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Alice Coffin : « Recevoir le Prix de l'essai fémi­niste Causette, c'est être légi­ti­mée après des mois d'attaques humiliantes »

Le pro­pos du Génie les­bien, publié en sep­tembre par Alice Coffin, a été salué pour son éclai­rage sur la dimen­sion poli­tique du les­bia­nisme autant que cari­ca­tu­ré et défor­mé par celles et ceux qui ont choi­si d’y voir de la misan­drie. L’élue pari­sienne EELV et mili­tante fémi­niste a décro­ché, le 24 juin, la deuxième édi­tion du Prix de l’essai fémi­niste Causette.

Il y a trois jours, Alice Coffin publiait sur ses réseaux sociaux une décla­ra­tion des plus amères, main dans la main avec son avo­cate Me Clara Gandin. « Plainte contre le cybe­rhar­cè­le­ment mas­sif d’Alice Coffin : un dys­fonc­tion­ne­ment d’ampleur dans la lutte contre les cyber­vio­lences sexistes. » Dans ce texte, l’élue et son conseil affi­chaient leur décep­tion quant au deve­nir de la plainte contre X pour injures à rai­son du sexe et de l’orientation sexuelle et har­cè­le­ment en ligne dépo­sée en jan­vier auprès du pro­cu­reur de la République de Paris. « La semaine der­nière […], la nou­velle est tom­bée : l’enquête n’avait per­mis l’identification que d’un seul mis en cause [sur la ving­taine d’auteurs dont les mes­sages ont été sou­mis au par­quet, ndlr]. […] De fait, l’enquête appa­raît stop­pée s’agissant de la pour­suite des autres auteurs, y com­pris pour ceux dis­po­sant d’un compte nomi­na­tif. Quant au mis en cause iden­ti­fié, il écope d’un rap­pel à la loi. »

Cette impu­ni­té des cybe­rhar­ce­leurs déver­sant une haine mas­cu­li­niste et les­bo­phobe sur l’autrice du Génie les­bien (édi­tions Grasset) à chaque fois que son nom appa­raît dans l’actualité pèse sur sa san­té. Dans sa publi­ca­tion du 22 juin, Alice Coffin révèle être « médi­ca­men­tée » et que son « corps a été atteint à plu­sieurs endroits ». Le har­cè­le­ment a d’ailleurs dépas­sé le cadre d’Internet lors d’une confé­rence publique le 16 juin à Rouen, où l’élue venue par­ler fémi­nisme a été prise à par­tie, moquée et insul­tée par un groupe d’hommes iden­ti­taires et mas­cu­li­nistes qui sont mon­tés sur l’estrade pour per­tur­ber la ren­contre. Entretien avec celle qui aura lais­sé des plumes dans la publi­ca­tion d’un essai qui a défrayé la chro­nique, notam­ment parce qu’elle y affirme pré­fé­rer s’emparer d’objets cultu­rels (livres, musiques…) créés par des femmes plu­tôt que par des hommes afin de rééqui­li­brer quelque peu son pan­théon personnel.

Comment réceptionnez-​vous ce prix, au moment où vous dénon­cez l’inaction de la jus­tice dans le trai­te­ment de votre plainte pour cybe­rhar­cè­le­ment ?
Alice Coffin :
Cela ne pou­vait pas mieux tom­ber, car j’étais un peu en apnée, à la recherche de bonnes nou­velles. J’étais déjà très heu­reuse de comp­ter par­mi une si belle sélec­tion d’autrices, dont les ouvrages sont for­mi­dables. Désormais, je suis très heu­reuse d’être lau­réate, car je ne suis pas habi­tuée aux féli­ci­ta­tions ins­ti­tu­tion­nelles et, en tant que titre de presse, Causette est une ins­ti­tu­tion. Ce que je veux dire par là, c’est que dans le contexte cultu­rel fran­çais, rece­voir un prix est une légi­ti­ma­tion. Il y avait déjà une pre­mière légi­ti­ma­tion de mon pro­pos, celle de la publi­ca­tion : il est très impor­tant que les luttes fémi­nistes et les­biennes soient mises à plat dans l’objet cultu­rel qu’est le livre.
Mais la paru­tion de l’ouvrage a entraî­né avec elle tant de délé­gi­ti­ma­tion, de ridi­cu­li­sa­tion à tra­vers la cari­ca­ture et la défor­ma­tion de mes pro­pos et d’humiliations, dans la presse comme sur les réseaux sociaux, que ce prix est une immense joie. Enfin, il vient confir­mer la théo­rie que je déve­loppe dans mon livre, à savoir qu’être les­bienne est une fête !

