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Dr Kpote © Christophe Meires

"Pubère la vie, à l’école des genres" : les bonnes feuilles du nou­veau livre de Dr Kpote

Didier Valentin, plus connu dans nos pages sous le pseu­do Dr Kpote, revient avec son essai Pubère la vie, à l’école des genres, dans lequel il nous invite à l’accompagner dans ses séances et à écou­ter les jeunes par­ler de sexua­li­té et de rap­ports de genre.

Depuis 2001, tous les élèves du CP à la ter­mi­nale sont censé·es rece­voir trois séances d’éducation à la vie sexuelle et affec­tive. Mais dans les faits, plus de vingt ans plus tard, seuls 15 % d’entre elles·eux béné­fi­cient de ces séances à l’école élé­men­taire et au lycée, moins de 20 % au col­lège. Parmi ces hap­py few, certain·es ont peut-​être croi­sé la route de Didier Valentin, ani­ma­teur de pré­ven­tion en milieu sco­laire depuis vingt ans, plus connu dans nos pages sous le pseu­do Dr Kpote. Après un pre­mier livre, Génération Q, recueil de ses chro­niques dans Causette paru en 2018 aux édi­tions La ville brûle, il revient avec un essai, Pubère la vie, à l’école des genres, aux édi­tions du Détour. Dans la même veine que ses chro­niques, il nous invite dans ce récit à l’accompagner dans ses séances et à écou­ter les jeunes par­ler de sexua­li­té et de rap­ports de genre. Poils, règles, por­no, contra­cep­tion, culture du viol, slut sha­ming, désir, plai­sir… Tous les sujets brû­lants de l’adolescence y passent au gré des vannes pro­voc et des ques­tion­ne­ments pro­fonds de ces presque adultes en pleine construc­tion. L’animateur s’appuie sur son expé­rience, sa vie et ses lec­tures pour inter­ro­ger et bous­cu­ler les repré­sen­ta­tions des ados – et celles du·de la lecteur·rice. Avec humour et bien­veillance, il dresse le por­trait en creux d’une géné­ra­tion prise entre les exi­gences post– #MeToo et les rap­pels à l’ordre du patriar­cat. Si le che­min vers l’égalité est encore long, cer­taines ful­gu­rances per­mettent d’espérer : soro­ri­té, nou­velles mas­cu­li­ni­tés, refus des « LGBTphobies »… Dans cet ouvrage, Dr Kpote nous montre que l’éducation est l’arme la plus puis­sante pour tordre le cou aux dis­cri­mi­na­tions de genre. À condi­tion de s’en don­ner les moyens. En exclu­si­vi­té Causette vous pro­pose de lire les bonnes feuilles du nou­veau livre du Dr Kpote ! Ici le cha­pitre inti­tu­lé "La contre-​attaque des hashtags"

