Le « par­cours de sor­tie de la pros­ti­tu­tion » est une véri­table errance pour celles qui le demandent

Aider les per­sonnes pros­ti­tuées à quit­ter le trot­toir, c’est l’ambition des par­cours de sor­tie de la pros­ti­tu­tion, créés par la loi du 13 avril 2016. Trois ans plus tard, Causette a vou­lu savoir ce qu’il en était vrai­ment… et c’est pas joli joli ! De Poitiers à Nice, enquête sur un fiasco. 

Grace Agbonavbare Laurent Carré 1 copie
À Nice, Grace, 28 ans, s‘est vu refu­ser
le par­cours de sor­tie en 2017.
© Marie Rouge pour Causette

« La jour­née, je marche, je vais à l’église, je dors… Je ne peux rien faire d’autre. Quand je vais voir les gens pour tra­vailler dans les res­tau­rants ou faire du baby-​sitting, ils me disent qu’ils aime­raient bien m’aider, mais ils ne peuvent pas m’embaucher, car je n’ai pas de papiers. C’est vrai­ment dur », raconte Grace, une Nigériane de 28 ans, dans un mélange d’anglais et de fran­çais. Arrivée à Nice (Alpes-​Maritimes) en 2010, elle a été contrainte de se pros­ti­tuer pour rem­bour­ser sa « mama », la femme qui l’a fait venir en France. Une situa­tion typique des réseaux de traite nigé­rians, qui tran­sitent par la Libye, l’Italie, et atter­rissent en France, où des mil­liers de jeunes filles se retrouvent sur les trot­toirs de nos villes. Grace y est res­tée six ans, à quelques pas de la très chic pro­me­nade des Anglais. Jusqu’à ce qu’elle se fasse arrê­ter par la police et envoyer en centre de réten­tion admi­nis­tra­tive, où elle s’est alors tour­née vers une assis­tante sociale de l’association ALC, à Nice. C’est par son inter­mé­diaire qu’elle a appris l’existence du par­cours de sor­tie de la pros­ti­tu­tion (PSP), ce dis­po­si­tif cen­sé per­mettre aux « vic­times de la pros­ti­tu­tion » de chan­ger de vie, en leur don­nant accès, pen­dant deux ans maxi­mum, à une allo­ca­tion men­suelle de 330 euros, à un accom­pa­gne­ment socio­pro­fes­sion­nel et à un titre de séjour pro­vi­soire de six mois, renou­ve­lable trois fois. À la condi­tion, bien sûr, qu’elles aient arrê­té dura­ble­ment la prostitution. 

« On m’a dit que si j’arrêtais de tra­vailler dans la rue, le gou­ver­ne­ment allait m’aider, que j’aurais des papiers, que j’irais à l’école et que je pour­rais ­tra­vailler », se sou­vient Grace. Pleine d’espoir, elle a donc pris sur elle de quit­ter le trot­toir, et l’ALC a méti­cu­leu­se­ment consti­tué son dos­sier pour le PSP, avant de le pré­sen­ter, en octobre 2017, à la com­mis­sion dépar­te­men­tale de lutte contre la pros­ti­tu­tion. Mais à l’arrivée, c’est la douche froide : le pré­fet – à qui revient la déci­sion – a fina­le­ment reto­qué qua­torze des quinze dos­siers pré­sen­tés sur le dépar­te­ment des Alpes-​Maritimes. Dont celui de Grace. Officiellement, aucune rai­son n’a été avan­cée pour jus­ti­fier ce refus. Officieusement, la crainte de créer un « appel d’air migra­toire » a été la plus forte (le seul dos­sier accep­té a été celui d’un homme bul­gare). Contactée, la pré­fec­ture refuse de com­men­ter. « Ils veulent pro­ba­ble­ment que je retourne dans la rue, puisqu’ils ont refu­sé de me don­ner les papiers qui pou­vaient m’aider. Et aujourd’hui, je n’ai rien », résume une Grace déses­pé­rée qui ne sait plus com­ment s’en sortir. 