Pourquoi la façon dont le par­quet a trai­té votre plainte pour cybe­rhar­cè­le­ment est-​elle révé­la­trice d’un dys­fonc­tion­ne­ment glo­bal sur le sujet ?
A.
C. : Parce que si, dans mon cas pré­cis, il n’est pas pos­sible d’obtenir jus­tice, je n’imagine pas les immenses dif­fi­cul­tés pour des per­sonnes plus ano­nymes. Déjà, il faut savoir que j’ai pu por­ter plainte parce qu’en tant qu’élue muni­ci­pale mes frais d’avocats sont cou­verts, au titre de la pro­tec­tion fonc­tion­nelle des élus. J’ai por­té plainte au nom de l’intérêt géné­ral, car je crois que plus des déci­sions de jus­tice contre les cybe­rhar­ce­leurs seront ren­dues et média­ti­sées, plus cela ser­vi­ra aux poten­tielles pro­chaines vic­times.
Mais c’est un énorme tra­vail d’investissement de temps et d’énergie pour consti­tuer le dos­sier avec preuves solides et cir­cons­tan­ciées à l’appui et c’est une forte charge émo­tion­nelle, car il faut se replon­ger dans ces hor­reurs qui ont déjà beau­coup d’impact sur votre vie.
Alors quand on voit le résul­tat, que, sur une tren­taine de mes­sages sou­mis à l’appréciation du par­quet, un seul ait fait l’objet d’attention, c’est un coup de mas­sue. Je dirais même que c’est une forme d’abandon de la démo­cra­tie et ferais le paral­lèle, toutes pro­por­tions gar­dées, avec le manque de moyens mis en œuvre pour lut­ter contre les fémi­ni­cides.
Concernant mon cas, nous espé­rons mon avo­cate et moi que les choses ne vont pas en res­ter là, mais nous sommes bien conscientes que des plaintes pour cybe­rhar­cè­le­ment, la jus­tice en reçoit des dizaines par jour.

“C’est incroyable qu’on puisse entendre des dis­cours van­tant une éga­li­té réa­li­sée quand on voit les obs­tacles encore mis contre les femmes qui osent publier une pensée”

Cette année lit­té­raire, vous n’avez pas été la seule femme cybe­rhar­ce­lée après avoir publié un essai. Votre his­toire res­semble beau­coup à ce qu’a vécu Pauline Harmange avec la publi­ca­tion de Moi les hommes, je les déteste
A. C. :
Absolument. Presque au même moment que moi, l’autrice Pauline Harmange a publié Moi les hommes, je les déteste, qui a eu un suc­cès reten­tis­sant grâce à la volon­té d’un membre du cabi­net de Marlène Schiappa [alors secré­taire d’État à l’égalité femmes-​hommes, ndlr] de le faire cen­su­rer. Nos livres ont en com­mun de remettre en ques­tion la mas­cu­li­ni­té patriar­cale. Nous nous sommes ren­con­trées elle et moi, et nous en sommes venues à com­prendre que les réac­tions épi­der­miques à nos publi­ca­tions rele­vaient du même conser­va­tisme agres­sif : la mas­cu­li­ni­té est un sujet qu’on ne doit pas tou­cher. C’est incroyable qu’on puisse entendre des dis­cours van­tant une éga­li­té réa­li­sée quand on voit les obs­tacles encore mis contre les femmes qui osent publier une pen­sée.
Pour prendre la mesure du cybe­rhar­cè­le­ment qu’a vécu Pauline Harmange, je recom­mande vive­ment de voir le docu­men­taire #SalePute, actuel­le­ment dis­po­nible sur Arte, dans lequel elle et d’autres témoignent.

