaires du dispositif sont prioritaires pour les demandes de logement social. « Le problème, c’est qu’en France, il n’y en a pas suffisamment. Donc on peut bien être prioritaire à quelque chose qui n’est pas disponible, ça ne marche pas. Et on est obligés de recourir à la débrouille », concède Claire Quidet, porte-parole du Mouvement du nid, une association qui accompagne près des trois quarts des bénéficiaires du PSP. Sur le terrain, les associations se démènent donc pour tenter de dégoter une place dans un centre d’hébergement, dans une église, un va-et-vient au 115… parfois en vain. Dans la Vienne, la situation est telle que Rosen Hicher, cette ancienne prostituée qui s’est battue pour la loi du 13 avril 2016, a lancé une pétition début mai, menaçant d’entamer une grève de la faim si aucune solution n’était apportée par les pouvoirs publics pour « trouver un toit et des moyens de survie » aux victimes de la prostitution. Depuis, la militante a fait marche arrière. Est-ce parce que la préfecture mise en cause finance certaines de ses actions de sensibilisation ? Le fait est que deux jeunes femmes actuellement en PSP, Happy et Charity, sont toujours en quête d’un toit à Poitiers. Et Causette a pu constater le fiasco.
“Jeunes femmes polytraumatisées”
![Le «parcours de sortie de la prostitution» est une véritable errance pour celles qui le demandent 4 AM33326 2](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2019/06/AM33326-2-791x1024.jpg)
(24 ans) et, parfois, Joy (debout).
© Marie Rouge pour Causette
Ici, la préfecture se repose décidément beaucoup sur la générosité de ses administré·es. Jean-Michel, le retraité, mais aussi Elsa, qui, pendant plusieurs mois, a hébergé quatre jeunes Nigérianes souhaitant quitter la prostitution, dont Joy, Happy et Charity – ces deux dernières ayant obtenu leur PSP en cours de route. « Ma mère, décédée en juillet 2017, voulait que sa maison bénéficie aux femmes en difficulté », retrace cette thérapeute, en faisant visiter l’ancien refuge. Épuisée, elle jettera finalement l’éponge en janvier dernier, faute de soutien. Car à l’exception d’une subvention de 5 000 euros pour les charges de la maison, la déléguée aux droits des femmes de la Vienne, Valérie Lamarche, ne l’a jamais accompagnée dans sa démarche, ni proposé de formation pour l’aider à accueillir ces « jeunes femmes polytraumatisées qui vivent la nuit, dorment le jour et refusent de manger de la nourriture française », souffle Elsa, qui a fini par déloger ses quatre hôtes. Parmi elles, Happy et Charity, censées être suivies à Poitiers pour leur PSP, n’ont donc eu d’autre choix que de partir à… Paris, où elles ont trouvé par elles-mêmes un contrat à temps partiel pour faire des ménages dans un hôtel. « C’est une réussite », s’enthousiasme sans sourciller Valérie Lamarche, qui compte faire transférer leurs dossiers à Paris. Mais en attendant, les jeunes femmes se trouvent livrées à elles-mêmes. « En ce moment, je partage un lit avec Happy chez une amie, à gare du Nord. Je fais quatre heures de ménage par jour, mais je n’ai pas assez pour vivre. Si j’avais un endroit pour vivre à Poitiers, je préférerais y retourner », confie Charity. Quant à Joy, elle est retournée à la rue et dort la plupart du temps dans l’ascenseur de la gare.