183 PSP en trois ans

Présentée comme une « avan­cée de civi­li­sa­tion » par Marie-​George Buffet (PC), comme « la loi Veil de notre géné­ra­tion » par l’ancienne ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol (PS), la loi du 13 avril 2016 peinerait-​elle à tenir ses pro­messes ? Sur les 37 000 per­sonnes pros­ti­tuées que compte la France 1, com­bien, comme Grace, ont vu leur dos­sier refu­sé ? Lorsqu’on l’interroge, la Direction géné­rale de la cohé­sion sociale (DGCS) – qui dépend du minis­tère des Solidarités et de la Santé et est char­gée de pilo­ter ce dis­po­si­tif – évite soi­gneu­se­ment le sujet. Et com­bien sont-​elles, réel­le­ment, à avoir pu béné­fi­cier d’un par­cours de sor­tie ? Tout juste 183, selon la même DGCS. Une « pro­gres­sion remar­quable » par rap­port à l’année der­nière, se félicite-​t-​elle… alors que l’on reste bien loin de l’objectif de mille PSP par an ini­tia­le­ment fixé par les pou­voirs publics. 

« Ils veulent pro­ba­ble­ment que je retourne dans la rue, puisqu’ils ont refu­sé de me don­ner les papiers qui pou­vaient m’aider »

Grace, Nigériane de 28 ans 

Si cet objec­tif est loin d’être atteint, c’est que, dans bon nombre de ter­ri­toires, la loi n’est tout bon­ne­ment pas appli­quée. Trois ans après son adop­tion, seules soixante-​deux pré­fec­tures sur cent une ont mis sur pied leur com­mis­sion dépar­te­men­tale – sans laquelle rien n’est pos­sible – et, par­mi elles, trente-​deux à peine sont aujourd’hui actives 2. Quant aux asso­cia­tions agréées pour la mise en œuvre du dis­po­si­tif, « elles ne sont pas en capa­ci­té de faire face aux demandes d’accompagnement vers le par­cours de sor­tie », observe Laura Slimani, de la Fédération des acteurs de la soli­da­ri­té. Car elles n’ont pas les moyens, ni humains ni finan­ciers, d’assurer le sui­vi colos­sal que néces­site le PSP. Un état des lieux qui semble gêner le gou­ver­ne­ment actuel : Marlène Schiappa nous a fait savoir par son cabi­net que son « agen­da » était trop char­gé pour nous répondre, tan­dis que le rap­port d’évaluation de la loi, pro­mis pour octobre 2018, n’a tou­jours pas vu le jour. 

Si le dis­po­si­tif ne mobi­lise pas les pou­voirs publics, il peine éga­le­ment à convaincre les premier·ères concerné·es. En 2018, deux cher­cheurs ont mené une étude auprès des travailleur·ses du sexe : sur 583 per­sonnes inter­ro­gées, 59 % n’avaient pas connais­sance du PSP. Et par­mi celles qui en avaient eu vent, seules 26 % envi­sa­geaient de faire le grand saut. Ce qui ne sur­prend pas tel­le­ment l’ONG Médecins du monde : « Beaucoup de nos usa­gères nous disent qu’elles veulent arrê­ter la pros­ti­tu­tion. Mais quand elles apprennent ce que per­met vrai­ment le PSP, elles nous disent clai­re­ment : “C’est pas pos­sible de nous pro­po­ser une alter­na­tive aus­si médiocre”. » Nombreuses sont celles, en effet, qui ne voient pas com­ment s’en sor­tir avec une allo­ca­tion men­suelle de 330 euros, l’Afis (aide finan­cière à l’insertion sociale et pro­fes­sion­nelle), pour seul sub­side. Dans la rue Saint-​Denis, à Paris, haut lieu des pros­ti­tuées dites « his­to­riques », Nanou, blonde volu­bile d’une qua­ran­taine d’années, se marre : « Que voulez-​vous que je fasse avec 330 euros ? J’achète mes ciga­rettes, et je ne mange pas ! »

« Avec ce PSP, les seules per­sonnes qui peuvent ima­gi­ner accep­ter des condi­tions aus­si indignes sont celles qui n’ont aucune autre pers­pec­tive d’être régularisées » 

