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Mona El Hallak devant le mur du musée Beit Beyrouth © Robin Wright

Mona El Hallak, l’architecte au che­vet des vieilles pierres de Beyrouth

Près de cinq mois après l’explosion du port de Beyrouth, les chan­tiers tournent à plein régime dans les zones les plus tou­chées. Dans le quar­tier de Mar Mikhaël, l’architecte Mona El Hallak a déci­dé de sau­ver un immeuble datant de l’empire otto­man – et ses habitants.

« Nous avons davan­tage per­du de patri­moine archi­tec­tu­ral à Beyrouth en quelques secondes qu’en 25 ans de guerre », s’attriste Mona El Hallak, les pieds posés sur la bâche de son chan­tier. La quin­qua­gé­naire aux che­veux bou­clés se tient près de trois fenêtres en arche typiques de l’architecture otto­mane. Leurs vitres ont volé en éclat avec la défla­gra­tion du port de Beyrouth 4 août, qui a fait 204 morts et plus de 6 500 bles­sés. Elles n’ont pas encore été remplacées. 

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Un immeuble typique de l'architecture otto­mane à Beyrouth
© Marten Bjork

Le visage de Mona El Hallak s’illumine com­plè­te­ment lorsqu’à grands gestes elle retrace l’histoire de cette bâtisse de 1870, au cré­pis vert clair abî­mé, qui laisse voir les pierres ocres de ses murs. « Au rez-​de-​chaussée, c’était le pre­mier super­mar­ché de Beyrouth sous l’empire otto­man. » C’est le genre d'anecdotes qu’elle aime partager. 

Sous le souffle de l’explosion, plu­sieurs bâti­ments datant de l’empire otto­man ou du man­dat fran­çais (1920−1943) se sont effon­drés. Cet immeuble de trois étages dont la construc­tion s’étend sur cin­quante ans est res­té debout mais est fra­gi­li­sé, comme envi­ron 80 bâti­ments de la capi­tale liba­naise. Et sur­tout, il est deve­nu inhabitable. 

Réinstaller les habi­tants chez eux
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Mona El Hallak © DR, por­trait sur sa page LinkedIn

Comme 300 000 Beyrouthins, les pro­prié­taires de cet immeuble ont per­du leur toit dans l’explosion. Dans ce quar­tier chré­tien, les habi­tants des mai­sons his­to­riques « sont pour la plu­part âgés et l’Etat ne leur four­nit aucune pro­tec­tion », rap­pelle Mona El Hallak. La pas­sion­née de bâti­ments est avant tout moti­vée par l’humain, et sur­tout par « l’histoire d’amour » qu’elle vit avec les pro­prié­taires, Jacqueline et Michel Gholam, 75 et 82 ans. Comme elle, le couple aime les vieilles pierres et les objets qui ont une histoire.

La ren­contre a lieu rapi­de­ment après l’explosion. L’architecte orga­nise une col­lecte de fonds en asso­cia­tion avec le col­lec­tif Nous tous pour Beyrouth afin de finan­cer la recons­truc­tion d'écoles et de loge­ments affec­tés par l'explosion du 4 août. et passe à la télé­vi­sion. Jacqueline Gholam la contacte alors pour lui expo­ser sa situa­tion : sa mai­son est détruite. 

Réparer ces vieilles pierres est bien plus long et coû­teux que répa­rer les loge­ments plus récents, eu égard au savoir-​faire ancien qui doit être maî­tri­sé et à la recherche de maté­riaux col­lant avec la qua­li­té de ceux de l'époque – la mai­son de Jacqueline et Michel est faite en pierres de grès. 150 000 dol­lars sont néces­saires. Plusieurs orga­ni­sa­tions mettent la main à la poche comme l'ONG Nusaned, qui verse 110 000 dol­lars. Une cam­pagne de finan­ce­ment par­ti­ci­pa­tif menée par la dia­spo­ra liba­naise aux Etats-​Unis et un apport de l’université amé­ri­caine de Beyrouth per­mettent d’obtenir les 40 000 dol­lars res­tants. La gou­ver­nance du pro­jet est aus­si affi­née : Mona El Hallak par­ti­cipe à cette recons­truc­tion car elle est direc­trice de « l’initiative de quar­tier » de l’université amé­ri­caine de Beyrouth. Elle et Nusaned sont char­gées de gérer le pro­jet et de super­vi­ser le chan­tier. Cette ini­tia­tive, ava­li­sée par le minis­tère de la Culture, n’a reçu aucun fond du gou­ver­ne­ment, ruiné.

