Causette fait le point sur les nouvelles du monde dont nous pouvons nous réjouir sur le front des luttes pour les droits des femmes.
![👑 On fait le bilan : les victoires féministes de 2020 👑 1 grayscale photo of woman walking on pedestrian lane](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/12/esgna_ya02y-670x1024.jpg)
On le sait depuis Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. » La crise mondiale de la Covid, sanitaire autant qu’économique, n’a pas manqué de nous faire vérifier l’adage. A l’échelle individuelle, les femmes ont été en première ligne du front des métiers du care, dans une posture souvent sacrificielle pour le bien de la communauté. Le confinement, qui a relégué d’autres femmes à leurs foyers, a eu lui aussi trop souvent de terribles conséquences : au mieux, augmentation des inégalités en matière de partage des tâches, au pire, accroissement des violences conjugales.
Outre le coronavirus, des forces conservatrices ont fait de la résistance face au progrès pour les droits des femmes partout dans le monde : c’est la Pologne qui cherche à interdire totalement l’avortement, le Japon qui repousse ses objectifs de progression de la parité femmes-hommes, ou encore l’Arabie saoudite qui vient de mettre en prison la militante féministe Loujain al-Hathloul.
A l’heure du bilan et sans naïveté aucune, Causette vous propose tout de même une recension de dix bonnes nouvelles pour les droits des femmes de par le monde, comme autant de succès féministes dont nous pouvons nous réjouir. Tout en restant vigilantes face à la précarité de ces victoires, puisqu’il suffira d’une nouvelle crise…
L'Argentine légalise l’avortement
Ce 30 décembre, une marée de femmes vêtues de la couleur de leur lutte, le vert, a envahi les rues de Buenos Aires. Une immense fureur de joie chez elles, des frissons solidaires chez nous à les voir exulter. Après des années de combat, les Argentines ont enfin arraché à leurs parlementaires le droit à l'avortement. Après la chambre des députés le 11 décembre, le Sénat argentin a approuvé sa légalisation, à 38 voix contre 29 (et une abstention).
L'Argentine rejoint dans la liste des pays d'Amérique latine à autoriser sans condition l'IVG Cuba, l’Uruguay, le Guyana et, au Mexique, la ville de Mexico et l'Etat de Oaxaca. Les dissensions entre pro et anti-avortement ont été jusqu'au bout très vives, dans un pays traditionnellement catholique et alors que les sénateurs avaient rejeté un texte similaire en 2018. Depuis 1921, la loi était inchangée, et autorisait uniquement des interruptions de grossesse dans le cas de viol ou de danger pour la vie de la mère. Toutes nos félicitations aux militantes argentines qui viennent de gagner leur droit à disposer de leur corps comme elles l'entendent des années de luttes.
Le Soudan et le Tchad renforcent leurs lois contre l’excision
Après le Soudan en mai 2020, le Tchad a emboîté le pas de son pays voisin et criminalisé les mutilations sexuelles en septembre dernier. Bien que ces pratiques soient interdites par la loi depuis 2002, de très nombreuses exciseuses les effectuent clandestinement, soutenues par des familles de jeunes femmes, qui souhaitent perpétuer une tradition ancestrale très ancrée. Face à l’échec de la sensibilisation initiée par l’Eglise catholique, et suite à un rapport alarmant de l’ONU qui rapporte qu’aujourd’hui, 80% des filles de 5 à 14 ans sont excisées, les autorités soudanaise et tchadienne ont mis en place ce renforcement législatif qui qualifie de crime la mutilation génitale féminine, auparavant considéré uniquement comme un délit. L’excision d’une jeune femme, qu’elle soit pratiquée dans un établissement médical ou non, est désormais punie de trois ans d’emprisonnement assortis d’une amende, au Tchad comme au Soudan.
Des protections hygiéniques gratuites pour toutes en Ecosse
L’Ecosse est devenue en février le premier pays du monde à fournir gratuitement des protections hygiéniques à toutes les femmes, sans condition d’âge ou de ressources. À l’initiative de la députée Monica Lennon, la loi a mis en place la distribution de tampons et de serviettes hygiéniques dans des lieux prévus à cet effet : pharmacies, centres d’accueil de jeunes et cabinets médicaux.
La Nouvelle-Zélande s’est également engagée dans la lutte contre la précarité menstruelle en mettant en place en juin 2020 une distribution de protections hygiéniques gratuites dans quinze écoles du pays pour des jeunes filles de 9 à 18 ans.
