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Las Kellys : « Nous pro­po­se­rons des hôtels où les condi­tions de tra­vail sont respectées »

Le syn­di­cat espa­gnol de femmes de chambre Las Kellys lan­ce­ra pro­chai­ne­ment une pla­te­forme de réser­va­tion d'hôtels qui men­tion­ne­ra les condi­tions de tra­vail des employé·es. Un moyen de lut­ter contre la pré­ca­ri­sa­tion de leur situa­tion pro­fes­sion­nelle, aggra­vée par le recours mas­sif à l’externalisation.

TripAdvisor et Booking.com peuvent aller se rha­biller. Le syn­di­cat espa­gnol des femmes de chambres Las Kellys – contrac­tion de « las que lim­pian », « celles qui net­toient » – a lan­cé début sep­tembre une cam­pagne de crowd­fun­ding qui s’approche avec suc­cès de l’objectif de 90 000 euros – puisqu’elle a, à ce jour, récol­té plus de 88 000 euros. Le but ? Créer une pla­te­forme où il sera pos­sible de choi­sir son hôtel non pas en fonc­tion du prix de la pen­sion com­plète ou de l’accès au WIFI mais parce qu’il res­pecte les condi­tions de tra­vail de ses employé·es. Le cre­do des Kellys est d’inaugurer une nou­velle ère du tou­risme où les condi­tions des employé·es sont res­pec­tées et pré­valent sur l’intérêt économique.

Il faut dire que ces femmes aux­quelles les client·es ne font pas atten­tion lorsqu’elles déam­bulent avec leurs cha­riots de ménage dans les cou­loirs des hôtels sont de véri­tables guer­rières. Celles qui sont pour la grande majo­ri­té des immi­grées d'Amérique du sud, d'Afrique ou d'Europe de l'Est se sont ras­sem­blées en 2014 sur un groupe WhatsApp, où de toute l'Espagne elle sont venues témoi­gner de leur situa­tion pro­fes­sion­nelle pré­caire. Une situa­tion aggra­vée depuis la réforme du tra­vail de 2012 qui a entrai­né un recours mas­sif à la sous-​traitance des pres­ta­tions de ménage des hôtels. Employées comme « femmes de ménage » par des entre­prises de ser­vice, ces femmes se retrouvent alors moins bien payées que les femmes de chambres embau­chées par les hôtels eux-​mêmes, alors qu'elles réa­lisent le même travail. 

Le groupe Whatsapp se trans­forme en asso­cia­tion en 2015 puis en syn­di­cat cata­lan en 2016, lorsque le col­lec­tif se rend compte que les syn­di­cats his­to­riques ne s'intéressent pas au sort de ces employées, exter­na­li­sées ou pas. Alors que le crowd­fun­ding pour la pla­te­forme de réser­va­tion est d'ores-et-déjà un suc­cès, Causette a inter­viewé Miriam Suarez, 47 ans, porte-​parole des infa­ti­gables Kellys. 

Causette : Pourquoi vou­loir créer votre propre appli­ca­tion de réser­va­tion d’hôtel ?
M.S. : Nous vou­lons pro­po­ser uni­que­ment des éta­blis­se­ments où les condi­tions de tra­vail sont res­pec­tées. Les voya­geurs pour­ront réser­ver leurs chambres direc­te­ment sur notre pla­te­forme où nous garan­ti­rons avec une totale cer­ti­tude que les employées ne sont pas exploi­tées en véri­fiant au préa­lable qu'ils rem­plissent nos cri­tères. Nous vou­lons révo­lu­tion­ner le monde du tou­risme en lut­tant contre la pré­ca­ri­sa­tion des condi­tions de tra­vail des femmes de chambre. Nous ne vou­lons plus que les hôtels s’enrichissent au détri­ment du per­son­nel et qu’ils les exploitent.
En 2017, nous avons ten­té de dis­cu­ter avec Booking et TripAdvisor pour qu’ils incluent les avis des employés et le res­pect des condi­tions de tra­vail comme cri­tère de sélec­tion et de nota­tion sur leur site mais la dis­cus­sion a rapi­de­ment tour­né court : ils n’étaient pas d’accord. C’est à ce moment que nous avons déci­dé de le faire nous-même. 