La période est satu­rée de vio­lences ver­bales et de har­cè­le­ment à l’encontre des femmes. En ce moment se tiennent les pro­cès des cybe­rhar­ce­leurs de la jeune Mila d’une part, du maga­zine Valeurs actuelles d’autre part suite à la publi­ca­tion d’une fic­tion aux relents racistes à l’encontre de la dépu­tée Danièle Obono l’été der­nier. En quoi l’esprit d’un cer­tain « génie les­bien » tel que décrit dans votre essai peut faire rem­part à cette haine ?
A. C. :
Le génie les­bien est une réflexion sur com­ment contour­ner les entraves à l’accès à la parole publique. Car j’en suis per­sua­dée : le cybe­rhar­cè­le­ment que je vis, celui qui touche la jeune Mila ou la vio­lence de l’attaque envers Danièle Obono, ce sont des ten­ta­tives pour nous faire taire ou étouf­fer dans l’œuf un dis­cours poli­tique.
Ce que j’essaie de mon­trer dans mon livre, c’est que nous, femmes les­biennes, cela fait des années que nous lut­tons de manière struc­tu­relle contre les conser­va­tismes et l’intolérance. Comme nous le fai­sons de manière coor­don­née à l’échelle inter­na­tio­nale avec la Conférence les­bienne européenne.

Lire aus­si l Alice Coffin : « Le génie les­bien est une géné­ro­si­té politique »

En tant que membre de la Conférence les­bienne euro­péenne, com­ment entendez-​vous vous mobi­li­ser au sujet du pro­jet de loi hon­grois met­tant au ban une pré­ten­due pro­mo­tion de l’homosexualité auprès des enfants ?
A. C. :
Nous nous réunis­sons mar­di avec des les­biennes hon­groises membres de la Conférence pour coor­don­ner des plai­doyers au niveau de la Commission euro­péenne [sa pré­si­dente, Ursula von der Leyen, a déjà dénon­cé un pro­jet de loi « hon­teux »]. La méthode de cette attaque homo­phobe en Hongrie, via une pré­ten­due pro­tec­tion des mineurs, a déjà a été vue ailleurs, en Russie par exemple. L’idée est de mettre au ban une par­tie de la popu­la­tion, de construire un enne­mi ima­gi­naire et de sus­ci­ter de l’intolérance là où il n’y en a pas for­cé­ment.
C’est extrê­me­ment inquié­tant, comme le sont aus­si la lâche­té et l’absence de sens his­to­rique de l’UEFA qui a refu­sé à la muni­ci­pa­li­té de Munich de parer le stade de la ville des cou­leurs du dra­peau LGBT en sou­tien aux LGBT hon­grois lors du match Allemagne-​Hongrie. L’UEFA se réfu­gie der­rière une excuse disant que le foot n’est pas un lieu poli­tique, ce qui est absurde. Ce refus est en soi poli­tique, c’est un signe de laisser-​faire à Viktor Orban. Or, être à la tête d’une ins­ti­tu­tion spor­tive de cette ampleur, d’un sport aus­si sui­vi et plé­bis­ci­té que le foot­ball vous donne une res­pon­sa­bi­li­té poli­tique à laquelle vous ne pou­vez vous sous­traire. Le sport, c’est de la poli­tique, ne serait-​ce que par le poids des images qu’il véhicule. 

Pour ter­mi­ner sur une note plus douce, quels conseils cultu­rels la lau­réate du Prix de l’essai fémi­niste Causette et celle qui pro­meut les créa­tions cultu­relles fémi­nines pourrait-​elle don­ner à nos lec­trices pour l’été ?
A. C. :
Pour celles qui ont un peu plus de temps que d’habitude cet été, je recom­mande des clas­siques : le docu­men­taire No Gravity, de Silvia Casalino (OK, c’est la Yuri de mon livre [rires]) et la série Unbelievable.
Des nou­veau­tés : le pod­cast Dans son genre, avec Mathilde Forget ; le livre col­lec­tif Sororité, dans lequel Fatima Ouassak [lau­réate du prix du public du prix Causette] et moi on a écrit ! Le docu­men­taire Une his­toire à soi, actuel­le­ment en salles, et le livre Récits de la soif, de Leslie Jamison.
Et évi­dem­ment, toutes les œuvres sonores, visuelles, écrites des membres du jury et de toutes les sélec­tion­nées pour le prix !

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