Pro choice street art in Argentina
Un pochoir pour le droit à l'avortement en Argentine en 2013 © Beatrice Murch - Wikimedia commons

Le oui his­to­rique de l'Argentine en faveur de l’avortement donne de l’espoir à l’Amérique du sud

Le Congrès argen­tin a adop­té mer­cre­di 30 décembre la loi léga­li­sant l’avortement. Après les dépu­tés le 11 décembre, le Sénat a, à son tour, rati­fié le texte auto­ri­sant l’interruption volon­taire de gros­sesse jusqu’à qua­torze semaines et sans condi­tion. Une révo­lu­tion pour l’Amérique du sud où les lois contre l’avortement comptent par­mi les plus res­tric­tives du monde.

Une marée verte, sym­bole du com­bat pour le droit à l’avortement, pour­rait bien sub­mer­ger l’Amérique du sud, ter­ri­toire empreint de machisme où les valeurs reli­gieuses conser­va­trices sont légion. Mercredi 30 décembre, deux ans après avoir été reje­té par le par­le­ment de Buenos Aires sous la pres­sion de l’Église catho­lique, l’avortement sur simple demande est deve­nu légal en Argentine. Peu après 4 heures du matin et à l’issue de douze heures d’intenses dis­cus­sions, les séna­trices et séna­teurs ont en effet approu­vé à 38 voix contre 29 (et une abs­ten­tion) le pro­jet de loi du gou­ver­ne­ment. Après des années de com­bat, c’est une avan­cée his­to­rique en faveur des droits des femmes dans un pays tra­di­tion­nel­le­ment catho­lique qui consen­tait jusqu’alors – et depuis 1921 – l’interruption volon­taire de gros­sesse uni­que­ment en cas de viol ou de dan­ger pour la vie de la mère.

Lire aus­si l On fait le bilan : les vic­toires fémi­nistes de 2020

Mais ce n’est pas seule­ment la léga­li­sa­tion de l’IVG en Argentine que l’on fête depuis quelques jours. On célèbre éga­le­ment l’abnégation sans faille des mili­tantes fémi­nistes argen­tines. Depuis 2015 et la nais­sance du mou­ve­ment contre les fémi­ni­cides NiUnaMenos (Pas une de moins), le pays est au cœur d’un nou­vel élan fémi­niste sud-​américain. Une effer­ves­cence qui s’est rapi­de­ment pro­pa­gée à toute la région. Et ce tour­nant argen­tin sur l'avortement pour­rait ouvrir la voie à d’autres pays d’Amérique latine, l’une des régions les plus res­tric­tives au monde sur le sujet.

La liste des quelques pays sud-​américains à auto­ri­ser l’avortement sans condi­tion est bien maigre : Cuba depuis 1965, l’Uruguay et le Guyana depuis 2012, jusqu’à douze semaines de gros­sesse. Dans cer­tains pays de la région, comme le Mexique, la loi s’applique selon une mosaïque fédé­rale. L’IVG n’y est légale que dans la capi­tale de Mexico depuis 2007 et dans l’État d’Oaxaca depuis 2019, jusqu’à douze semaines de grossesse.

Dans le reste de l'Amérique latine seuls le Panama, la Colombie, le Chili, le Brésil et le reste du Mexique tolèrent l'IVG… avec de dras­tiques condi­tions condi­tions. Le reste du conti­nent sud-​américain inter­dit encore stric­te­ment l’avortement et ce même en cas de viol ou de dan­ger pour la mère. C’est le cas du Venezuela, du Paraguay, du Honduras, du Nicaragua, de la République domi­ni­caine, du Salvador et du Suriname. Dans ces pays, l’avortement clan­des­tin est pas­sible de peine de pri­son pour homi­cide allant jusqu’à cin­quante ans de réclusion.