Maïwenn, asso­cia­tion Paloma

À Nantes (Loire-​Atlantique), Maïwenn, tra­vailleuse sociale à l’association Paloma, qui mène des actions de san­té auprès d’environ quatre cents travailleur·ses du sexe, le constate tous les jours : « Le PSP est un dis­po­si­tif qui ne cor­res­pond à per­sonne. Les seules qui peuvent ima­gi­ner accep­ter des condi­tions aus­si indignes sont celles qui n’ont aucune autre pers­pec­tive d’être régu­la­ri­sées – et même elles nous disent : “Comment je fais pour vivre ?” » Tous les acteurs du PSP, asso­cia­tions comme admi­nis­tra­tions ou poli­tiques, conviennent aisé­ment que ces 330 euros ne suf­fisent pas à vivre. « On aurait pré­fé­ré que cette aide soit l’équivalent du RSA [reve­nu de soli­da­ri­té active, soit 550 euros, ndlr]. Mais c’était un com­pro­mis à faire pour que la loi puisse pas­ser en 2016 », se remé­more Catherine Coutelle, ancienne dépu­tée de la Vienne. Elle qui avait défen­du bec et ongles le texte du 13 avril 2016, dont elle était d’ailleurs coau­trice, demeure néan­moins « convain­cue que c’est une bonne loi ».

Des habitant·es à la rescousse

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Joy, Nigériane de 22 ans, vou­drait
dépo­ser une demande de PSP.
© Marie Rouge pour Causette

Reste que celles qui décident, mal­gré les obs­tacles, de se lan­cer dans le par­cours de sor­tie doivent, ensuite, attendre plu­sieurs mois entre le moment où elles com­mencent à consti­tuer leur dos­sier et celui où leur requête sera (peut-​être) accep­tée par la pré­fec­ture, char­gée d’organiser les réunions des com­mis­sions dépar­te­men­tales qui sta­tuent sur les PSP… quand bon leur semble. Des mois, par­fois une année, pen­dant les­quels ces femmes, presque toutes sans papiers, doivent se débrouiller seules pour trou­ver un toit et de quoi manger. 

À Poitiers (Vienne), par exemple, le dos­sier de Mercy Okotie, 24 ans, est prêt depuis jan­vier. Mais cette Nigériane a dû attendre le 4 juin pour qu’il soit enfin étu­dié par la com­mis­sion dépar­te­men­tale. En atten­dant, faute d’autre solu­tion, c’est un retrai­té du coin, Jean-​Michel Bernuchon, qui l’héberge dans sa chambre d’amis et lui vient en aide avec ses modestes moyens. Une situa­tion dans laquelle il s’est retrou­vé par la force des choses, au prin­temps 2018. À l’époque, il don­nait un coup de main béné­vole à l’association des Ami·e·s des femmes de la libé­ra­tion, qui vient en aide aux vic­times de l’exploitation sexuelle. C’est comme ça que, par une nuit d’avril, il est venu à la res­cousse de Mercy, qui se pros­ti­tuait alors à l’entrée de la ville. « Elle était cachée sous une voi­ture, ensan­glan­tée. Un client l’avait frap­pée au visage pour lui sou­ti­rer de l’argent », se sou­vient ce retrai­té. Depuis, Jean-​Michel n’a pas eu le cœur de la lais­ser à la rue. Et c’est lui qui l’a aidée à consti­tuer son dos­sier de par­cours de sor­tie, pour lequel elle nour­rit beau­coup ­d’espoirs. « Une fois que j’aurai un titre de séjour, je ferai n’importe quel métier. Tout me convien­drait pour ne pas retour­ner à la pros­ti­tu­tion », plaide la jeune fille, d’une voix bri­sée. À ses côtés, Joy 3, son amie qui dort par­fois chez Jean-​Michel pour évi­ter la rue, regarde avec envie l'énorme dos­sier de Mercy pour le par­cours de sor­tie. Elle aus­si vou­drait faire sa demande, « mais l’association agréée à qui [elle a] deman­dé de l’aide [lui dit] qu’ils ne peuvent pas s’occuper [d’elle] pour le moment ».