Quelles sont les condi­tions de tra­vail actuelles des femmes de chambre en Espagne ?
M.S.: Elles sont, pour l’instant, très mau­vaises. Le recours mas­sif à l'externalisation des pres­ta­tions de net­toyage des hôtels n'a appor­té que de la pré­ca­ri­té. Avec ce sys­tème, la majo­ri­té des femmes de chambres ne sont plus employées comme per­son­nels par les hôtels eux-​mêmes mais par des entre­prises de ser­vices aux­quels les éta­blis­se­ments hôte­liers font ensuite appel. Le sta­tut est dif­fé­rent. Ces femmes de ménage ne sont pas pro­té­gées par l'accord qui garan­tit aux femmes de chambre un salaire men­suel de 1200 euros pour une semaine de qua­rante heures, ain­si que des indem­ni­tés mala­dies et de mater­ni­té. Elles ont donc un salaire de 40 % envi­ron infé­rieur, soit 800 euros nets.
Le rythme dic­té par ces agence est extrê­me­ment dif­fi­cile à tenir. Il faut ima­gi­ner que nous devons net­toyer et dés­in­fec­ter entre 20 et 30 chambres en cinq, six ou huit heures, ce qui est humai­ne­ment impos­sible. Nous sommes donc confron­tées à une sur­charge de tra­vail alors même que nos salaires ne nous per­mettent pas de vivre décem­ment et que nos heures sup­plé­men­taires ne sont pas payées. Comme nos condi­tions de tra­vail, notre san­té s’est éga­le­ment lar­ge­ment dété­rio­rée à cause de la cadence infer­nale.
Et si par mal­heur, nous essayons de reven­di­quer nos droits ou si nous tom­bons malades, nous sommes direc­te­ment licen­ciées et rem­pla­cées car nous sommes presque toutes embau­chées avec des contrats de tra­vail tem­po­raires qui per­mettent aux entre­prises de ser­vice de nous licen­cier quand elles le sou­haitent. Les agences embauchent éga­le­ment les femmes de ménage pour une période d'essai de deux semaines puis s'en débar­rasse à la fin de celle-​ci.
Une pré­ca­ri­sa­tion qui s'est encore dégra­dée avec la crise du Covid-​19, qui a fait fer­mer de nom­breux hôtels et donc de nom­breuses agences de ser­vice sous-traitantes.

Quels sont les cri­tères aux­quels les hôtels devront répondre pour figu­rer sur votre site ?
M.S. : Les hôtels devront res­pec­ter la conven­tion col­lec­tive du sec­teur de l’hôtellerie et du tou­risme et sur­tout ne pas avoir recours à l’externalisation des pres­ta­tions de ménage. Les éta­blis­se­ments devront aus­si res­pec­ter les lois sur la pré­ven­tion des risques au tra­vail ain­si que l’égalité de rému­né­ra­tion entre les femmes et les hommes. Ils devront éga­le­ment embau­cher des per­sonnes en situa­tion de han­di­cap. En somme, les hôtels pré­sents sur notre pla­te­forme devront main­te­nir l’emploi, des salaires décents et sur­tout assu­rer le res­pect des droits des tra­vailleurs.
Avec notre pla­te­forme, nous allons enfin mon­trer qu’un autre modèle est pos­sible. Nous venons d’ailleurs de ren­con­trer l’équipe d’ingénieurs et d’informaticiens pour déve­lop­per notre appli­ca­tion. Nous net­toyons les chambres certes, mais nous vou­lons éga­le­ment net­toyer notre socié­té pour qu’elle assure enfin le res­pect des droits des tra­vailleurs. C’est impor­tant pour nous que les femmes de chambre jouissent du res­pect, de la san­té et du bien-​être aux­quels elles ont droit.

Pour sou­te­nir la cam­pagne de crowd­fun­ding des Kellys – qui pren­dra fin le 7 octobre pro­chain – c’est par là.


Les femmes de chambre se mobi­lisent en France aussi 

En Espagne comme en France, les femmes de chambre sont de plus en plus nom­breuses à poin­ter du doigt les mau­vaises condi­tions de tra­vail et en par­ti­cu­lier la sous-​traitance de leur emploi par des entre­prises de ser­vice. À Paris, les sous-​traitantes de l'hôtel Ibis Batignolles (XVIIe arron­dis­se­ment) en étaient deve­nues un sym­bole. En grève pen­dant huit mois et après deux ans d'une intense lutte, la ving­taine de femmes mobi­li­sées – la plu­part étran­gères – ont arra­ché en mai 2021 des reva­lo­ri­sa­tions sala­riales ain­si que des meilleures condi­tions de travail. 

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