Sans elles, la situation serait bien pire. Rencontre avec ces militantes qui, toute l’année, bataillent sur le terrain pour aider les femmes victimes de violences. Certaines en ont fait leur métier, d’autres sont bénévoles. Mais toutes sont mues par le même élan : protéger leurs sœurs. Elles nous racontent ce qui les tient, et pourquoi, tous et toutes ensemble, il ne faut rien lâcher !
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![Témoignages : des militantes sur le terrain, qui ne lâchent rien ! 2 116 violences faites aux femmes militantes ma¨te albagly jocelyn collages pour causette](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/116-violences-faites-aux-femmes-militantes-ma¨te-albagly-jocelyn-collages-pour-causette-737x1024.jpg)
Maïté Albagly
Ancienne directrice du numéro Femmes Violences Info service, écoutante du 3919 pendant le confinement
« Le 3919 est une asso que j’admire beaucoup. Pendant le confinement, nous recevions en moyenne neuf cents appels par jour, soit 40 % de plus que d’ordinaire. Avant tout, on écoute. L’important quand on est écoutante, c’est de ne jamais être frustrée. Il faut comprendre que parfois, les femmes reviennent auprès de l’agresseur, que ça fait partie du parcours des victimes. C’est pour ça que toutes nos écoutantes – vingt et une – sont formées et salariées. Nous avons aussi quarante ans de connaissance du réseau militant, ce qui nous permet d’orienter les femmes vers les assos adéquates – en cas de viol, de mutilations… Depuis des années, on demande à être plus nombreuses et que le 3919 soit accessible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. L’an dernier, le Grenelle a encouragé cette ouverture, mais pour ce faire, on ouvre le 3919 au marché public. Cela signifie que l’écoute risque d’être mise en concurrence entre des boîtes privées ! C’est très dangereux, ça m’inquiète. Ce qui fait chaud au cœur, c’est quand une femme appelle pour la première fois et arrive à mettre des mots sur son histoire. Je sens un tel soulagement… C’est la moitié du chemin parcouru. »
![Témoignages : des militantes sur le terrain, qui ne lâchent rien ! 3 116 violences faites aux femmes militantes Sabrina Bellucci © Jocelyn Collages pour Causette](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/116-violences-faites-aux-femmes-militantes-Sabrina-Bellucci-©-Jocelyn-Collages-pour-Causette-777x1024.jpg)
Sabrina Bellucci
Directrice de Viaduq-France Victimes 67, association qui organise
des rencontres entre condamnés et victimes de violences conjugales
« Les rencontres entre condamnés et victimes se déroulent dans des lieux neutres, avec des personnes qui ne se connaissent pas, sont volontaires et se voient plusieurs fois. Elles y sont préparées pendant plusieurs semaines. Je souhaitais qu’au-delà des dispositifs judiciaires, la parole des femmes soit entendue par les personnes concernées. Elles peuvent faire prendre conscience aux hommes des conséquences de leurs actes sur la vie des victimes, ce qui n’est pas possible dans un tribunal. Et cela donne du pouvoir aux femmes. Aujourd’hui, il y a des dizaines de dispositifs et on a certains moyens (taxis, téléphones “grand danger”…), mais pas l’organisation adéquate pour suivre les victimes. Ce qui me frustre aussi, c’est que dans les hébergements d’urgence, personne n’avait pensé à donner un pack de première nécessité aux femmes qui viennent pourtant de fuir ! On l’a mis en place illico. Après, je suis ravie de voir que le seuil de tolérance des femmes a baissé. De plus en plus de jeunes femmes s’indignent contre les violences psychologiques notamment. Ça arrête le cercle vicieux plus tôt. Et ma joie, c’est de voir les femmes qui s’en sortent. On devrait plus médiatiser ces histoires, pour montrer qu’il y a un “après”. Ce sont les victimes qui m’ont appris la dignité. Je leur en serai reconnaissante à vie. »
