Témoignages : ce que #MeToo a chan­gé dans la vie des femmes

Le mouvement de libération de la parole des femmes victimes de violences sexuelles a cinq ans. L'occasion de donner la parole à nos lectrices, qui nous confient ce que #MeToo a bouleversé en elles d'intime mais aussi de prise de conscience politique.

8 mars 7
Le 8 mars 2022 à Paris // M.d.B.

C'est une révolution politique et intime. Publique, dans son procédé même, puisque c'est à travers un hashtag qu'elle s'est diffusée, avec des femmes qui ont osé dire à la face du monde #MoiAussi, j'ai été victime de violences sexuelles. Personnelle aussi, car nombreuses sont celles qui n'ont pas (encore) dit, ne diront peut-être jamais, mais pour qui les témoignages des autres ont fait office d'électrochoc. Et leur ont fait renverser la table de leurs relations avec les hommes.

Apparue début octobre 2017 à l'occasion d'une enquête du New York Times sur Harvey Weinstein, puissant producteur d'Hollywood et prédateur sexuel, la déflagration #MeToo aurait pu se produire plus de dix ans avant. Lorsque, en 2006, la travailleuse sociale américaine Tarana Burke créé l'association new yorkaise Me Too, pour lutter contre les violences sexuelles infligées aux petites filles noires américaines issues des quartiers populaires. « Si #MeToo est devenu viral, c’est parce que les victimes étaient des femmes très privilégiées. Riches, célèbres, et surtout blanches. Même les célébrités noires n’ont pas été incluses dans le mouvement », observe aujourd'hui Tarana Burke dans un article du Monde.

Les violences sexuelles faites aux femmes sont universelles. Aux quatre coins du monde et dans tous les milieux, les femmes n'ont pas attendu l'actrice Alyssa Milano, qui lance le hashtag le 15 octobre 2017, pour les dénoncer. Mais, de fait, il aura fallu que des stars américaines osent dire #MoiAussi pour que les sociétés des pays riches daignent leur accorder de l'attention. Et mener leurs introspections.

En cinq ans, de nombreuses femmes publiques et anonymes ont raconté avec courage ce qu'elles avaient subi. Le grand déballage s'est diffusé sur les réseaux sociaux et dans les médias dans de nombreuses sphères, de #MeTooInceste à #MeTooThéâtre en passant par #MeTooFac. De nombreux hommes publics ont été accusés nommément, grâce à des enquêtes de presse rigoureuses. Des procès ont eu lieu, souvent décevants pour les victimes.

En France, le mouvement s'est accompagné de débats sur le consentement, la culture du viol, les relations entre les femmes et les hommes au sens large. Mais aussi sur le système judiciaire qui, dès le dépôt de plainte, rend le chemin particulièrement ardu pour les femmes qui entendent obtenir justice. On a légiféré : les délais de prescription ont été élargis pour les violences sexuelles à l'encontre des mineur·es ; le consentement de ces dernier·ères ne peut plus être invoqué dans une relation sexuelle avec un adulte. En parallèle, la parole des femmes a été parfois inaudible, souvent contestée, elle a subi un violent backlash qui donne la mesure de la révolution en cours.

Ce mouvement de fond, qui n'appelle aucun retour en arrière possible, a bouleversé la vie de certaines de nos lectrices. Entre prise de conscience et reconfiguration de leurs relations intimes où elles mettent désormais du politique, elles nous racontent aujourd'hui.

Marie, 27 ans

"Ce sentiment de reconnaissance, de solidarité, d'entraide et de puissance que #MeToo dégage m'a permis de me battre pour ma survie et me permettra d'épauler d'autres victimes à mon tour"

