Justyna Wydrzynska, figure de la lutte pour le droit à l’avortement, s’alarme d’un possible nouveau succès du parti nationaliste Droit et Justice (PiS).
“C’est vraiment difficile de prédire ce qu’il va se passer dimanche” lors des élections législatives, un scrutin qui s’annonce serré et qui est jugé crucial pour l’avenir de la démocratie dans le pays par nombre d’observateur·rices, estime Justyna Wydrzynska, lors d’une interview à l’AFP mardi à Paris. “Mais si Droit et Justice (PiS) et la Confédération (extrême droite) obtiennent [de nouveau, ndlr] des sièges au sein du Parlement polonais, cela fera peser une menace immense sur les droits des femmes, les droits LGBTQIA+ et sur tout autre droit progressiste”, ajoute la militante de 49 ans au t‑shirt noir siglé “Abortion is normal” (“L’avortement est normal”).
Justyna Wydrzynska sait de quoi elle parle. En mars dernier, cette mère de trois enfants a écopé d’une peine de huit mois de travaux d’intérêt général pour avoir aidé une femme à avorter – une condamnation sans précédent pour une défenseure du droit à l’avortement en Europe, selon Amnesty International. La fondatrice du collectif Abortion Dream Team, qui conseille et accompagne les femmes souhaitant avorter, se voit reprocher par la justice d’avoir envoyé des pilules abortives en 2020 à une femme qui se trouvait dans sa douzième semaine de grossesse et qui avait été empêchée de se rendre dans une clinique spécialisée en Allemagne par son mari violent. Ce dernier a prévenu la police qui a confisqué les pilules et ouvert une enquête. La femme a fait une fausse couche par la suite.
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Dans la foulée de sa condamnation, Justyna Wydrzynska reçoit le soutien de l’ONU, de plusieurs eurodéputé·es et d’ONG. Amnesty International dénonce “un précédent dangereux en Pologne [qui] donne un aperçu effrayant des conséquences de ces lois restrictives.” Déjà considérée comme l’une des plus restrictives en Europe, la loi polonaise sur l’avortement a été encore durcie en 2020. Le Conseil constitutionnel se range alors aux côtés du gouvernement en décrétant que les IVG sont inconstitutionnelles, même en cas de malformation grave du fœtus. À présent, l’avortement n’est autorisé dans le pays qu’en cas de viol et d’inceste, ou si la vie ou la santé de la mère est en danger.
“Nous n’avons aucune intention d’arrêter nos activités”
Sept mois après une condamnation “injuste” dont elle a fait appel, Justyna Wydrzynska assure qu’elle ne pliera pas, quel que soit le résultat dans les urnes comme au tribunal. En moins d’un an, l’énergique quadragénaire, tombée dans le militantisme après avoir elle-même avorté en 2006, est devenue le visage des droits des femmes en Pologne et de la défense inlassable du droit à l’IVG. Après la France, elle est attendue dans les prochains jours et prochaines semaines en Suède, en Suisse, en Espagne et en Corée du Sud. Si un pays comme la Pologne a pu condamner une personne pour avoir aidé une femme à avorter, “cela peut arriver dans n’importe quel autre pays”, souligne-t-elle, saluant le projet, en France, de sanctuariser dans la Constitution le droit à l’IVG – un projet réaffirmé par Emmanuel Macron début octobre, mais sans échéance précise.
Depuis sa condamnation, Justyna Wydrzynska continue de se battre sur le terrain au sein du collectif Avortement sans frontières, qui est venu en aide en 2022 à 48 000 femmes en Pologne, en leur fournissant informations, pilules abortives ou du soutien pour aller avorter à l’étranger. Le collectif peut compter sur une opinion publique qui se prononce de plus en plus désormais en faveur d’une libéralisation de la loi sur l’avortement. Selon un sondage réalisé en mars dernier, 83,7 % des Polonais·es s’y disent ainsi favorables. Seules 11,5 % des personnes interrogées voudraient maintenir le statut légal actuel. “L’opinion nous soutient”, se félicite-t-elle. Et de prévenir : “Nous n’avons aucune intention d’arrêter nos activités juste parce que le gouvernement veut nous poursuivre, nous sanctionner ou nous museler.”
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