En ce mercredi 20 janvier, jour de l'investiture de Joe Biden et de Kamala Harris à la présidence et vice-présidence des Etats-Unis, Causette a échangé avec Katherine Spillar, cofondatrice de la Feminist Majority Foundation et rédactrice en chef de Ms. Magazine, revue féministe américaine trimestrielle, pour parler des droits des femmes après quatre années dévastatrices passées sous Trumpisme, et la perspective d'un renouveau politique et social avec le retour des Démocrates au pouvoir.
Causette : Nous avions échangé en octobre dernier, juste avant les élections présidentielles. Vous prédisiez alors que Trump ne quitterait pas son siège facilement et vous aviez bien vu. Mais après la dangereuse et meurtrière invasion du Capitole le 6 janvier, tout semble mis en place pour que l'investiture de Joe Biden se déroule dans le calme. Que ressentez-vous ?
Katherine Spillar : Du soulagement ! Ce mercredi 20 janvier est un jour historique. L’élection du président Biden, défenseur de longue date des droits des femmes, et de Kamala Harris, première femme à la vice-présidence, de couleur noire et d'origine asiatique, est une excellente nouvelle après la plaie des années Trump. Nous retrouvons enfin l'espoir.
Pour autant, nous avions conscience des enjeux qui nous attendent, la lutte sera longue pour refermer les cicatrices ouvertes par la présidence Trump. L'heure est à la résilience.
En parlant de résilience, voici le magnifique discours préambule de l'investiture de Joe Biden, de la poétesse Amanda Gorman, 22 ans, qui avait accepté la mission d'évoquer l'unité de la Nation à retrouver après l'invasion du Capitole. Frissons.
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Jusqu'au bout, Donald Trump aura menacé les institutions démocratiques des Etats-Unis. L'attaque du Capitole par les plus radicaux de ses partisans, le 6 janvier, est l'acmé de cette déroute…
K. S. : Notre pays a traversé une période incroyablement perturbée sous la présidence de Trump, et vous avez en effet vu le 6 janvier avec cette invasion du Congrès le point culminant des mensonges et des divisions alimentés par Trump. Avec un bilan de cinq morts dont un policier, nous avons atteint un point de non-retour.
Bien qu'il y ait eu quelques femmes dans la foule, la majorité était des hommes blancs, suprématistes, miliciens d'extrême droite, nationalistes et extrémistes anti-avortement. Des enquêtes sont en cours, y compris à l'encontre de certains membres du Congrès qui auraient facilité l'accès au Capitole en complicité avec les manifestants. Le président et les membres du Congrès eux-mêmes pourraient être poursuivis pour incitation à la violence lors de leurs discours le matin même.
Menacé pour la deuxième fois de destitution (un record !) par le Congrès malgré la fin de sa présidence, Trump peut aussi être empêché par le Sénat de se représenter à la présidence. Il sera également sujet à des enquêtes internes sur ses activités jugées corrompues, notamment dans la gestion de ses diverses entreprises.
Que pensez-vous de la composition du gouvernement proposé par Joe Biden, qui met à l'honneur les femmes à des postes clés ?
K. S. : Le président Biden a composé un cabinet qui sera équilibré entre les sexes, pour la première fois de l’histoire : 48% des nominations de Biden sont des femmes. Les États-Unis, de façon inédite, seront un chef de file mondial en matière de représentation des femmes dans la fonction publique. La Chambre des représentants sera dirigée par une femme féministe, la présidente Nancy Pelosi, et certains des comités les plus puissants de la Chambre seront présidés par des femmes féministes, notamment les comités des crédits, de surveillance et de réforme. Nous entrons véritablement dans une nouvelle ère – un moment de transformation pour l’égalité des sexes et le mouvement pour les pleins droits des femmes.
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Vous venez d'ailleurs de publier votre numéro trimestriel de Ms. Magazine avec une magnifique couverture !
K. S. : Oui ! Nous avons justement voulu célébrer toutes ces femmes qui accèdent à des postes à haute responsabilité à plusieurs niveaux de notre société et qui explorent ce changement de mentalités, avec Kamala Harris en tête ! Nous l'avons titré : « Voici à quoi ressemble la démocratie ».
Quelle est la place du féminisme dans la politique promise par le nouveau tandem de la Maison Blanche ?
K. S. : L'administration Biden-Harris a établi un programme ambitieux pour les femmes. Tous deux sont des partisans de longue date de l'Amendement sur l'égalité des droits (ERA – Equal Rights Amendment), le président Biden ayant joué un rôle clé dans l'obtention de sa ratification finale dans la Constitution américaine. C'est l'une des mesures les plus importantes que l’administration Biden-Harris va entreprendre et qui aura un impact dans nombreux domaines de la vie des femmes de tout âge.
La question de la contraception et des droits de reproduction devrait également être abordée, combat que nous portons depuis longtemps au sein de notre fondation de la majorité féministe. Le duo Biden-Harris a promis de développer des soins de santé abordables et de haute qualité, avec une option d'assurance publique pour tous, de manière à lever les restrictions dévastatrices mises en place par Trump sur l'accès aux soins, et notamment à l'IVG.
Commence maintenant un long travail de reconstruction et de reconquête de liberté d'expression, notamment pour vous, en tant que journalistes …
K. S. : Notre démocratie a survécu… Mais il reste beaucoup à faire pour reconstruire nos institutions. Nos lois sur l'immigration doivent être réformées pour que l'Amérique redevienne un pays accueillant, notre économie doit être reconstruite et la confiance en nos systèmes restaurés. Nous devons nous assurer que les électeurs disposent d’informations exactes et que les Américains se fient de nouveau à la presse, fortement malmenée par Trump et sa haine de certains médias. Les « fake news » et la montée du complotisme ont empoisonné le débat public et rendu notre tâche très compliquée.
L'administration Biden-Harris a donc du pain sur la planche pour restaurer la cohésion de la Nation, comme pour faire face à la crise économique liée à la Covid-19, dont les femmes, notamment racisées, sont les premières victimes. Comment le gouvernement compte-t-il y faire face ?
K. S. : Biden est parfaitement conscient que la reprise économique dépend de la pleine participation des femmes. Pour lutter contre le temps partiel contraint par le fait d'avoir des enfants, il s'est engagé à rouvrir les écoles en toute sécurité, à faire « des investissements substantiels dans l'infrastructure de soins dans notre pays » – ce qui implique des services de garde d'enfants de qualité mais abordables – et une école maternelle universelle gratuite pour les enfants de 3 et 4 ans, ainsi que des programmes parascolaires.
Il a également annoncé son intention d'élargir l'accès à l'éducation, en offrant deux ans de collège communautaire sans frais de scolarité et pour les familles à revenus moyens et faibles, un collège public gratuit.
Biden et Harris se sont aussi engagés à adopter des lois plus strictes pour prévenir le harcèlement sexuel sur le lieu de travail et la discrimination sexuelle dans l'emploi et les salaires.
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