woman in black and white dress standing beside woman in black and white dress
©Brett Jordan

Afghanistan : « On aban­donne les femmes et les filles aux mains meur­trières des talibans »

Vingt ans après leur arri­vée en Afghanistan, au len­de­main des atten­tats du 11 sep­tembre 2001, les forces amé­ri­caines ont amor­cé leur retrait du pays le 1er mai der­nier. Dans le même temps, les tali­bans ont opé­ré un retour spec­ta­cu­laire dans de nom­breuses régions. S’ils étaient jusque-​là aux portes de Kaboul, les tali­bans ont pris la capi­tale le 15 août, à l’issue d’une offen­sive éclair de quelques jours. Le retour au pou­voir du mou­ve­ment isla­miste radi­cal est une catas­trophe pour les femmes et les filles afghanes, qui sont désor­mais de nou­veau confron­tées à la loi isla­mique dans son inter­pré­ta­tion la plus dure.

Un homme recouvre de pein­ture une vitrine où l’on peut encore aper­ce­voir la publi­ci­té qui y était affi­chée jusqu’ici : une femme sou­riante, maquillée, che­veux déta­chés. Probablement une réclame pour un ins­ti­tut de beau­té ou un maga­sin de vête­ments. La pho­to­gra­phie deve­nue virale en quelques jours illustre bien la situa­tion alar­mante des femmes afghanes à nou­veau effa­cées et exclues de l’espace public par des tali­bans désor­mais aux rênes du pays. Sous leur pre­mier règne (1996−2001), les droits des femmes ont en effet régres­sé bru­ta­le­ment : inter­dic­tion d’étudier, de tra­vailler ou encore de se dépla­cer seule dans la rue. Alors que l’histoire se répète aujourd’hui, que risquent concrè­te­ment les Afghanes ? Entretien avec Magali Gretey, fon­da­trice de l’organisation huma­ni­taire Padem (Programmes d’aide et de déve­lop­pe­ment des­ti­nés aux enfants du monde), qui consacre sa vie depuis une ving­taine d’années à venir en aide aux filles et aux femmes afghanes. 

Causette : Avec le retour des tali­bans au pou­voir, quel ave­nir entrevoyez-​vous pour les femmes et les fillettes en Afghanistan ? 
Magali Gretey : Pour l’instant, je vois un ave­nir très sombre. Les femmes et les filles ont tou­jours été les pre­mières cibles des tali­bans : je me sou­viens, lors de mon pre­mier voyage huma­ni­taire en Afghanistan, il y a une ving­taine d’années, qu’une femme qui mon­trait un bout de peau dans la rue ris­quait, par exemple, de se faire cou­per la main sur place. C’est donc très dur de voir l’histoire se répé­ter. La reprise du pays par les tali­bans est de nou­veau un drame ter­rible pour les femmes et les filles afghanes. Surtout qu’il ne faut pas oublier que, dans les années 1970, avant leur arri­vée, l’Afghanistan était une terre de liber­té où les femmes pou­vaient por­ter des mini­jupes en ville sans être inquiétées. 