"À vrai dire, #MeToo et moi n'avons pas toujours entretenu une relation harmonieuse. Victime d'un viol en 2017, à l'aube de mes 23 ans, ce mouvement est venu me frapper de plein fouet là où je n'avais pas envie de mettre le nez. À cette époque-là, le silence et le déni étaient mes meilleurs alliés, je dirais même, mes outils de survie (avec le chocolat). Pourquoi les cris de révoltes de ces femmes qui avaient le courage de raconter des histoires similaires à la mienne venaient donc perturber mon semblant de tranquillité ?
Impossible pour moi d'accepter l'idée que #Metoo et moi faisions partie de la même équipe. D'autant que je n'étais pas aidée par mon contexte familial, où l'ambiance est plutôt de douter de la parole des victimes qui « se réveillent trop tard ». J'ai donc passé 3 ans à jouer à cache-cache avec lui, emplie de colère, persuadée qu'il ne trouverait jamais la victime en moi que j'avais bien pris soin de faire taire. 
Ce n'est qu'en 2021, un jour d'automne où mes bottes d'infirmière libérale foulaient les feuilles mortes, que je suis tombée nez à nez avec mon agresseur. À sa vue, mon corps tout entier et mon esprit, emportés par une tornade de flashbacks douloureux s'envolèrent pour s'écraser 3 ans en arrière. Atterrissage, face contre terre, à ce jour de juillet 2017. Oui, j'ai été violée par un homme rencontré sur Tinder. Le déni et le silence s'étant fait la malle, je me retrouvais moi, ma détresse et... moi-même. 
Ce n'est qu'à partir de ce moment-là que je compris que #MeToo pourrait être mon nouvel allié. À ce jour, prise en charge au sein du centre régional de psychotraumatisme de Montpellier depuis un an, #MeToo et moi ne faisons plus qu'un. Il y a pour moi une limite à évoquer les faits avec mes amies, parce qu'elles peuvent encore questionner ou minimiser ce qui s'est passé. J'ai donc aussi participé à des groupes de parole, où, à l'inverse, ce que j'avais vécu a été qualifié et reconnu. Cela m'a fait un bien fou parce que je m'étais posé la question de la légitimité de mon statut de victime.
Pour l'instant, je ne suis pas prête à porter plainte, parce que j'ai peur de la déception que pourrait provoquer un non lieu. Mais ce sentiment de reconnaissance, de solidarité, d'entraide et de puissance que #MeToo dégage m'a permis de me battre pour ma survie et me permettra d'épauler d'autres victimes à mon tour. C'est, somme toute, une autre forme de réparation. Je peux donc aujourd'hui pour la première fois écrire noir sur blanc : Je suis Marie, Je suis en vie, Je suis #MeToo." 

Luna1, 23 ans

"#MeToo m'a appris à dire non dans l'intimité et à m'épanouir dans une relation bienveillante"

"Je n'ai pas assisté à l'évolution du mouvement dès ses débuts. En 2017 - j'avais 18 ans - je n'avais pas encore commencé mon éducation au féminisme, et je n'ai vraiment su ce qu'était #MeToo qu'un an plus tard environ. 
Mon éducation féministe, je me la suis forgée seule, grâce aux réseaux sociaux et aux vidéos de militantes sur YouTube qui sensibilisent à la culture du viol. Je me souviens notamment d'une vidéo de la journaliste engagée Marine Perrin dans laquelle elle rappelle la définition juridique d'un viol. C'est là que j'ai conscientisé le fait que moi aussi, j'ai été violée. Quand j'avais 17 ans. Par un de mes amis proches.
Et que j'avais avant ça vécu une longue période de manipulation de sa part. Encore aujourd'hui, six ans plus tard, j'ai du mal à mettre des mots dessus, et je n'en ai parlé qu'avec mon copain et un ami qui avait appris les faits parce que bien sûr, l'événement a fuité. J'ai appris par la suite que plusieurs personnes de notre ancienne classe étaient au courant - mais au courant de quoi finalement ? Peut-être que dans la version qui court, je suis une salope qui laisse les mecs me toucher. Je n'ai aucune idée de ce que ces anciens camarades savent.
Je pense que ce mouvement a beaucoup fait de bien : je remarque que la génération de mon petit frère est bien plus sensibilisée aux questions de consentement que je ne l'étais à son âge. Moi, j'avais intériorisé le fait que les garçons doivent faire le premier pas, qu'ils sont aux manettes de la relation. On ne me l'a pas inculqué mais je pense que c'est une idée qui est présente un peu partout, par exemple dans les livres pour adolescentes où l'héroine a des love interests et attend pourtant que ce soit son crush qui manœuvre.
Quand je fais l'amour avec mon copain, nous nous assurons toujours que les actes proposés sont désirés par l'autre personne. Avec cette relation composée de respect et de bienveillance, j'ai appris à dire non. Le mouvement a impacté les gens jusque dans l'intimité, c'est une bonne chose. 
En relisant votre appel à témoignages, je vois que la première question que vous posez est "Le mouvement de libération de la parole a‑t-il fait éclore la vôtre ?", et pour moi la réponse est non. Je ne peux pas raconter ce que j'ai vécu, ni à mes parents parce que je me sens le devoir de protéger ma mère qui est fragile, ni à mes amies, c'est étrange. Pourtant j'éprouve une très forte culpabilité à cette idée : comme je n'ai pas dénoncé mon violeur, peut-être que ça lui aura permis d'agresser d'autres femmes. Et c'est quelque chose dont j'ai très peur. 
Je joins à ce mail le témoignage complet de tout ce que j'ai vécu (tout ce dont je me souviens) avec mon agresseur. Pas pour qu'il soit publié, partagé ou rendu public mais pour me dire que peut-être quelqu'une le lira et peut-être qu'ainsi, finalement, ma parole aussi aura été libérée."