Lire aus­si l Liban : « Notre tris­tesse col­lec­tive s’est trans­for­mée en un immense amour »

« Ce pro­jet, c’est l’illustration de la séren­di­pi­té », s’émerveille Mona El Hallak, sou­li­gnant à quel point les inten­tions des uns et les finan­ce­ments des autres se sont bien com­bi­nés. En réa­li­té, sa renom­mée et son énorme réseau n’y sont cer­tai­ne­ment pas pour rien. Son carac­tère non plus. « Mona est une dyna­mo. Elle est pleine d’énergie et de posi­ti­vi­té », rit l’une de ses col­lègues de l’université amé­ri­caine de Beyrouth, Carmen Geha.

Le com­bat pour les vieilles pierres

L’histoire de la famille Gholam réveille aus­si les convic­tions mili­tantes de l’architecte. Immédiatement après l’explosion, le couple se voit pro­po­ser un appar­te­ment s’il accepte de vendre sa mai­son. Une solu­tion appa­rem­ment allé­chante mais qui enrage la Beyrouthine : les pro­mo­teurs immo­bi­liers voient dans cette catas­trophe l’occasion de raser ces habi­ta­tions his­to­riques pour y construire de hauts immeubles modernes.

La famille Gholam refuse. « Ils aiment tel­le­ment leur pays ! » s’écrie Mona El Hallak, qui se pré­sente aus­si comme une « mili­tante de la pro­tec­tion du patri­moine ». Mais d’autres habi­tants, dans l’impasse finan­cière, pour­raient accep­ter ces offres.

« Au Liban, nous n’avons tou­jours pas de loi qui pro­tège le patri­moine », rappelle-​t-​elle. Un pro­jet de texte « a été mis au fond d’un tiroir » en 2007, puis res­sor­ti et remi­sé de nom­breuses fois. En atten­dant une éven­tuelle loi, la Beyrouthine a vu le nombre de bâtisses his­to­riques se réduire comme peau de cha­grin. « Ce qu’il res­tait, c’était dans les quar­tiers de Mar Mikhaël et de Gemmayzé, très tou­chés par l’explosion. C’est pour ça que les consé­quences de cette catas­trophe sont si tristes. Nous recons­trui­rons mais nous ne retrou­ve­rons jamais cette authenticité. »

L’expérience de la bataille

Un cau­che­mar qui donne un sen­ti­ment de déjà-​vu à celle qui est née en 1968. En 1994, la jeune Mona El Hallak revient d’Italie, où elle a obte­nu un mas­ter en archi­tec­ture. Beyrouth est alors dévas­tée par quinze ans de guerre mais la recons­truc­tion du centre-​ville s’avèrera tout aus­si défi­gu­rante. « Seuls 10% des bâti­ments ont été conser­vés, sou­vent des édi­fices reli­gieux », confirme-​t-​elle aujourd’hui. 

« A mon retour au pays, j’ai mar­ché le long de l’ancienne ligne de démar­ca­tion, le long de la rue de Damas, qui sépa­rait Beyrouth en deux camps hos­tiles [chré­tiens et musul­mans, ndlr]. Tous les bâti­ments étaient tristes », se remémore-​t-​elle. L’architecte jette alors son dévo­lu sur un grand bâti­ment de pierre jaune, cri­blé d’impacts de balles, qui fait l’angle d’un car­re­four pas­sa­ger : il faut empê­cher sa démo­li­tion. Au terme de 25 ans de com­bats, de reculs, de décep­tions, il est aujourd’hui cen­sé être un musée d'histoire de la ville ain­si qu'un centre cultu­rel. Moribond, certes, mais Beit Beyrouth (Beit signi­fie mai­son), comme il s’appelle désor­mais, est sauvé.

Une grande pragmatique

L’immeuble des Gholam est donc le deuxième sau­ve­tage de sa vie. « Depuis Beit Beyrouth, c’est la pre­mière fois que j’éprouve de tels sen­ti­ments pour un bâti­ment », sourit-​elle entre les murs qui sentent la pein­ture fraîche. 

Certes, Jacqueline et Michel Gholam n’étaient pas de retour chez eux pour Noël comme pro­mis : le chan­tier, débu­té en novembre, a pris du retard à cause du confi­ne­ment. Mais l’expérience qu’a Mona El Hallak de faire avan­cer ses pro­jets, et sur­tout son prag­ma­tisme, laissent croire au suc­cès de la recons­truc­tion. L’architecte tra­vaille avec tout le monde. Candidate en 2016 sur une liste muni­ci­pale consti­tuée de béné­voles (Beirut Madinati), sans affi­lia­tion poli­tique ni reli­gieuse, elle perd l’élection mais col­la­bore aujourd’hui avec l’équipe en place. « Ce qui compte, c’est la ville et ses habi­tants », insiste-t-elle.

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