![Témoignages : des militantes sur le terrain, qui ne lâchent rien ! 4 116 violences faites aux femmes militantes Fatima Le Griguer Atig © Jocelyn Collages pour Causette](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/116-violences-faites-aux-femmes-militantes-Fatima-Le-Griguer-Atig-©-Jocelyn-Collages-pour-Causette-652x1024.jpg)
Fatima Le Griguer-Atig
Psychologue, fondatrice de l’Unité spécialisée d’accompagnement du psychotraumatisme (Usap) de l’hôpital Robert-Ballanger (Seine-Saint-Denis)
« À l’hôpital, rien n’était fait pour les femmes victimes de violences. Il m’est donc venu l’idée de créer l’Usap. Elle a permis de former le personnel au repérage et au suivi de ces femmes ; d’installer au sein même de l’hôpital des permanences de recueil de plaintes – ce qui non seulement sensibilise les policiers, mais permet aussi les dépôts de plainte tout de suite dans un environnement de confiance – et d’organiser un accompagnement thérapeutique. Nous proposons des séances groupées d’hypnose, des ateliers où les femmes peignent ce qu’elles ont du mal à verbaliser… L’équipe compte deux masseuses. Ce qui me met en joie, c’est d’être au plus près des femmes et de faire directement remonter notre expérience au ministère de la Santé, qui m’a contactée pour rédiger un cahier des charges de bonnes pratiques pour l’accompagnement des victimes. La question la plus épineuse est celle du logement. Il nous faudrait une assistante sociale pour trouver des hébergements. Car le téléphone “grave danger” n’arrête pas l’agresseur. Il faudrait qu’il ne puisse pas retrouver la victime. C’est pour ça qu’on attend avec impatience la mise en place du bracelet antirapprochement. Je sais que ce qu’on propose fonctionne. Quand une femme revient, me dit qu’elle a trouvé un travail et qu’elle va bien, c’est fantastique. »
![Témoignages : des militantes sur le terrain, qui ne lâchent rien ! 5 116 violences faites aux femmes militantes Camille Bernard © Jocelyn Collages pour Causette](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/116-violences-faites-aux-femmes-militantes-Camille-Bernard-©-Jocelyn-Collages-pour-Causette-923x1024.jpg)
Camille Bernard
Membre du comité de pilotage
du mouvement Nous Toutes (Paris).
« En 2017, je suis tombée sur une publication Facebook de Nous Toutes, qui venait de se créer. J’ai assisté à leurs rencontres à Paris et je me suis de plus en plus investie. J’ai notamment organisé l’opération pochoirs. Elle a permis de faire passer des messages au grand public d’une manière ludique. Notre première victoire a été de voir entrer dans le vocabulaire commun le terme “féminicide”, qui était à la base très militant. On voit aussi que les gens ont aujourd’hui une meilleure connaissance des chiffres. Après, ce qui reste affligeant, c’est le manque de moyens alloués par l’État à ce qui était censé être “la grande cause du quinquennat”. Le Grenelle m’a rendue triste. Il faudrait qu’il y ait des campagnes d’information sur le modèle de la sécurité routière. Et des formations, pour les personnes amenées à échanger avec les victimes. Parfois, les forces de l’ordre sont fatiguées de voir les femmes retirer leur plainte puis revenir et porter plainte de nouveau : c’est parce que les policier·ères ne savent pas comment ça fonctionne. Mais c’est la prise de conscience de la société qui fait le plus bouger les choses. Quand chacun sensibilise quelqu’un d’autre, ça fait effet boule de neige et ça motive ! »
![Témoignages : des militantes sur le terrain, qui ne lâchent rien ! 6 116 violences faites aux femmes militantes Martine Fournier © Jocelyn Collages pour Causette](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/116-violences-faites-aux-femmes-militantes-Martine-Fournier-©-Jocelyn-Collages-pour-Causette-642x1024.jpg)