![Le «parcours de sortie de la prostitution» est une véritable errance pour celles qui le demandent 5 101 Prostitution 2](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/101-Prostitution-2-300x167.jpg)
Le constat global est d’autant plus révoltant que, lorsque la volonté politique est là, le PSP peut porter ses fruits. C’est le cas pour Glorious 3, une jeune Nigériane de 22 ans arrivée à Nantes en 2016 et forcée de se prostituer pour rembourser les 35 000 euros que lui réclamait sa passeuse. Soutenue par le « pasteur Marcel », une figure locale qui l’a hébergée pendant près de deux ans dans son église, puis par le Mouvement du nid, elle a intégré le parcours de sortie en juin 2018. Depuis, Glorious vivote avec ses 330 euros mensuels. Mais elle ne cache pas sa joie d’avoir pu bénéficier de ce dispositif, elle qui avait été déboutée de sa demande d’asile trois ans plus tôt. « Maintenant, j’ai des papiers, j’ai un nouveau logement depuis deux mois [dans une résidence de jeunes travailleurs]. Je prends des cours de français, je travaille lorsqu’on me propose des missions [au sein d’une entreprise d’insertion sociale]. J’ai une bonne vie », nous raconte, tout sourire, celle qui espère commencer bientôt une formation d’hôtesse de caisse. Dans son malheur, Glorious a eu beaucoup de chance : celle d’avoir atterri à Nantes, où le Mouvement du nid a pu salarier une personne qui se consacre au travail titanesque de suivi des PSP (la seule dans cette association nationale). Et la chance, surtout, d’avoir été la première sur ce territoire à faire la demande. « Aujourd’hui, sur Nantes, une cinquantaine de filles voudraient en bénéficier. Mais on ne peut pas gérer autant de dossiers. Donc on leur explique que ça prend du temps et, en attendant, on les incite à prendre des cours de français », explique Armelle, bénévole du Mouvement du nid, où sont actuellement accompagnées six jeunes femmes en PSP.
Zèle des préfectures
En réalité, d’un département à l’autre, le parcours de sortie a tout d’une loterie. « Le faible nombre de PSP peut questionner, admet Stella Dupont, députée LRM et rapporteuse spéciale à l’Assemblée d’un rapport sur l’évaluation financière du dispositif. Il y a besoin d’avoir un socle juridique commun pour harmoniser les réponses aux dossiers. » Histoire d’éviter les injustices. « Souvent, les préfets sont tatillons dans leurs demandes de garanties, il y a une forme de suspicion injustifiée. Les commissions sont beaucoup plus exigeantes que ce que demande la loi. Par exemple, certains préfets refusent le PSP aux personnes qui font l’objet d’une OQTF [obligation de quitter le territoire français], alors que la loi ne prévoit pas du tout qu’elles soient inquiétées », abonde Laura Slimani, de la Fédération des acteurs de la solidarité. Les préfectures de la Vienne et de la Haute-Garonne, ainsi, exigent un certificat de nationalité, particulièrement complexe à récupérer auprès de l’ambassade du Nigeria. Or en France, actuellement, ce sont des Nigérianes qui sont les principales victimes de la traite et donc les premières susceptibles de vouloir entrer dans le PSP.
« Une fois que j’aurai un titre de séjour, je ferai n’importe quel métier. Tout me conviendrait pour ne pas retourner à la prostitution »
Mercy Okotie, Nigériane de 24 ans
Mais du Nigeria à la France, quelles autorités se soucient réellement de ces femmes ? Pas la préfecture des Alpes-Maritimes, contre qui l’avocat Zia Oloumi est aujourd’hui vent debout. Après la commission d’octobre 2017, Grace et les treize autres femmes déboutées se sont tournées vers lui. Depuis, il multiplie les recours judiciaires pour faire annuler cette décision. Et dénonce une situation ubuesque : « D’un côté, la préfecture nous dit avoir des doutes sur le fait que ces personnes aient véritablement quitté la prostitution. De l’autre, la justice nous dit qu’elle ne voit pas l’urgence de la situation ! Pourtant, c’est évident qu’une ancienne prostituée va retourner dans les griffes de son réseau si elle n’a rien pour vivre. » Et c’est précisément ce qu’il se passe : à défaut de PSP, six des clientes de maître Zia Oloumi sont retournées, non pas dans leur pays… mais bien sur le trottoir.
1. D’après le rapport du Sénat sur la lutte contre la prostitution, de 2019.
2. Chiffres de la DGCS du 15 mars 2019.
3. Le prénom a été modifié.
Pénalisation des clients
C’est l’autre volet de la loi du 13 avril 2016 « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel » : désormais, les travailleur·ses du sexe, considéré·es comme des « victimes de la prostitution », ne sont plus censé·es être inquiété·es par la police, contrairement à leurs clients. Ceux-ci encourent aujourd’hui 1 500 euros d’amende (3 750 euros en cas de récidive). Estimant que cette loi engendre une précarité importante pour les personnes prostituées, neuf associations et une trentaine de travailleur·ses du sexe ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en vue de la faire annuler. Le 31 janvier 2019, le Conseil constitutionnel les a débouté·es. Quant aux clients, à fin mars 2019, ils étaient 3 763 à avoir été verbalisés.