Cette initiative a finalement trouvé de l’écho en France, bien que le sujet de la précarité menstruelle ait déjà été soulevé par les militantes féministes et Patricia Schillinger, sénatrice du Haut-Rhin, dans un rapport qu’elle a rédigé et transmis au gouvernement en novembre 2019. C’est en septembre de cette année que la gratuité des protections est enfin expérimentée dans des centres d’accueil, d’hébergement, des prisons pour femmes mais aussi lors de la distribution de kits d‘hygiène auprès de femmes SDF. Le budget alloué à ce projet est de 1 million d’euros.
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Selon l’association Règles élémentaires, 1,7 million de femmes sont victimes de précarité menstruelle en France en 2020.
Le Danemark place le consentement au cœur de sa loi pénalisant le viol
Enfin ! Le Danemark a adopté en décembre 2020 un projet de loi visant à qualifier de viol tout acte sexuel sans consentement.
Amnesty International dénonçait encore dans un rapport de 2019 le fort taux de viols dans les pays nordiques, notamment dans le milieu étudiant, et l’impunité qui y est associée. 30 % des Danoises auraient été victimes de viol au moins une fois dans leur vie contre 22 % en moyenne dans l’Union Européenne. Il est temps que ces chiffres baissent drastiquement, et cela passera par une reconnaissance et un suivi des victimes, enfin amorcés au Danemark.
Désormais, la qualification de viol est systématique en matière d’acte sexuel sans consentement, qu’il y ait violence associée ou non. Une personne peut donc être accusée de viol si sa ou son partenaire ne donne pas explicitement son accord. En Suède, depuis l’entrée en vigueur en 2018 d’une loi similaire, le nombre de condamnations pour viol a augmenté de 75%.
A Hawaï, le plan de relance sera « féministe »
Si, en France, les débats sur la sortie de crise économique post-Covid se sont centrés sur la possibilité d’une relance « verte », le petit Etat américain d’Hawai propose une autre vision. Dans cet archipel du Pacifique, la Commission d’Etat sur le statut des femmes a soumis en avril au gouvernement un « plan de relance économique féministe » et, fin décembre, trois comtés sur cinq que compte Hawai avaient validé son principe.
L’équité et la justice sociale sont au cœur du programme, afin de profiter de la relance pour lutter contre les inégalités économiques entre les femmes et les hommes. Le rapport remis au gouvernement dénonce un sexisme systémique à Hawai et estime ainsi que pour un dollar gagné par un homme, une femme autochtone ne gagnera que 70 cents. Il propose donc de développer les aides sociales et minimums salariaux – notamment en faveur des mères célibataires -, de créer des congés payés familiaux – une rareté aux Etats-Unis – et de donner accès aux femmes aux « emplois verts », jusqu’ici prérogative masculine. L’approche, qui se veut « holistique », est aussi censée favoriser l’économie circulaire et avoir un impact favorable sur l’environnement.
S’il faudra plusieurs mois pour se rendre compte de la mise en œuvre réelle de ces propositions, on ne peut que saluer l’initiative, qui instaure le principe d’intégration de lutte contre les inégalités de genres dans les prises de décisions économiques.
Le Liban criminalise le harcèlement sexuel
Etat en faillite, pauvreté galopante, explosion qui a fait 204 morts et plus de 6 500 blessés à Beyrouth en août : on sait le Liban exsangue alors on ne pourra que se réjouir de cette nouvelle tombée fin décembre. Le parlement libanais vient de voter une loi criminalisant le harcèlement sexuel, notamment au travail, et c’est une première dans le pays. La proposition de loi était portée depuis deux ans par la députée chiite Inaya Ezzedine, du mouvement Amal.
Si ces nouvelles dispositions restent imparfaites, notamment parce que certaines ONG craignent que les victimes n’osent pas porter plainte dans le cadre d’une affaire pénale et donc publique, contrairement à l’anonymat de la correctionnelle, c’est néanmoins un pas dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Notamment car, par la même occasion, des amendements ont été apportés à la loi contre les violences domestiques, qui permet désormais le retrait de la garde des enfants à un conjoint violent.
A Singapour, Nicole Lim fait un carton avec son podcast féministe Something private
Nicole Lim n’a que 24 ans mais elle s’est déjà rendue indispensable aux oreilles de milliers de Singapouriennes et même de Malaisiennes ou d’Indonésiennes. Depuis août 2019, la jeune femme parle ouvertement de sexe, de plaisir et d’intimité en anglais dans son podcast Something private. Règles, masturbation, consentement, sexualité des personnes handicapées… Le podcast résolument féministe de Nicole Lim crève tout azimut les abscès des sociétés patriarcales de Singapour et des pays limitrophes. A écouter de toute urgence pour celles qui veulent comprendre les luttes et les aspirations des jeunes femmes en Asie du Sud Est.