Caroline, 40 ans

"Léa, une connaissance, me contacte pour me proposer de participer à un groupe de parole entre femmes. Son idée : alors que nous ouvrons la voix sur les violences sexistes et sexuelles que nous subissons, il nous faut aussi parler de désir."

"En octobre 2017, cela fait trois ans que j'élève mon fils seul, depuis sa naissance. Je participe, à ma toute petite échelle, aux tweets #BalanceTonPorc [la version française de #MeToo, lancée dans son sillage par Sandra Muller]. J'y dénonçais un collègue - j'étais à l'époque journaliste. Un jour, je m'étais retrouvée seule dans un bureau avec lui et j'avais eu peur, parce qu'il s'était permis des réflexions salaces et qu'il avait une très mauvaise réputation mais fort heureusement, il ne m'était rien arrivé de grave. C'est drôle, parce que par la suite, j'ai su que deux autres journalistes, dont Giulia Foïs, avaient utilisé #BalanceTonPorc pour dénoncer les agissements du même type. Le sexisme ambiant et le laisser-faire des rédactions sur ce genre de comportements, c'est ce qui m'a fait m'éloigner du journalisme ces dernières années, je suis aujourd'hui principalement enseignante. En tweetant pour témoigner de ce que j'avais vécu, j'avais l'impression de participer à un truc énorme, d'être dans le coeur du réacteur d'un mouvement qui allait changé les choses. 
Ce même mois d'octobre 2017, Léa, une connaissance à moi, me contacte pour me proposer de participer à un groupe de parole entre femmes. Son idée : alors que nous ouvrons la voix sur les violences sexistes et sexuelles que nous subissons, il pourrait être pertinent de constituer un groupe informel qui tiendrait salon pour parler de notre désir. Je ne la connaissais que de loin, ai été touchée qu'elle me propose et j'ai été intriguée par sa proposition visant à faire sortir - aussi - des émotions positives dans ce moment qui pouvait secouer.
Le premier rendez-vous de ce salon, c'est un samedi après-midi dans un appartement parisien, il y a du houmous, des bières et une douzaine de femmes, hétéros comme lesbiennes, qui me sont inconnues. Au tout début, Léa tâtonne un peu pour lancer la discussion, ce n'est pas facile, mais très rapidement, elle prend forme sous nos yeux : nous nous livrons sur nos vies intimes, nos sexualités et au fil des rendez-vous mensuels, je me rends compte que je vais dire des choses que je n'ai jamais dites auparavant, ni à mes amies, ni à ma psy. C'est une expérience gay, drôle et libératrice.
En écoutant mes camarades du groupe et en m'écoutant moi-même, je réalise que jusque là, toute ma construction de femme s'est faite autour de l'injonction consistant à faire plaisir aux hommes, au lit et plus largement dans une relation de couple. Pour moi, le moment qui suit #MeToo est celui d'une ébullition : la presse s'empare de ces sujets, de nombreux podcasts  livres sortent et ouvrent la voie. Je relis Despentes en me disant que je la comprends mieux que jamais, je lis Cholet ou Froideveaux-Metterie, et surtout, je me prends une claque monstrueuse avec Le Mythe de la virilité d'Olivia Gazalé. Je me dis : avant d'avoir lu ce livre, tu ne savais rien de la violence que représente la virilité pour les femmes mais pour les hommes aussi, qui s'enferment dans ces normes et en souffrent. Mon garçon a alors quatre ans : je me dis que je veux que mon fils grandisse dans une société où il peut être exactement ce qu'il veut. Une idée diamétralement opposée à celle de son père, qu'il voit encore, et qui est particulièrement macho.
En fait, tout ce qui se joue alors au niveau sociétal trouve un écho dans ma vie personnelle. Aujourd'hui, j'ai vraiment l'impression d'être une femme complètement différente. Il y a peut-être le fait que j'aie atteint les 40 ans mais je pense que #MeToo a contribué à un changement radical de comment je vois les choses. Je me trouve beaucoup plus autonome, indépendante, décidée et… épanouie. Je ne suis plus cette jeune femme à l'énorme complexe d'impostrice, qui met les histoires d'amour au-dessus de tout. Je suis célibataire depuis huit ans : si vous m'aviez dit à l'époque de ma rupture que, huit ans après, je serai encore célibataire, j'aurais fait une apoplexie, tellement on inculque aux filles que leur horizon est celui du couple. Je ne ferme pas la porte aux rencontres mais je chéris cette vie-là et j'ai un peu de peine pour les femmes en couple hétéro autour de moi, que je trouve toutes aliénées à divers degrés.
Avec les filles du groupe de parole, qui aura duré un peu plus d'un an, on est restées en contact, certaines sont même devenues des amies. Nous avons vécu des choses si fortes. Ce sont elles qui étaient là en 2018 lorsque j'ai pris la décision de me faire opérer pour m'enlever un peu de poitrine. J'ai été sexuée dans le regard des hommes bien trop tôt lorsque, à l'adolescence, ces seins très encombrants sont apparus. J'étais blonde, j'ai souffert du cliché "la blonde à forte poitrine" qu'on me renvoyait. La veille de l'opération, j'ai ramené tous mes vieux soutien-gorge au groupe de parole et nous les avons brûlés dans la rue, pour célébrer ma libération du cliché sexiste qu'on m'avait imposé à mon corps défendant. Ce geste, l'opération, l'accompagnement par les copines du groupe, c'est un écho à #MeToo : j'avais besoin de me réapproprier mon corps. Aujourd'hui, j'ai moins de poitrine et j'ai pris quelques kilos mais je n'ai plus aucun contexte. Je n'ai plus jamais remis de soutien-gorge - quel bonheur ! - et j'ai deux cicatrices aux seins, qui ne me dérangent pas du tout. Cette nouvelle poitrine, elle n'est que pour moi."