Les tali­bans ont en effet impo­sé de 1996 à 2001 une sou­mis­sion totale des femmes afghanes. Avec l’arrivée des forces amé­ri­caines en 2001, leurs droits avaient ensuite évo­lué. Elles ont ain­si accé­dé à l’école, qui leur était inter­dite au-​delà de 8 ans, à l’université et à des sec­teurs du monde du tra­vail qui leur étaient tota­le­ment inter­dits. Faut-​il craindre à pré­sent un retour en arrière ? 
M.G. : C’est évident qu’en vingt ans de pré­sence, les Américains ont amé­lio­ré la vie des Afghans et en par­ti­cu­lier de la popu­la­tion fémi­nine, mais il faut tout de même nuan­cer ces avan­cées. L’Afghanistan, en guerre depuis une qua­ran­taine d’années, est tou­jours l’un des pays les plus pauvres de la pla­nète. Et on sait que les femmes et les filles sont les pre­mières vic­times des conflits et de la misère. Sur le plan de l’éducation par exemple, si entre 2001 et 2006, le nombre d’enfants sco­la­ri­sés est pas­sé de 1 mil­lion à 9 mil­lions, ce qui est consi­dé­rable, 75 % des enfants désco­la­ri­sés res­tent des filles. Nous savons éga­le­ment que 90 % des Afghanes ont déjà été vic­times de vio­lences sexistes et sexuelles en 2020. Je crains que ce chiffre épou­van­table s’aggrave avec la reprise du pou­voir par les tali­bans. 
C’est vrai qu’en vingt ans toute une géné­ra­tion de femmes et de filles a gran­di avec ces droits donc on espère que cela per­met­tra l’installation d’une poche de résis­tance, mais il y aura évi­dem­ment un retour en arrière sur leurs droits. La preuve, on com­mence déjà à recen­ser les exac­tions sur les femmes. Début juillet, les tali­bans des régions de Badakhchan et de Takhar ont, par exemple, ordon­né aux chefs reli­gieux locaux de leur four­nir une liste des filles de plus de 15 ans et des veuves de moins de 45 ans afin de les marier avec des com­bat­tants tali­bans. On a éga­le­ment vu un recul mas­sif de l’éducation des fillettes dans les zones rurales où sont ins­tal­lés ces isla­mistes radi­caux. C’est évident qu’on va obser­ver un recul des droits des femmes et des filles. Des mariages for­cés, l’interdiction de tra­vailler ou d’aller à l’école, la sup­pres­sion des droits à la san­té repro­duc­tive, l’obligation de por­ter le voile inté­gral en public, la fla­gel­la­tion, la lapi­da­tion et les exé­cu­tions en cas d’adultère, mais aus­si l’interdiction de sor­tir de la mai­son sans être accom­pa­gné d’un mah­ram, c’est-à-dire un cha­pe­ron mas­cu­lin de leur famille. Tout ça, c’est ce qui attend les Afghanes si nous ne fai­sons rien. 

L’un des porte-​parole des tali­bans, Suhail Shaheen, a décla­ré que les droits des femmes seraient pré­ser­vés en accord avec les valeurs isla­miques. Peut-​on y croire ? 
M.G. : Ils tentent d’acheter la confiance de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale et du peuple afghan avec ce genre de décla­ra­tion, mais il me paraît impos­sible que les droits des femmes puissent être pré­ser­vés tout en appli­quant une cha­ria isla­miste stricte. La femme est un objet, pour eux, elle doit res­ter à la mai­son, je ne vois pas com­ment ils pour­ront lais­ser les filles s’instruire et tra­vailler tout en appli­quant la loi isla­miste. Et même si les tali­bans auto­risent, par exemple, les filles fré­quen­ter l’école, je ne pense pas que les parents les laissent y aller, ils auront sûre­ment peur qu’elles se fassent enle­ver, vio­ler ou tuer. 

En tant qu’association huma­ni­taire, que comptez-​vous faire à votre niveau pour venir en aide aux femmes et aux filles afghanes ? 
M.G. : Nous avions pré­vu de lan­cer pro­chai­ne­ment des pro­jets édu­ca­tifs sur place en faveur des femmes et des jeunes filles afghanes, notam­ment sur l’accès aux micro­cré­dits, à la san­té repro­duc­tive et la prise en charge des vic­times de vio­lences qui sont mal­heu­reu­se­ment très nom­breuses. Je suis écœu­rée, car les asso­cia­tions huma­ni­taires sur place ont fait beau­coup d’efforts, ces der­nières années, pour poser des valeurs démo­cra­tiques dans le pays, et on a l’impression aujourd’hui que ça n’a ser­vi à rien. J’ai le sen­ti­ment d’un immense gâchis, car on aban­donne les Afghanes aux mains meur­trières des tali­bans. Pour l’heure, on attend de voir com­ment la situa­tion va évo­luer dans les pro­chains jours et semaines pour mettre en place ces pro­jets. Notre par­te­naire sur place, dans le der­nier can­ton du Pandjchir [Nord-​Est de l’Afghanistan, nldr] qui résiste encore aux tali­bans, doit d’abord s’assurer de mettre ses employés en sécu­ri­té, ce qui va prendre un peu de temps, mais on va conti­nuer de sou­te­nir les Afghanes. On va se battre pour lan­cer ces ini­tia­tives. Ça va être com­pli­qué, je ne suis pas ras­su­rée, mais je reste opti­miste, il faut encou­ra­ger de toutes nos forces les poches de résistance.

Pour faire un don ponc­tuel ou men­suel à l’association Padem, c’est ici.

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