La fin de l’ère Trump marque le retour au pouvoir des femmes américaines
Un vent nouveau souffle pour les Américaines, après quatre années de sexisme étatique sous Trump. Depuis son élection à la Maison Blanche, Joe Biden a mis les femmes à l’honneur, avant tout avec la nomination de sa vice-présidente Kamala Harris. L'ex-sénatrice décroche un poste encore jamais dévolu à une femme, et est aussi la première personne noire d’origine asiatique à occuper cette fonction.
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Le nouveau président américain ayant déjà 78 ans, ne briguera certainement pas de nouveau mandat, ce qui inscrit Kamala Harris comme légitime héritière du bureau ovale. Rendez-vous dans 4 ans !
La communication de la maison blanche revient également à une équipe 100% féminine, avec Kate Bedingfield nommée directrice du service après avoir accompagné Joe Biden lors de sa campagne, et Jen Psaki, qui a déjà travaillé sous le gouvernement Obama, en tant qu’attachée de presse.
D'autres postes exécutifs d'importance sont aussi dévolus à des femmes. Si sa nomination est confirmée par le Sénat, Deb Haaland deviendra la première femme amérindienne à occuper un poste ministériel de grande importance : l’Intérieur. La tout juste sexagenaire, membre de la tribu Laguna Pueblo au Nouveau-Mexique, sera chargée en tout premier lieu de la lutte contre le réchauffement climatique. Pour diriger la politique commerciale étasunienne, Joe Biden a choisi Katherine Tai, avocate d’origine taïwanaise qui parle couramment mandarin, un atout certain dans les relations sino-américaines. Et pour terminer avec la liste féminine à de hauts postes de l’administration Biden, quatre femmes sont nommées pour accompagner le redressement économique du pays : Janet Yellen, ex-présidente de la Réserve Fédérale, à la tête du Trésor, Neera Tanden, consultante économique d’origine indienne, au poste de directrice du Bureau de la gestion et du budget, Cecilia Rouse, afro-américaine, prendrait la direction du Conseil Economique au président, et enfin Heather Boushey, spécialiste des inégalités entre hommes et femmes sur le marché du travail, viendrait renforcer ce service à la Maison Blanche. Ces nominations actent une rupture radicale avec la politique Trump, qui n’avait élu à des postes clés uniquement des hommes blancs, et ma foi, ça nous réjouit !
Entre flux et reflux, la vague #MeToo continue d'inonder la planète
L’année 2020 a débuté sur la retentissante condamnation à 23 ans de prison, le 24 février, d’Harvey Weinstein, pour viols et agressions sexuelles. Une victoire pour les victimes du producteur américain qui avaient lancé le mouvement #MeToo, mais aussi un signe d’espoir pour les millions de femmes anonymes qui, aux quatre coins de la planète, libèrent leur parole sur la violence sexuelle qu’elles ont subie.
Depuis, les dénonciations et appels à justice utilisant le slogan #MeToo ou son corollaire #IWas (précisant l’âge auquel les victimes ont été abusées) continuent de pleuvoir sur l’ensemble des continents. Certes,l’acquittement de l’animateur télé Gilbert Rozon au Canada le 15 décembre, dans un procès emblématique lui aussi, a quelque peu terni le tableau. De la libération de la parole à l'obtention de justice, la route est longue mais malgré cela, #MeToo continue coûte que coûte d’essaimer. Voici quelques exemples.
En France, le mouvement #IWasCorsica s’est organisé sur les réseaux sociaux dès le printemps pour rassembler des victimes communes de plusieurs hommes et tenter d’obtenir justice malgré le mauvais accueil de la police.
Au Cameroun en juillet, des athlètes ont accusé le président de la Fédération nationale de karaté d’attouchements et harcèlement, avec dépôt de plainte. Le même mois, la libération de la parole se relançait en Egypte, suite à une histoire de viol dans le milieu estudantin aisé du Caire.
En Turquie, des voix de victimes secouent la corporation des avocats (en juin) autant que le milieu littéraire (en novembre), et certaines dénonciations ont abouti à une enquête judiciaire.
En novembre en Suisse, la RTS a été contrainte de mettre au point une charte anti-harcèlement et de suspendre deux cadres du média public après la révélation de cas de harcèlement sexuel.
