Le Congrès argentin a adopté mercredi 30 décembre la loi légalisant l’avortement. Après les députés le 11 décembre, le Sénat a, à son tour, ratifié le texte autorisant l’interruption volontaire de grossesse jusqu’à quatorze semaines et sans condition. Une révolution pour l’Amérique du sud où les lois contre l’avortement comptent parmi les plus restrictives du monde.
Une marée verte, symbole du combat pour le droit à l’avortement, pourrait bien submerger l’Amérique du sud, territoire empreint de machisme où les valeurs religieuses conservatrices sont légion. Mercredi 30 décembre, deux ans après avoir été rejeté par le parlement de Buenos Aires sous la pression de l’Église catholique, l’avortement sur simple demande est devenu légal en Argentine. Peu après 4 heures du matin et à l’issue de douze heures d’intenses discussions, les sénatrices et sénateurs ont en effet approuvé à 38 voix contre 29 (et une abstention) le projet de loi du gouvernement. Après des années de combat, c’est une avancée historique en faveur des droits des femmes dans un pays traditionnellement catholique qui consentait jusqu’alors – et depuis 1921 – l’interruption volontaire de grossesse uniquement en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère.
Lire aussi l On fait le bilan : les victoires féministes de 2020
Mais ce n’est pas seulement la légalisation de l’IVG en Argentine que l’on fête depuis quelques jours. On célèbre également l’abnégation sans faille des militantes féministes argentines. Depuis 2015 et la naissance du mouvement contre les féminicides NiUnaMenos (Pas une de moins), le pays est au cœur d’un nouvel élan féministe sud-américain. Une effervescence qui s’est rapidement propagée à toute la région. Et ce tournant argentin sur l'avortement pourrait ouvrir la voie à d’autres pays d’Amérique latine, l’une des régions les plus restrictives au monde sur le sujet.
La liste des quelques pays sud-américains à autoriser l’avortement sans condition est bien maigre : Cuba depuis 1965, l’Uruguay et le Guyana depuis 2012, jusqu’à douze semaines de grossesse. Dans certains pays de la région, comme le Mexique, la loi s’applique selon une mosaïque fédérale. L’IVG n’y est légale que dans la capitale de Mexico depuis 2007 et dans l’État d’Oaxaca depuis 2019, jusqu’à douze semaines de grossesse.
Dans le reste de l'Amérique latine seuls le Panama, la Colombie, le Chili, le Brésil et le reste du Mexique tolèrent l'IVG… avec de drastiques conditions conditions. Le reste du continent sud-américain interdit encore strictement l’avortement et ce même en cas de viol ou de danger pour la mère. C’est le cas du Venezuela, du Paraguay, du Honduras, du Nicaragua, de la République dominicaine, du Salvador et du Suriname. Dans ces pays, l’avortement clandestin est passible de peine de prison pour homicide allant jusqu’à cinquante ans de réclusion.
De lents progrès au Chili…
Dans certains pays comme le Chili, la dépénalisation de l’avortement occupe elle aussi les pavés et les débats politiques depuis quelques années. « Nous espérons que l’avortement légal en Argentine deviendra un exemple pour l’Amérique latine et les Caraïbes », a réagit sur Twitter la Colombienne Catalina Martinez Coral, directrice pour l’Amérique latine et les Caraïbes de l’organisation mondiale Center for reproductives rights qui vise à promouvoir les droits reproductifs, tel que l’avortement. « Le mouvement des femmes en Argentine est depuis de nombreuses années une force qui a mobilisé et inspiré les femmes d’Amérique latine », a renchéri dans le Wall Street Journal Catalina Calderon, directrice du Centre pour l’égalité des femmes, qui défend les droits des femmes en Amérique du sud. Pour elle, « c’est imparable, la dépénalisation de l’avortement dans la région inspirera les mouvements de lutte au Chili et dans d’autres pays. »
Légalisé en 1931, puis totalement interdit sous la dictature Pinochet, l'avortement est depuis 2017 autorisé dans trois cas seulement pour les Chiliennes : danger pour la vie de la mère, malformation grave du fœtus et viol. Mais la donne pourrait bientôt changer. Les Chilien·nes ont en effet voté le 25 octobre dernier en faveur d’un nouveau projet de Constitution, pour se débarrasser de l'héritage Pinochet. L’avortement sera très probablement au cœur des discussions lors de la rédaction du texte, soumis à un référendum en 2022.
…et un rétropédalage brésilien
Quant au plus grand pays du continent, le Brésil, il a dernièrement trouvé le moyen d'influencer le choix des femmes pour qu'elles gardent leur bébé. Il est actuellement illégal d’avorter, sauf en cas de viol, de danger pour la mère ou de grave malformation du fœtus. Les femmes entravant la loi s’exposent à une peine allant d’un à trois ans de prison. En novembre 2017, une commission parlementaire s’était même réunie pour proposer une interdiction totale de l’avortement. S’il est toujours possible d’avorter au Brésil, le gouvernement de Jair Bolsonaro a récemment posé de nouvelles exigences. Depuis août 2020, il est obligatoire pour le personnel médical de proposer à la femme indiquant vouloir bénéficier d'une IVG de voir l’embryon ou le fœtus par échographie.
Face au succès argentin, la réaction du président brésilien d’extrême droite ne s'est pas faite attendre. Jair Bolsonaro – dont les soutiens évangélistes sont de farouches opposants à la légalisation de l’avortement – a violemment dénoncé le vote des parlementaires argentins. Déclarant sur Twitter que les « vies des enfants argentins » pourront être « fauchées dans le ventre de leur mère » avec « le consentement de l’État ». « Tant que cela dépendra de moi ou de mon gouvernement, l’avortement ne sera jamais autorisé sur notre sol. Nous nous battrons toujours pour protéger la vie des innocents », a‑t-il ajouté.
Face à ces restrictions, de nombreuses femmes sud-américaines ont recours à des avortements clandestin, mettant leur vie en danger. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), trois interruptions de grossesse sur quatre sont faites illégalement en Amérique latine, ce qui représente près de deux millions d’avortements illégaux chaque année. Reste à espérer que le tournant historique de l'Argentine en inspire d’autres.