Martine Fournier
Cofondatrice de la Ferme Claris,
gîte familial d’accueil d’urgence à Lézan (Gard)
« Avec mon mari, on s’est engagés dans les camps de réfugiés pendant la guerre Yougoslavie-Kosovo. Puis on s’est dit qu’il y avait aussi des besoins à notre porte. Alors on a décidé de faire de l’accueil avec nos petits moyens. Comme le gîte est à la campagne, à l’écart, et qu’il y a quelqu’un en permanence, les femmes se sentent vraiment sécurisées. Ça nous permet d’être très proches, de cocooner celles qui sont en état de choc et ont besoin de parler. Ou de se taire, d’ailleurs. L’avancée essentielle de ces vingt dernières années, c’est le fait que l’on en parle. Et que les enfants sont reconnus victimes. Par contre, il faudrait que les partenaires dialoguent entre eux : les gendarmes, l’hôpital, les avocats… Ici, dans le bassin alésien, on peut compter sur l’association Reseda pour partager les infos utiles avec tous les acteurs. C’est un privilège. Pour aller plus loin, on travaille notamment sur les hommes auteurs. On imagine des formations, du soin… Et on apprend aux enfants à exprimer leurs émotions. C’est un acquis basique qui les aidera, on l’espère, à ne pas passer à l’acte à l’âge adulte. C’est un travail d’humanité. On se dit que ces femmes ont un courage extraordinaire et je crois que c’est ce qui nous fait tenir. »
![Témoignages : des militantes sur le terrain, qui ne lâchent rien ! 7 116 violences faites aux femmes militantes ynaee benaben jocelyn collages pour causette](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/116-violences-faites-aux-femmes-militantes-ynaee-benaben-jocelyn-collages-pour-causette-1024x560.jpg)
Ynaée Benaben
Fondatrice d’En avant toutes, association de lutte contre les inégalités de genre et créatrice du tchat Commentonsaime.fr destiné aux jeunes femmes et aux personnes LGBTQIA+ qui vivent des violences dans leur couple.
« Militer pour l’égalité était un impératif catégorique pour moi. Je voulais surtout faire quelque chose d’utile pour les moins de 26 ans. Une jeune femme sur sept affronte des situations violentes en couple, en général lors de sa première histoire d’amour, mais cette tranche d’âge ne représente que 11 % des personnes suivies par les associations spécialisées. Sans doute parce qu’elles ne se reconnaissent pas dans l’image de la femme battue présentée dans certaines campagnes. Ceci dit, ça évolue ces dernières années et un gros travail de fond est mené pour mieux leur parler. J’ai donc décidé de créer le tchat Commentonsaime.fr en 2013 pour faire de la prévention et de l’écoute en matière de relations amoureuses, les aider à identifier ce qui est sain et ce qui ne l’est pas. Le tchat est ouvert du lundi au samedi, de 10 heures à 21 heures, et emploie six salariés à temps plein avec le renfort de cinq autres professionnels polyvalents. Depuis le début de l’année 2020, on a mené deux mille conversations. On rassure, on écoute sans jouer les bonnes copines. On identifie le problème et on tente d’apporter des solutions concrètes et une réponse positive, féministe et non culpabilisante. »
![Témoignages : des militantes sur le terrain, qui ne lâchent rien ! 8 116 violences faites aux femmes militantes © Jocelyn Collages pour Causette](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/116-violences-faites-aux-femmes-militantes-©-Jocelyn-Collages-pour-Causette.jpg)
Madeleine
Retraitée bénévole à l’Observatoire départemental des violences envers les femmes
de Seine-Saint-Denis et intervenante au sein
du « protocole féminicide », dispositif unique en France
expérimenté depuis 2014 dans le département.