De lents pro­grès au Chili…

Dans cer­tains pays comme le Chili, la dépé­na­li­sa­tion de l’avortement occupe elle aus­si les pavés et les débats poli­tiques depuis quelques années. « Nous espé­rons que l’avortement légal en Argentine devien­dra un exemple pour l’Amérique latine et les Caraïbes », a réagit sur Twitter la Colombienne Catalina Martinez Coral, direc­trice pour l’Amérique latine et les Caraïbes de l’organisation mon­diale Center for repro­duc­tives rights qui vise à pro­mou­voir les droits repro­duc­tifs, tel que l’avortement. « Le mou­ve­ment des femmes en Argentine est depuis de nom­breuses années une force qui a mobi­li­sé et ins­pi­ré les femmes d’Amérique latine », a ren­ché­ri dans le Wall Street Journal Catalina Calderon, direc­trice du Centre pour l’égalité des femmes, qui défend les droits des femmes en Amérique du sud. Pour elle, « c’est impa­rable, la dépé­na­li­sa­tion de l’avortement dans la région ins­pi­re­ra les mou­ve­ments de lutte au Chili et dans d’autres pays. »

Légalisé en 1931, puis tota­le­ment inter­dit sous la dic­ta­ture Pinochet, l'avortement est depuis 2017 auto­ri­sé dans trois cas seule­ment pour les Chiliennes : dan­ger pour la vie de la mère, mal­for­ma­tion grave du fœtus et viol. Mais la donne pour­rait bien­tôt chan­ger. Les Chilien·nes ont en effet voté le 25 octobre der­nier en faveur d’un nou­veau pro­jet de Constitution, pour se débar­ras­ser de l'héritage Pinochet. L’avortement sera très pro­ba­ble­ment au cœur des dis­cus­sions lors de la rédac­tion du texte, sou­mis à un réfé­ren­dum en 2022.

…et un rétro­pé­da­lage brésilien

Quant au plus grand pays du conti­nent, le Brésil, il a der­niè­re­ment trou­vé le moyen d'influencer le choix des femmes pour qu'elles gardent leur bébé. Il est actuel­le­ment illé­gal d’avorter, sauf en cas de viol, de dan­ger pour la mère ou de grave mal­for­ma­tion du fœtus. Les femmes entra­vant la loi s’exposent à une peine allant d’un à trois ans de pri­son. En novembre 2017, une com­mis­sion par­le­men­taire s’était même réunie pour pro­po­ser une inter­dic­tion totale de l’avortement. S’il est tou­jours pos­sible d’avorter au Brésil, le gou­ver­ne­ment de Jair Bolsonaro a récem­ment posé de nou­velles exi­gences. Depuis août 2020, il est obli­ga­toire pour le per­son­nel médi­cal de pro­po­ser à la femme indi­quant vou­loir béné­fi­cier d'une IVG de voir l’embryon ou le fœtus par échographie.

Face au suc­cès argen­tin, la réac­tion du pré­sident bré­si­lien d’extrême droite ne s'est pas faite attendre. Jair Bolsonaro – dont les sou­tiens évan­gé­listes sont de farouches oppo­sants à la léga­li­sa­tion de l’avortement – a vio­lem­ment dénon­cé le vote des par­le­men­taires argen­tins. Déclarant sur Twitter que les « vies des enfants argen­tins » pour­ront être « fau­chées dans le ventre de leur mère » avec « le consen­te­ment de l’État ». « Tant que cela dépen­dra de moi ou de mon gou­ver­ne­ment, l’avortement ne sera jamais auto­ri­sé sur notre sol. Nous nous bat­trons tou­jours pour pro­té­ger la vie des inno­cents », a‑t-​il ajouté.

Face à ces res­tric­tions, de nom­breuses femmes sud-​américaines ont recours à des avor­te­ments clan­des­tin, met­tant leur vie en dan­ger. Selon l’Organisation mon­diale de la san­té (OMS), trois inter­rup­tions de gros­sesse sur quatre sont faites illé­ga­le­ment en Amérique latine, ce qui repré­sente près de deux mil­lions d’avortements illé­gaux chaque année. Reste à espé­rer que le tour­nant his­to­rique de l'Argentine en ins­pire d’autres.

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