Claudine Cordani, 55 ans, autrice de La Justice dans la peau

"#MeToo a été et est un mouvement important parce qu'il a fédéré nos revendications sur la lutte contre les violences sexuelles dans le débat public et politique, jusqu'au gouvernement"

"Quel soulagement cela a été d'observer des femmes courageuses témoigner des agressions sexuelles et des viols qu'elles ont subis ! En tant que pionnière de la libération de la parole, je me suis dit : enfin !
En 1984, à l'âge de 17 ans, je suis victime d'un viol en réunion par des hommes qui m'enlèvent à la sortie d'un métro parisien et me gardent séquestrée plusieurs heures. Dès qu'ils me libèrent, je porte plainte. Avant le procès, on m'explique qu'il va se tenir à huis-clos, c'est la règle comme je suis une victime mineure. Je refuse et demande à ce que le public et la presse puisse y assister, car ce n'est pas à moi d'avoir honte, c'est à mes agresseurs [cette demande, à laquelle la justice accède, est une première en France. Les deux accusés sont condamnés à 10 et 12 ans de prison]. D'ailleurs, lorsque le meneur me crache "t'es une bourgeoise et nous, on veut niquer la bourgeoisie", je me rends compte que leur viol est politique, c'est donc cohérent de rendre le procès public. Violer, c'est porter atteinte au corps et à la vie.
Je suis par la suite devenue journaliste et je me suis engagée comme écoutante bénévole auprès des victimes, qui sont bien plus nombreuses à appeler depuis #MeToo. Moi, ma parole est libérée depuis 1984. C'est drôle parce que c'est juste avant #MeToo que j'ai décidé d'écrire un livre - que j'avais depuis longtemps en moi - sur mon parcours et les personnes remarquables qui m'ont aidée à obtenir justice, notamment mon avocat et le magistrat qui a instruit l’affaire. Il s'appelle La Justice dans la peau et a été auto-édité en janvier 2020.
#MeToo a été et est un mouvement important parce qu'il a fédéré nos revendications de femmes sur la lutte contre les violences sexuelles dans le débat public et politique, jusqu'au gouvernement. Ce n'est pas une vague, c'est au-delà, c'est un profond changement de société et il n'y aura pas de retour en arrière possible. Ce qui est terrible c'est que, contrairement à moi à l'époque, nombreuses sont les femmes qui n'ont pas confiance dans l'appareil judiciaire. Et je les comprends, nous avons besoin d'une réponse politique à la hauteur du dysfonctionnement du système judiciaire. C'est pour ça qu'aujourd'hui, je milite notamment pour la levée de la prescription en ce qui concerne ces crimes, pour lesquels les victimes subissent souvent une amnésie traumatique."

  1. le prénom a été modifié[]
Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.