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Cette porte de sor­tie, Blessing 3, une jeune Nigériane ins­tal­lée à Nice, a réus­si à y accé­der l’an der­nier. Elle qui rêve d’une vie toute simple « avec des enfants, un mari et un tra­vail », pré­pare désor­mais son pro­jet d’insertion pro­fes­sion­nelle. Tous et toutes les béné­fi­ciaires du dis­po­si­tif y sont tenu·es. L’objectif étant de les ame­ner à décro­cher un emploi dès que pos­sible. C’est dans cette optique que cette femme de 26 ans assiste à « trois cours de fran­çais par semaine » afin d’être assez armée « pour suivre une for­ma­tion dans le ser­vice à la per­sonne et pou­voir prendre soin des autres », détaille-​t-​elle. Pour les per­sonnes en PSP, c’est presque tou­jours dans l’aide à la per­sonne, le net­toyage ou le maraî­chage que s’inscrit leur nou­vel hori­zon pro­fes­sion­nel. « Il arrive que certain·es aient d’autres pro­jets, mais la com­mis­sion leur rit au nez : “Ha ha ha, elle est com­plè­te­ment uto­piste.” », a consta­té June Charlot, de l’association Grisélidis, agréée en Haute-​Garonne, qui a pour l’heure renon­cé à pré­sen­ter de nou­velles demandes de PSP – faute de per­son­nel pour suivre les poten­tiels béné­fi­ciaires. Et dans ce dépar­te­ment, gare à celles qui tra­vaillent « un peu trop ». Car la pré­fec­ture a une façon bien à elle d’interpréter les textes. Sur le papier, pour béné­fi­cier de l’Afis, les « res­sources men­suelles » des béné­fi­ciaires ne doivent pas excé­der le mon­tant du RSA, soit 550 euros. Mais ici, selon June Charlot, l’Afis est consi­dé­rée comme une res­source. Autrement dit, dès lors qu’une per­sonne en PSP touche plus de 220 euros de salaire… elle se voit reti­rer ses 330 euros d’allocation ! Contactée, la pré­fec­ture n’a pas don­né suite à nos demandes.

Autre sou­ci : une fois le PSP obte­nu de haute lutte, rien n’est pré­vu côté loge­ment. En théo­rie, les béné­fi­ciaires du dis­po­si­tif sont prio­ri­taires pour les demandes de loge­ment social. « Le pro­blème, c’est qu’en France, il n’y en a pas suf­fi­sam­ment. Donc on peut bien être prio­ri­taire à quelque chose qui n’est pas dis­po­nible, ça ne marche pas. Et on est obli­gés de recou­rir à la débrouille », concède Claire Quidet, porte-​parole du Mouvement du nid, une asso­cia­tion qui accom­pagne près des trois quarts des béné­fi­ciaires du PSP. Sur le ter­rain, les asso­cia­tions se démènent donc pour ten­ter de dégo­ter une place dans un centre d’hébergement, dans une église, un va-​et-​vient au 115… par­fois en vain. Dans la Vienne, la situa­tion est telle que Rosen Hicher, cette ancienne pros­ti­tuée qui s’est bat­tue pour la loi du 13 avril 2016, a lan­cé une péti­tion début mai, mena­çant d’entamer une grève de la faim si aucune solu­tion n’était appor­tée par les pou­voirs publics pour « trou­ver un toit et des moyens de sur­vie » aux vic­times de la pros­ti­tu­tion. Depuis, la mili­tante a fait marche arrière. Est-​ce parce que la pré­fec­ture mise en cause finance cer­taines de ses actions de sen­si­bi­li­sa­tion ? Le fait est que deux jeunes femmes actuel­le­ment en PSP, Happy et Charity, sont tou­jours en quête d’un toit à Poitiers. Et Causette a pu consta­ter le fiasco.