« Lorsqu’une femme décède sous les coups de son compagnon, ses enfants sont emmenés directement à l’hôpital. Les policiers sont chargés de récupérer quelques objets essentiels au domicile, comme un doudou ou des photos. C’est à ce moment-là qu’on m’appelle. Je prends ma valise sous le bras, ma brosse à dents et je pars les retrouver. Si je ne suis pas disponible, quatre camarades – toutes des grands-mères comme moi – peuvent me relayer. Le principe, c’est de mettre les enfants en sécurité, comme dans un sas bienveillant. La famille n’a pas le droit de venir les voir, car il peut y avoir des pressions. Pendant huit jours, avec l’équipe soignante, on leur crée un cocon. Je reste en permanence à leurs côtés, sauf lors des entretiens avec le pédopsychiatre. Moi, je ne suis pas psy donc je me permets tout : les câlins, les bisous, les massages. Je dors dans la même pièce, parfois que d’un œil, et je note tout ce qui se passe. Je fais tout pour entrer dans leur ressenti, aller au-devant de ce qu’ils éprouvent. Mon but, c’est de les envelopper, de les protéger, de les rassurer pour les aider à se projeter vers l’avenir. Parce qu’on ne peut pas faire plus de mal à un enfant qu’en tuant sa mère. Si on n’agit pas pour lui à ce moment crucial, il risque de devenir un adulte mort-vivant. »
![Témoignages : des militantes sur le terrain, qui ne lâchent rien ! 9 116 violences faites aux femmes militantes Carole Hamel © Jocelyn Collages pour Causette](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/116-violences-faites-aux-femmes-militantes-Carole-Hamel-©-Jocelyn-Collages-pour-Causette.jpg)
Carole Hamel
Présidente de Paroles de femmes à Gaillac (Tarn),
qui a formé 111 « personnes relais » dans le département
pour identifier les femmes victimes de violences.
« Je milite au sein de l’association depuis treize ans. J’ai commencé comme bénévole et je dirige désormais la petite équipe de quatre salariés et de trente militants qui vient en aide aux femmes des villages alentour. La problématique des violences conjugales en milieu rural est peu connue et nécessite un bon maillage du territoire. Nous avons voulu apporter une réponse citoyenne en formant, depuis 2016, 111 commerçants ou représentants des services publics à repérer les femmes en détresse. Ces personnes relais peuvent être la coiffeuse, la postière, le pharmacien ou l’infirmière libérale. Elles disposent un autocollant vert sur leur vitrine ou leur voiture pour se faire connaître des intéressées. Nous les formons toutes pendant plusieurs jours afin qu’elles sachent identifier les situations de violence et qu’elles apprennent à bien réagir. Elles n’ont pas vocation à devenir des écoutants, mais à orienter les femmes vers les structures d’aide. Le dispositif pourrait se développer ailleurs en France. Nous avons mis au point une méthodologie qui va être diffusée dans les autres départements qui se porteront volontaires.
![Témoignages : des militantes sur le terrain, qui ne lâchent rien ! 10 116 violences faites aux femmes militantes Isabelle Steyer © Jocelyn Collages pour Causette](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/116-violences-faites-aux-femmes-militantes-Isabelle-Steyer-©-Jocelyn-Collages-pour-Causette-694x1024.jpg)
Isabelle Steyer
Avocate spécialisée dans les violences intraconjugales.
En mars 2020, elle a obtenu la condamnation de l’État
« pour faute lourde » dans une affaire de féminicide
« Mon envie de défendre les femmes date de mon enfance, de l’époque où je traînais dans le magasin de lingerie de ma mère et que j’entendais certaines clientes se confier sur la violence subie dans leur foyer. J’ai voulu les aider à sortir du piège de l’enfermement de la parole et leur permettre de se défendre. La récente décision du tribunal de Paris, qui a condamné l’État pour “faute lourde” dans l’affaire du décès d’Isabelle Thomas, survenu en août 2014 à Grande-Synthe, dans le Nord, est une grande victoire. Elle a prouvé l’incapacité des institutions à assurer la sécurité de cette femme. Elle a été tuée par balles, tout comme ses parents, par son ancien compagnon, pourtant sous contrôle judiciaire. Il n’a pas respecté, à quatre reprises, l’interdiction d’entrer en contact avec elle, mais aucune sanction n’a été prise. Ma cliente, Cathy Thomas, la sœur et la fille des victimes, a mené un combat rarissime en s’attaquant à l’État. J’espère que la décision va ouvrir la voie, que d’autres femmes vont ferrailler contre les institutions. Comme il n’y a pas eu d’appel, cela peut faire jurisprudence. »
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