En Chine, grâce à la persévérance de la jeune victime Zhou Xiaoxuan – devenue une des figures de #MeToo en Chine – le procès pour harcèlement sexuel de Zhu Jun, un animateur de télévision vedette, s’est ouvert début décembre. Une avancée énorme dans le pays, qui s’accompagne d’une bande-son : la chanteuse grand public Tan Weiwei vient de sortir un album très remarqué par l’internet chinois évoquant à mots ouverts les violences faites aux femmes dans son pays. Chacun des titres de l’album porte le nom d’une femme, célèbre ou anonyme. A priori, le succès est désormais trop fort pour que ces chansons soient censurées par les autorités.
Des avancées législatives notables pour les femmes en France
Depuis un décret paru au Journal officiel du 6 juin 2020, faisant suite à une mesure annoncée en novembre 2019 lors du Grenelle contre les violences conjugales, les victimes peuvent débloquer leur épargne salariale, ce qui leur permet de s’éloigner le plus rapidement possible de leur agresseur. Jusqu'alors limité à un mariage, un Pacs, l'arrivée d'un troisième enfant, un divorce ou une séparation, le déblocage de l'épargne salariale est désormais possible en cas de violences commises par un (ex)conjoint, un (ex)concubin ou un (ex)partenaire de pacs. Pour en bénéficier, il faut cependant avoir obtenu d’un juge une ordonnance de protection interdisant à un conjoint violent de s’approcher de sa victime ou de ses proches.
Le 8 octobre 2020, l’ Assemblée Nationale a adopté en première lecture une proposition de loi concernant l’allongement de la durée de recours à l’avortement de 12 à 14 semaines. Le premier confinement au printemps dernier avait soulevé la problématique de l’accès à l’IVG et questionné le renforcement du droit à l’avortement. Par ailleurs, la loi de financement de la sécurité sociale votée le 14 décembre dernier, qui met en place une expérimentation pour trois ans de la pratique de l’IVG chirurgicale par les sages-femmes, jusque là limité·es à la pratique de l’IVG médicamenteuse.
Concernant la durée du congé paternité en France, inchangée depuis 18 ans, elle est passée de 14 à 28 jours, suite à une décision gouvernementale en septembre 2020 et applicable à partir du 1er juillet 2021. A l’image des pays scandinaves, cette décision rééquilibre en partie la charge parentale. La Suède, pionnière sur le sujet du congé paternité instauré en 1974, propose un système égalitaire où chaque parent doit poser au moins 60 jours et se répartir les 360 jours restants comme ils l’entendent, ce qui autorise en tout sur un couple 480 jours de congés. Si nous en sommes loin en France avec les 28 jours offerts aux jeunes pères, il n’en demeure pas moins que 7 jours devront désormais être posés obligatoirement.
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Des militantes, journalistes, architectes, scientifiques récompensées en 2020
L’année 2020 aura couronné de nombreuses femmes dans des domaines très variés.
Avant tout, nous nous réjouissons de savoir que la jeune pakistanaise Malala Yousafzai, fer de lance du droit à l’éducation des filles et ambassadrice des Nations Unies, a été diplômée d’Oxford à Londres en juin 2020. Un symbole magnifique pour son combat !
Côté prix, c’est une journaliste russe qui a reçu le prix du courage Reporters sans Frontières, Elena Milashina, pour son travail sur les questions politiques en Tchétchénie. Ses articles, notamment publiés dans le journal d’opposition russe Novaïa Gazeta, lui valent de nombreuses menaces, mais qui n’entament en rien le feu qui l'anime.
C’est une première dans le milieu de l’architecture jusque-là largement dominé par des hommes : un duo de femmes a reçu cette année le prestigieux prix Prisker. Les deux architectes irlandaises, Shelley McNamara et Yvonne Farrell, 68 et 69 ans, ont été récompensées pour leur travail tourné vers la citoyenneté et la transmission culturelle.
C’est également inédit, les lauréates du prix Nobel de Chimie sont aussi deux femmes, la Française Emmanuelle Charpentier, et l’Américaine Jennifer A. Doudna, consacrées en octobre 2020 pour leur invention de ciseaux permettant de modifier les gènes.
En restant dans le domaine de la recherche, la communauté scientifique consacre en cette fin d’année le travail de Katalin Kariko, 65 ans, la biochimiste à l’origine de la théorisation de l’ARN messager, l’acide ribonucléique, composant du nouveau vaccin contre la Covid 19. Cette méthode inédite est le fruit d’années de travail dédaignés, enfin saluées à leur juste valeur. Le parcours de cette chercheuse, née en Hongrie, et arrivée dans les années 80 aux Etats-Unis force le respect, de par sa persistance et sa reconnaissance tardive. Et apparemment, Katalin Kariko est fière qu'on parle d'elle jusqu'en France !