Tandis que les autorités iraniennes ont annoncé mardi les premières arrestations dans l’affaire des empoisonnements, pour nombre d’observateur·rices, le régime des mollah est responsable de cette série d’intoxications, perçue comme une « vengeance » en réaction au soulèvement de la jeunesse et plus particulièrement des jeunes filles contre le régime.
Le nombre est effarant. Plus de 5 000 écolières ont été victimes d’empoisonnement au gaz ces trois derniers mois en Iran, a indiqué mardi Mohammad-Hassan Asafari membre de la commission d’enquête parlementaire iranienne chargée de faire la lumière sur cette vague d’empoisonnement. Tout commence le 30 novembre dernier, lorsque dix-huit écolières tombent malades en plein cours, au point d'être transportées à l’hôpital. Depuis, les cas d’empoisonnement s’enchaînent à une vitesse délirante.
Rien que pour la journée de dimanche dernier, plus de deux cents écoles élémentaires, collèges et lycées ont été touchés par ces intoxications suspectes. Suspectes car, pour l’instant, la nature du gaz reste un mystère pour les autorités iraniennes. Certaines victimes évoquent une odeur de mandarine, d’autres celle d’un insecticide ou encore celle de l'eau de javel. Mais le scénario est toujours le même : après avoir respiré cette odeur désagréable, les écolières sont prises de malaise. « Une très mauvaise odeur s’est répandue tout d’un coup, je me suis sentie mal et suis tombée sur le sol », a expliqué une écolière auprès de la télévision iranienne, rapporte 20 minutes.
Premières arrestations
Examinées par des médecins, les écolières intoxiquées souffrent de maux de tête, de problèmes respiratoires, de vertiges, de léthargie, de nausées ou encore d’hypotension artérielle. « Je n’arrive plus à respirer », crie par exemple une jeune iranienne assise à l’arrière d’une ambulance dans une vidéo publiée sur Twitter le 4 mars dernier par Mamlekate, une communauté de journalistes irannien·nes qui couvre des sujets censurés par le régime de la République islamique d’Iran. Il est impossible pour l’heure d’évaluer avec précision le nombre de victimes transférées à l’hôpital. Selon le vice-président de l’Université de médecine d’Ahvaz Jundishapur, depuis décembre, 1 104 écolières ont été soignées dans des hôpitaux pour des symptômes liés à des empoisonnements dans la seule province du Khouzistan au sud-ouest du pays, rapporte le Guardian. Aucun décès lié à ce phénomène n'a pour l'instant été signalé.
Après avoir fait porter un temps la responsabilité sur les jeunes filles elles-mêmes, les accusant de vouloir provoquer le désordre – dans un contexte de plusieurs mois de manifestations contre le régime -, les autorités ont annoncé mardi de premières arrestations. Le ministère de l’Intérieur a indiqué dans un communiqué que les services de sécurité et de renseignement ont arrêté « un certain nombre de personnes » soupçonnées de préparer des substances dangereuses. Le ministère précise que trois d’entre elles avaient des antécédents criminels « dont une implication dans les récentes émeutes », rapporte France 24 qui ajoute, toujours selon le ministère, que l’une d’elle « introduisait des substances irritantes à l’école par l’intermédiaire de son enfant ». Cette personne aurait ensuite envoyé des images des écolières empoisonnées aux « médias hostiles » pour « créer la peur parmi les gens et entraîner la fermeture des écoles ».
Lire aussi I Iran : trois mois après la mort de Mahsa Amini, la contestation se poursuit, la répression aussi
"Crime d’État qui ne porte pas son nom"
Des accusations sujettes à caution pour beaucoup. Pour la sociologue et politologue Mahnaz Shirali, spécialiste de l’Iran, interviewée par 20 minutes, ces empoisonnements ne peuvent « être l’affaire d’un banal criminel ». « Des écoles sont visées à répétition, nous pouvons comprendre que c’est un crime d’État qui ne porte pas son nom », ajoute-t-elle auprès du média.