Les bonnes feuilles de Pubère la vie, à l’école des genres

Joeystarr, mec un rien mon­tagne russe quant à ses posi­tions fémi­nistes, a quand même eu quelques éclairs de luci­di­té anti-​patriarcat avec son aco­lyte Kool Shen au sein de NTM. Leur son « Laisse pas traî­ner ton fils /​Si tu veux pas qu’il glisse /​Qu’il te ramène du vice » demeure un clas­sique qui pour­rait être uti­li­sé dans les pro­grammes de pré­ven­tion sur la mas­cu­li­ni­té toxique, si Joey n’avait pas si sou­vent défrayé la chro­nique avec ses déra­pages divers et variés. Dans « Paris sous les bombes », le groupe nous aver­tis­sait qu’« une mul­ti­tude d’impacts » (réfé­rence aux mes­sages graf­fés) allaient nous conscien­ti­ser à l’existence de toute une géné­ra­tion qui sor­tait du ghet­to pour enva­hir un espace réser­vé d’ordinaire aux bour­geois blancs des centres-​villes. Les jeunes issus des quar­tiers popu­laires relé­gués au-​delà du périf occu­paient ain­si des espaces cen­traux qui leur étaient d’ordinaire inter­dits. Les femmes connaissent bien, elles aus­si, l’existence de ces espaces publics où elles sont oppres­sées, chas­sées, har­ce­lées. Et puis, un jour, comme les graf­feurs de ban­lieue, elles ont réin­ves­ti ces ter­ri­toires hos­tiles. Désormais, Paris comme la pro­vince ne sont plus sous les bombes mais sous les col­lages des jeunes fémi­nistes de la qua­trième vague. Graffeurs et col­leuses par­tagent le même des­tin, celui d’être ver­te­ment cri­ti­qués chez les pri­vi­lé­giés. Forcément, les mâles domi­nants dénoncent la vio­lence des slo­gans du genre « Violeurs = séca­teurs ! » ou de ceux qui leur intiment l’ordre de se décons­truire sous des rafales de hash­tags ven­geurs. J’invite par­fois, en fin de séance, les jeunes à écrire sur des Post-​it leurs mes­sages pour l’avenir et de les rajou­ter autour d’un mon­tage de plu­sieurs pho­tos de col­lages prises par Tay Calenda, pro­je­té sur le tableau. Les filles sont concer­nées et très créa­tives. Les gar­çons écrivent des âne­ries sans queue ni tête ou se vannent par Post-​it interposés.

Certains mecs ont tel­le­ment peur de la cas­tra­tion numé­rique sur les comptes fémi­nistes, qu’ils ne s’y aven­turent jamais ou à grand ren­fort de « Désolé, je suis peut-​être pro­blé­ma­tique et conscient de mes pri­vi­lèges mais je vou­drais tout de même vous signa­ler que…».

« Ça va bien se pas­ser », espère alors Darmanin, sym­bole d’une impu­ni­té assu­mée et qui, ques­tion immo­bi­lier, pri­vi­lé­gie les règle­ments en nature. Ce n’est pas simple de décons­truire mais ce n’est pas non plus un chan­tier pha­rao­nique. Il suf­fit de lire quelques ouvrages fémi­nistes, prê­ter de l’attention à celles qui les incarnent et sur­tout accep­ter de ques­tion­ner nos pos­tures et nos pri­vi­lèges. En atten­dant, mes­sieurs, révi­sons ensemble les hash­tags qui nous concernent ; his­toire d’avancer dans la com­pré­hen­sion de ce qui nous est logi­que­ment repro­ché et de se cou­cher moins cor­ni­chons (« cons », c’est sexiste).

Il faut recon­naître que DSK, Weinstein, Depardieu, Poivre d’Arvor et toute cette clique d’hommes de pou­voir, à poil sous le pei­gnoir, nous ont sérieu­se­ment savon­né la planche ! Beaucoup les cri­tiquent mais seule­ment du bout des lèvres au nom d’un #OnNePeutPlusRienFairisme indi­gent ou du vieux réflexe colo­nial, à l’image de Jean-​François Kahn qui évo­quait le trous­sage de domes­tique pour com­men­ter le viol de Nafissatou Diallo. Même la star pré­fé­rée des boo­mers, l’immense Catherine Deneuve, avait récla­mé le droit à être impor­tu­née. Les mecs se sont alors dit qu’elle serait sui­vie et qu’ils allaient pou­voir souf­fler. C’était sans comp­ter sur la jeune géné­ra­tion, celle qui se lève et #SeCasse der­rière Adèle Haenel, qui nous a annu­lés de son monde et pla­cés devant nos res­pon­sa­bi­li­tés. Tiens, on dirait bien que #LaPeurChangeDeCamp, les gars !

Par consé­quent, cer­tains hommes ne savent plus s’ils doivent se décrire comme fémi­nistes, « pro­fem » ou alliés. Ils sont comme le lapin blanc d’Alice au pays des mer­veilles, s’essoufflant de col­loques en tables rondes, tout en répé­tant : « En retard, tou­jours en retard.»

