Mardi 12 avril, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a dénoncé « des centaines de cas de viol » dans les zones du pays qui ont connu l'occupation russe, « y compris de jeunes filles mineures et de tout petits enfants ».
« Quand le corps des femmes est un champ de bataille ». Ce jeudi matin, la présentatrice du journal de 8h sur France Inter, Florence Paracuellos, introduit l'insoutenable témoignage d'Ekaterina1, une femme ukrainienne de 38 ans, qui, avec sa fille de 13 ans, n'avait pas pu fuir sa maison de Boutcha pour rester auprès de sa mère de 75 ans. Des soldats russes se sont installés chez elles. « Ils m'ont demandé de m'agenouiller puis ils m'ont dit "ta fille est très belle", livre-t-elle au micro de Maureen Mercier. Je les ai suppliés de ne pas la toucher, je leur ai dit : "faites tout ce que vous voulez avec moi mais ne la touchez pas." » Ekaterina est alors violée « plusieurs fois par jour », en présence de sa fille. Laquelle dit : « Ils me demandaient de regarder ma mère se faire violer. Pour que j'apprenne, disaient-ils, pour qu'ils puissent nous utiliser toutes les deux. » Sa mère conclut : « Je crois, mais je ne suis pas sûre, que nous avons survécu. »
Ekaterina et sa fille sont parmi les premières femmes à témoigner, maintenant que les troupes russes sont parties à l'est de l'Ukraine en laissant le chaos derrière elles, dans des médias des atrocités sexuelles qu'elles ont subi. C'était une crainte depuis le début de l'invasion russe le 24 février : l'utilisation du viol comme arme de guerre, pour asservir et humilier les populations ukrainiennes. Mardi 12 avril, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a dénoncé « des centaines de cas de viol » dans les zones du pays qui ont connu l'occupation russe, « y compris de jeunes filles mineures et de tout petits enfants ».
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Début mars, le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kuleba avait déjà accusé des soldats russes de « violer des femmes dans les villes ukrainiennes occupées ». Des accusations qui n’ont pas encore été vérifiées, mais qui ne surprennent guère les spécialistes des zones de conflits. « Nous n’avons pas d’équipe sur place, donc je ne peux rien confirmer, regrette Emilia Sorrentino, de l’ONG Plan international. Mais je sais par mon expérience dans d’autres pays en guerre comme la Bosnie ou le Congo que les violences sexuelles et les viols sont utilisés comme des armes de guerre. »
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Depuis le début de la guerre, près de 4 millions de personnes ont quitté l’Ukraine. Parmi elles, 90 % sont des femmes avec des enfants. Des départs précipités – après de déchirantes séparations avec leurs proches –, qui, comme si cela ne suffisait pas, ne sont pas toujours la garantie de plus de sécurité pour elles. Prendre la route et traverser les frontières peut les exposer à un faisceau de dangers. « Le premier risque auquel elles sont exposées, c’est celui du trafic d’êtres humains », souligne Emilia Sorrentino, actuellement en Moldavie, où 300 000 personnes, dont 43 % de femmes, ont fui l’Ukraine. « Ces femmes et ces enfants arrivent dans un état de grande fatigue et d’isolement, ce qui les rend vulnérables, raconte Emilia. On sait que des gens mal intentionnés essaient d’en tirer profit. Il est impossible de savoir s’il s’agit d’un vaste réseau ou d’initiatives individuelles, mais la menace est réelle. »
Des proies pour les hommes
Ninja Taprogge travaille aussi pour l’ONG Plan international. Elle vient de passer plusieurs semaines à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine. Elle n’a pas assisté à des enlèvements, mais certaines scènes ont attiré son attention. « Je vois encore ces deux jeunes sœurs de 20 ans à peine, seules et un peu perdues devant un centre d’accueil d’urgence où les personnes ne peuvent pas rester plus de soixante-douze heures, raconte-t-elle. Elles attendaient un bus pour tenter de rejoindre leur mère en Pologne. Pendant qu’elles guettaient ce bus, j’ai remarqué des tas d’hommes leur tournant autour. Ils proposaient tous de les emmener dans leur voiture vers Prague, Berlin ou Budapest. Il y en avait certainement de bonne volonté, mais qui sait ce qui peut se passer pour elles ensuite, seules dans un véhicule avec ces inconnus ? » Si la situation était plus confuse au début du conflit, les choses s’orga- nisent au fil des semaines dans les zones qui voient affluer les réfugié·es, pour tenter de les mettre en garde. « Deux choses sont essentielles, résume Emilia Sorrentino. La mise en place de points d’information par des professionnels formés et l’enregistrement de l’identité des réfugiés. » Une meilleure surveillance des volontaires et la création d’endroits réservés aux femmes et aux enfants font aussi partie des solutions mises en place.
Car l’autre menace, c’est celle de l’exploitation ou de l’agression sexuelle. En Pologne, un homme de 49 ans a été arrêté mi-mars pour le viol de l’Ukrainienne qu’il hébergeait. Les femmes restées en Ukraine, en plus de risquer quotidiennement la mort sous les bombes, font aussi face à des risques de violences sexuelles ou de viol.
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- Le prénom a été modifié[↩]