“Jeunes femmes polytraumatisées”

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À Poitiers, Jean-​Michel héberge Mercy
(24 ans) et, par­fois, Joy (debout).
© Marie Rouge pour Causette

Ici, la pré­fec­ture se repose déci­dé­ment beau­coup sur la géné­ro­si­té de ses administré·es. Jean-​Michel, le retrai­té, mais aus­si Elsa, qui, pen­dant plu­sieurs mois, a héber­gé quatre jeunes Nigérianes sou­hai­tant quit­ter la pros­ti­tu­tion, dont Joy, Happy et Charity – ces deux der­nières ayant obte­nu leur PSP en cours de route. « Ma mère, décé­dée en juillet 2017, vou­lait que sa mai­son béné­fi­cie aux femmes en dif­fi­cul­té », retrace cette thé­ra­peute, en fai­sant visi­ter l’ancien refuge. Épuisée, elle jet­te­ra fina­le­ment l’éponge en jan­vier der­nier, faute de sou­tien. Car à l’exception d’une sub­ven­tion de 5 000 euros pour les charges de la mai­son, la délé­guée aux droits des femmes de la Vienne, Valérie Lamarche, ne l’a jamais accom­pa­gnée dans sa démarche, ni pro­po­sé de for­ma­tion pour l’aider à accueillir ces « jeunes femmes poly­trau­ma­ti­sées qui vivent la nuit, dorment le jour et refusent de man­ger de la nour­ri­ture fran­çaise », souffle Elsa, qui a fini par délo­ger ses quatre hôtes. Parmi elles, Happy et Charity, cen­sées être sui­vies à Poitiers pour leur PSP, n’ont donc eu d’autre choix que de par­tir à… Paris, où elles ont trou­vé par elles-​mêmes un contrat à temps par­tiel pour faire des ménages dans un hôtel. « C’est une réus­site », s’enthousiasme sans sour­ciller Valérie Lamarche, qui compte faire trans­fé­rer leurs dos­siers à Paris. Mais en atten­dant, les jeunes femmes se trouvent livrées à elles-​mêmes. « En ce moment, je par­tage un lit avec Happy chez une amie, à gare du Nord. Je fais quatre heures de ménage par jour, mais je n’ai pas assez pour vivre. Si j’avais un endroit pour vivre à Poitiers, je pré­fé­re­rais y retour­ner », confie Charity. Quant à Joy, elle est retour­née à la rue et dort la plu­part du temps dans l’ascenseur de la gare.

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Le constat glo­bal est d’autant plus révol­tant que, lorsque la volon­té poli­tique est là, le PSP peut por­ter ses fruits. C’est le cas pour Glorious 3, une jeune Nigériane de 22 ans arri­vée à Nantes en 2016 et for­cée de se pros­ti­tuer pour rem­bour­ser les 35 000 euros que lui récla­mait sa pas­seuse. Soutenue par le « pas­teur Marcel », une figure locale qui l’a héber­gée pen­dant près de deux ans dans son église, puis par le Mouvement du nid, elle a inté­gré le par­cours de sor­tie en juin 2018. Depuis, Glorious vivote avec ses 330 euros men­suels. Mais elle ne cache pas sa joie d’avoir pu béné­fi­cier de ce dis­po­si­tif, elle qui avait été débou­tée de sa demande d’asile trois ans plus tôt. « Maintenant, j’ai des papiers, j’ai un nou­veau loge­ment depuis deux mois [dans une rési­dence de jeunes tra­vailleurs]. Je prends des cours de fran­çais, je tra­vaille lorsqu’on me pro­pose des mis­sions [au sein d’une entre­prise d’insertion sociale]. J’ai une bonne vie », nous raconte, tout sou­rire, celle qui espère com­men­cer bien­tôt une for­ma­tion d’hôtesse de caisse. Dans son mal­heur, Glorious a eu beau­coup de chance : celle d’avoir atter­ri à Nantes, où le Mouvement du nid a pu sala­rier une per­sonne qui se consacre au tra­vail tita­nesque de sui­vi des PSP (la seule dans cette asso­cia­tion natio­nale). Et la chance, sur­tout, d’avoir été la pre­mière sur ce ter­ri­toire à faire la demande. « Aujourd’hui, sur Nantes, une cin­quan­taine de filles vou­draient en béné­fi­cier. Mais on ne peut pas gérer autant de dos­siers. Donc on leur explique que ça prend du temps et, en atten­dant, on les incite à prendre des cours de fran­çais », explique Armelle, béné­vole du Mouvement du nid, où sont actuel­le­ment accom­pa­gnées six jeunes femmes en PSP.

