Des employées du ministère afghan des Finances ont révélé au Guardian, avoir reçu des appels de responsables talibans exigeant d'elles de laisser des hommes, et plus précisément les membres masculins de leurs familles, occuper leur propre poste.
Presque un an après la prise de Kaboul et l’exclusion quasi-totale des femmes du secteur public, les talibans continuent d’éroder l’accès à l’emploi des Afghanes. Alors que l’économie du pays s’effondre et que bien des femmes travaillant auparavant au sein de postes ministériels ont déjà été renvoyées chez elles dès l'arrivée au pouvoir des talibans en août 2021, il se pourrait que les employées restantes soient bientôt remplacées par leurs tuteurs, rapporte Le Guardian, lundi 18 juillet.
Plusieurs employées du ministère des Finances ont ainsi révélé au quotidien britannique avoir reçu des appels de responsables talibans leur demandant de recommander des parents masculins à leur place, car « la charge de travail a augmenté et ils doivent embaucher un homme à [leur] place », raconte au Guardian, une Afghane qui s'est résolue à accepter de se faire remplacer par un homme de sa famille.
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Maryam, 37 ans, a elle aussi reçu un appel du service des ressources humaines du ministère des Finances où elle travaille depuis plus de dix ans. Avec l’arrivée des talibans au pouvoir, elle avait déjà été rétrogradée de son poste de cheffe de service et son salaire avait été réduit. Interviewée par Le Guardian, elle raconte : « On m’a demandé de présenter un membre masculin de ma famille pour me remplacer au ministère afin que je puisse être licenciée ».
Pour la jeune femme, qui a pu, comme de nombreuses Afghanes gravir les échelons professionnels grâce aux deux décennies d’occupation militaire américaine, le sentiment d’injustice est immense. « Serait-il capable de travailler aussi efficacement que moi depuis tant d'années ? C'est un poste difficile et technique pour lequel j'ai été formée et pour lequel j'ai des années d'expérience. Et même s'il pouvait éventuellement faire le même travail, qu'adviendrait-il de moi ? », s’interroge Maryam auprès du Guardian. Pour l'heure, Maryam a refusé de se trouver un remplaçant.
Selon la jeune femme, au moins soixante autres femmes travaillant au département des Finances ont reçu des demandes similaires des responsables talibans du ministère. Ces derniers n'ont d'ailleurs pas souhaité répondre aux tentatives du Guardian d'obtenir des éclaircissements sur ces cas.
Perte économique
« Les talibans ont l'habitude d'éliminer les femmes, donc entendre cela n'est ni surprenant ni nouveau », a déclaré Sahar Fetrat, chercheuse adjointe à la division des droits des femmes à Human Rights Watch (HRW) auprès du quotidien britannique. Une exclusion qui pèse sur l’économie du pays, en proie à une grave crise alimentaire et humanitaire depuis le retour des talibans. Sima Bahous, directrice exécutive d'ONU Femmes, avait d'ailleurs déclaré en mai : « On estime que les restrictions actuelles sur l'emploi des femmes entraînent une perte économique immédiate pour le pays pouvant atteindre 1 milliard de dollars, soit jusqu'à 5 % du PIB de l'Afghanistan. »
Maryam et ses collègues ne comptent pas se laisser faire. Notamment, en créant un groupe d'employées du ministère afin de négocier avec les talibans pour garder leurs emplois. « Nous manifesterons s’ils ne nous entendent pas », a‑t-elle prévenu auprès du Guardian. Avec les dangers qu’implique aujourd’hui une mobilisation féminine en Afghanistan sous le régime des talibans.
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