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Référendum sur la famille et les femmes : pour­quoi l’Irlande a dit “non” à la moder­ni­sa­tion de sa Constitution

Au len­de­main de la vic­toire du “non” au double réfé­ren­dum sur la famille et les femmes, le gou­ver­ne­ment est lar­ge­ment accu­sé d’avoir mal pré­pa­ré le ter­rain pour ce chan­ge­ment de la Constitution, com­bat de longue date des fémi­nistes irlandaises.

Vendredi 8 mars, les Irlandais·es étaient appelé·es à se pro­non­cer, dans le cadre d’un double réfé­ren­dum, sur la moder­ni­sa­tion de leur Constitution. Un texte rédi­gé en 1937, à une époque où l’Église catho­lique régnait en maître sur la vie ins­ti­tu­tion­nelle et sociale du pays, qui ne recon­naît en tant que “famille” que les couples mariés et impute aux femmes (notam­ment aux mères) le rôle prio­ri­taire d’assurer les “devoirs domes­tiques” au sein du foyer. Or, ce réfé­ren­dum, qui devait ouvrir la voie à une réforme consti­tu­tion­nelle de ces deux points, a vu le “non” l’emporter.

Alors que le taux de par­ti­ci­pa­tion, par­ti­cu­liè­re­ment faible, a atteint 44 %, l’amendement visant à effa­cer la prio­ri­té faite aux femmes d’assurer les “devoirs domes­tiques” a été reje­té par 73,9 % des votant·es. Celui visant à élar­gir le concept de famille au-​delà de celle fon­dée sur le mariage a, lui, été reje­té à près de 68 %. Sur la pre­mière ques­tion, le “oui” l’a ain­si empor­té dans une seule des trente-​neuf cir­cons­crip­tions du pays, tan­dis que le “non” a triom­phé par­tout sur la deuxième ques­tion. Alors même que les ins­ti­tuts de son­dage annon­çaient la vic­toire du “oui” depuis plu­sieurs semaines.

Pourquoi ce rejet ?

Cette double vic­toire du "non" est le résul­tat d'une com­bi­nai­son de fac­teurs, où se mêlent une for­mu­la­tion vague des chan­ge­ments pro­po­sés, une cam­pagne pré­ci­pi­tée et peu enthou­siaste pour le "oui", mais aus­si la colère d'une par­tie des électeur·rices. Autant d'ingrédients qui ont fait bas­cu­ler les indécis·es vers le "non" dans la der­nière ligne droite.

D’autant que les par­tis d’opposition n’ont appor­té qu’un sou­tien tiède aux pro­po­si­tions du gou­ver­ne­ment, l’accusant d’avoir défor­mé des for­mu­la­tions sug­gé­rées par une assem­blée citoyenne (régu­liè­re­ment consul­tée en Irlande sur des ques­tions d’intérêt public). “Le gou­ver­ne­ment a agi en soli­taire”, a notam­ment cri­ti­qué Mary Lou McDonald, cheffe du par­ti de gauche Sinn Fein, prin­ci­pale force d’opposition, qui avait sou­te­nu à contre­cœur le “oui”.

“Je pense qu’il faut chan­ger [les choses pour les droits des femmes, ndlr], mais les res­pon­sables poli­tiques n’ont pas assez expli­qué pour quelle rai­son il fal­lait chan­ger la Constitution”, témoi­gnait ain­si Caitriona Behan, une ensei­gnante de 55 ans ren­con­trée par l’AFP après le vote.

Qui a voté "non" et pourquoi ?

Une très grande diver­si­té d’électeur·rices s’est donc ras­sem­blée der­rière le “non”, dans les rangs conser­va­teurs comme dans les rangs pro­gres­sistes. “Quand le gou­ver­ne­ment n’arrive pas à avoir tous ses sou­tiens de son côté et divise le vote libé­ral, il y a un pro­blème”, ana­lyse auprès de l’AFP David Quinn, fon­da­teur de l’Institut Iona, un groupe défen­dant les inté­rêts de la com­mu­nau­té catholique.

Certaines fémi­nistes se sont notam­ment inquié­tées que le retrait d’expressions sexistes de la Constitution se fasse au détri­ment des droits d’autres groupes. Ainsi, la deuxième modi­fi­ca­tion, qui impu­tait à tous et toutes les membres d’une famille la res­pon­sa­bi­li­té de prendre soin les un·es des autres, avait été lar­ge­ment cri­ti­quée par les militant·es des droits des per­sonnes han­di­ca­pées, ces dernier·ères esti­mant que l’État se déres­pon­sa­bi­li­sait de leur prise en charge. “Ils vou­laient que les indi­vi­dus et les familles s’occupent les uns des autres dans un foyer, mais nous avons aus­si besoin du sou­tien de l’État”, a poin­té Susan Bowles, une tra­vailleuse sociale inter­ro­gée par l’AFP, à Dublin.

Dans les rangs conser­va­teurs, on a enfin agi­té la menace de l’idéologie pro­gres­siste et dénon­cé la sup­pres­sion des mots “femme” et “mère” de la Constitution. “C’est une vic­toire signi­fi­ca­tive du peuple contre l’establishment poli­tique”, s’est d’ailleurs féli­ci­té Peadar Toibin, chef du par­ti conser­va­teur Aontu, par­ti­san du “non”, auprès de l’AFP.

Quelle leçon politique ?

Le gou­ver­ne­ment comp­tait sur ce double réfé­ren­dum, orga­ni­sé le 8 mars, pour mon­trer l’évolution de la socié­té irlan­daise, pays de 5,3 mil­lions d’habitant·es membre de l’Union euro­péenne. Mais cela s’est avé­ré contre-​productif, ana­lyse Pat Leahy, jour­na­liste du Irish Times. “Cela a inévi­ta­ble­ment don­né le sen­ti­ment que le vote des gens était consi­dé­ré comme acquis”, estime-​t-​il.

À l’arrivée, le résul­tat du scru­tin envoie un “mes­sage réac­tion­naire” sur la place des femmes dans la socié­té, a regret­té, déçue, Orla O’Connor, direc­trice du National Women’s Council, poin­tant le “manque de lea­der­ship” pour le “oui”. Le Premier ministre, Leo Varadkar, dont la coa­li­tion de centre droit était à l’origine du réfé­ren­dum, a admis same­di que son gou­ver­ne­ment avait pris “deux raclées”. Un coup poli­tique dur, alors que les pro­chaines élec­tions légis­la­tives doivent avoir lieu dans les douze pro­chains mois.

Lire aus­si I “The Woman in the Wall” dénonce le scan­dale des “cou­vents de la Madeleine” en Irlande

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