Même théorie pour Mélodie, iranienne et membre de l’association Neda d’Iran, qui lutte en France contre le régime islamique, croisée lors de la manifestation parisienne du 8 mars. Sa banderole affichait clairement sa position : « La République islamique d’Iran gaze les jeunes filles, elle est en guerre contre les femmes, la vie, la liberté. » Pour elle, les écolières sont en danger depuis des mois et l’État ne fait rien pour les protéger. « Ça fait quelque temps qu’on soupçonne le gouvernement d’être à l’origine de ces empoisonnements, parce que c’est beaucoup trop répandu, soutient-elle auprès de Causette. C’est plus de mille écolières dans des dizaines d’écoles. Donc c’est trop, beaucoup trop répandu pour que ça vienne d’un individu ou de quelques individus. Rentrer dans les écoles, c’est quand même compliqué. Je doute que les autorités ne soient pas au courant. » Autre élément accréditant son hypothèse selon elle : l’inaction du régime. « L’État n’agit pas. Il dit “On va essayer de trouver le coupable” mais ça fait des mois que ça dure et on voit bien que le problème n’est pas du tout pris au sérieux ».
Réprimer la contestation
Pour elle, comme pour la sociologue et politologue Mahnaz Shirali, il y a derrière ces empoisonnements la volonté des Mollah de parquer les filles iraniennes à la maison. « Ça les arrange car pour qu’elles soient "en sécurité", mieux vaut qu’elles restent chez elles », assure Mélodie. Il y aurait aussi la volonté d’intimider et de réprimer ces jeunes filles qui luttent pour leur liberté depuis le décès de la jeune Mahsa Amini en septembre dernier. On se souvient notamment des photos où des lycéennes, cheveux découverts, pointaient leur majeur en direction d’un portrait d’Ali Khamenei (l’actuel guide suprême de la Révolution islamique). « Les femmes, y compris les plus jeunes, sont à l’avant-garde dans les manifestations depuis des mois. Cette vague d’empoisonnements ne peut être qu’une vengeance envers elle », a avancé Mahnaz Shirali dans les colonnes de Marianne, ajoutant que la République islamique punit ainsi les « jeunes filles trop courageuses ».
Le nombre de cas, ajouté au manque d’information sur la nature du gaz, a semé une profonde inquiétude chez les parents. « Sur 550 écolières, seules quatre sont venues à l’école. Les élèves sont, elles aussi, terrifiées », souligne ainsi une enseignante auprès de Middle East Eye, site d'information sur le monde arabe et musulman. « Les familles s'inquiètent pour la santé de leurs enfants. Dans notre école de 250 élèves, seuls 50 ont suivi les cours », déclare un autre enseignant auprès de Radio Farda, une radio iranienne basée à Prague.
Souvenir des empoisonnements en Afghanistan entre 2009 et 2012
Le phénomène est tel qu’il n’est pas sans rappeler la vague d’empoisonnement dans des écoles de filles qui avait secoué l’Afghanistan entre 2009 et 2012, indique le Guardian. Des centaines de filles avaient été transportées à l’hôpital dans tout le pays. Dans les articles de presse de l’époque, on retrouve les mêmes symptômes décrits aujourd’hui par les petites iraniennes et le même flou entourant l’origine de ces cas. À l’époque, les talibans avaient été désignés comme coupables mais aucune preuve n’avait été trouvée pour étayer ces soupçons.
En Iran, les enquêtes – parlementaire comme policière – se poursuivent pour tenter de trouver la vérité autour de ces empoisonnements. Elles risquent de prendre du temps et d’être étouffée par le régime des mollahs. Une source d’un hôpital de Qom aurait ainsi raconté à Radio Farda que les membres de la branche du renseignement du corps des gardiens de la révolution islamique sont présents dans les hôpitaux où sont soignées les écolières et qu’ils apporteraient les résultats des tests sanguins dans leur propre laboratoire. « Nous ne savons pas ce qui se passe », a dénoncé cette source. « Une enquête transparente » et des conclusions publiques ont été demandé par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies.
Lire aussi I Femmes ! Vie ! Liberté ! : nous assistons à une « révolution féministe » en Iran