Zèle des préfectures

En réa­li­té, d’un dépar­te­ment à l’autre, le par­cours de sor­tie a tout d’une lote­rie. « Le faible nombre de PSP peut ques­tion­ner, admet Stella Dupont, dépu­tée LRM et rap­por­teuse spé­ciale à l’Assemblée d’un rap­port sur l’évaluation finan­cière du dis­po­si­tif. Il y a besoin d’avoir un socle juri­dique com­mun pour har­mo­ni­ser les réponses aux dos­siers. » Histoire d’éviter les injus­tices. « Souvent, les pré­fets sont tatillons dans leurs demandes de garan­ties, il y a une forme de sus­pi­cion injus­ti­fiée. Les com­mis­sions sont beau­coup plus exi­geantes que ce que demande la loi. Par exemple, cer­tains pré­fets refusent le PSP aux per­sonnes qui font l’objet d’une OQTF [obli­ga­tion de quit­ter le ter­ri­toire fran­çais], alors que la loi ne pré­voit pas du tout qu’elles soient inquié­tées », abonde Laura Slimani, de la Fédération des acteurs de la soli­da­ri­té. Les pré­fec­tures de la Vienne et de la Haute-​Garonne, ain­si, exigent un cer­ti­fi­cat de natio­na­li­té, par­ti­cu­liè­re­ment com­plexe à récu­pé­rer auprès de l’ambassade du Nigeria. Or en France, actuel­le­ment, ce sont des Nigérianes qui sont les prin­ci­pales vic­times de la traite et donc les pre­mières sus­cep­tibles de vou­loir entrer dans le PSP.

« Une fois que j’aurai un titre de séjour, je ferai n’importe quel métier. Tout me convien­drait pour ne pas retour­ner à la prostitution » 

Mercy Okotie, Nigériane de 24 ans 

Mais du Nigeria à la France, quelles auto­ri­tés se sou­cient réel­le­ment de ces femmes ? Pas la pré­fec­ture des Alpes-​Maritimes, contre qui l’avocat Zia Oloumi est aujourd’hui vent debout. Après la com­mis­sion d’octobre 2017, Grace et les treize autres femmes débou­tées se sont tour­nées vers lui. Depuis, il mul­ti­plie les recours judi­ciaires pour faire annu­ler cette déci­sion. Et dénonce une situa­tion ubuesque : « D’un côté, la pré­fec­ture nous dit avoir des doutes sur le fait que ces per­sonnes aient véri­ta­ble­ment quit­té la pros­ti­tu­tion. De l’autre, la jus­tice nous dit qu’elle ne voit pas l’urgence de la situa­tion ! Pourtant, c’est évident qu’une ancienne pros­ti­tuée va retour­ner dans les griffes de son réseau si elle n’a rien pour vivre. » Et c’est pré­ci­sé­ment ce qu’il se passe : à défaut de PSP, six des clientes de maître Zia Oloumi sont retour­nées, non pas dans leur pays… mais bien sur le trottoir. 

1. D’après le rap­port du Sénat sur la lutte contre la pros­ti­tu­tion, de 2019. 
2. Chiffres de la DGCS du 15 mars 2019.
3. Le pré­nom a été modifié.


Pénalisation des clients

C’est l’autre volet de la loi du 13 avril 2016 « visant à ren­for­cer la lutte contre le sys­tème pros­ti­tu­tion­nel » : désor­mais, les travailleur·ses du sexe, considéré·es comme des « vic­times de la pros­ti­tu­tion », ne sont plus censé·es être inquiété·es par la police, contrai­re­ment à leurs clients. Ceux-​ci encourent aujourd’hui 1 500 euros d’amende (3 750 euros en cas de réci­dive). Estimant que cette loi engendre une pré­ca­ri­té impor­tante pour les per­sonnes pros­ti­tuées, neuf asso­cia­tions et une tren­taine de travailleur·ses du sexe ont dépo­sé une ques­tion prio­ri­taire de consti­tu­tion­na­li­té (QPC) en vue de la faire annu­ler. Le 31 jan­vier 2019, le Conseil consti­tu­tion­nel les a débouté·es. Quant aux clients, à fin mars 2019, ils étaient 3 763 à avoir été verbalisés. 

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