D’autres, comme Beigbeder et ses potes hété­ro­sexuels légè­re­ment dépas­sés, pré­fèrent pen­ser que « c’était mieux avant ». Et pour­tant, nous avons tout à gagner à plus d’égalité. Le pro­blème est que beau­coup d’hommes car­burent au Winamax. En gros, fré­rot, ils ont besoin de gros gains pour gagner un gros res­pect. Forcément, ça coince, parce que le jack­pot va mettre du temps à s’afficher sur leurs comptes. Il faut être patient avant que ça paye, au sor­tir du patriar­cat. Il faut accep­ter de perdre une par­tie, d’être moins cen­tré sur ses par­ties pour par­ta­ger les gains.

Désormais, on nous enjoint de nous posi­tion­ner ! Même si le risque est de le faire de façon « pro­blé­ma­tique », je pense que c’est tou­jours mieux que de faire le mort. Les mili­tantes sont fati­guées de tou­jours nous expli­quer, d’en- tendre le fameux « Ah, mais fal­lait le dire » qu’Emma a bien résu­mé dans son tra­vail sur la charge mentale.

Commençons donc par le #Relou, qui som­meille en cha­cun de nous, à cause des rôles de genre. Depuis tout petit, on se construit en s’inspirant du modèle à papa, celui du mâle domi­nant, hégé­mo­nique et « tous­sa ». À coups de cein­ture et de coups de pied au cul, on nous a tan­né le cuir, nous deman­dant de bien enfouir au plus pro­fond de notre cer­veau nos affects. « Pleure pas mon fils, t’es pas une gon­zesse.» La seule chose qu’on nous a deman­dé de conscien­ti­ser, c’est la viri­li­té du bout du gland jusqu’aux pecs que cer­tains exhibent fiè­re­ment sur les aires de street wor­king. Une fois le muscle saillant et hui­lé, on peut dra­guer, (que dis-​je ?) « pécho », ser­rer, gérer, attra­per, fer­rer et j’en passe des verbes d’action qui témoignent de notre poten­tia­li­té à nous éri­ger en chas­seurs devant l’éternel et face à nos proies poten­tielles. Les jeunes adorent m’en faire la liste.

On ne peut plus dra­guer ? Mais si, ne vous inquié­tez pas, sauf que la drague bien lourde, le peigne dans le slip et la pupille foca­li­sée sur le décol­le­té, c’est un truc de daron, du Popeye dans Les Bronzés, du Aldo Maccione de pis­cine muni­ci­pale. La plus belle répar­tie à ce sujet, je l’ai enten­du de la bouche de Clarence Edgard-​Rosa, rédac­trice en chef de Gaze. À un édi­teur qui se plai­gnait de la dif­fi­cul­té nou­velle de bara­ti­ner, elle a répon­du avec un grand sou­rire : « Si vous ne me tenez pas la porte de l’ascenseur avec votre bite, il n’y aura aucun pro­blème.» Cette phrase me sert sou­vent en séances de pré­ven­tion. Eh oui, on ne passe pas de Bigard à Laurent Sciamma d’un coup de baguette magique. #Déconstruit, mec ! Il va fal­loir lire des bou­quins d’autrices avec Alice Coffin ! Certes, au début, le cer­veau va man­quer un peu de la dopa­mine four­nie d’habitude par la PS5 de Sony ou les vidéos de lequipe.fr (audience com­po­sée à 77 % d’hommes, d’après Médiamétrie). Et puis, si la lit­té­ra­ture fémi­niste ne passe pas, rien ne nous empêche de consul­ter pour se débar­ras­ser du lourd héri­tage lais­sé par nos aînés. #PayeTonDivan, quoi.

Le gros chan­tier concerne le har­cè­le­ment de rue, qui prend ses racines dans le har­cè­le­ment de cou­loir à l’école. Il faut apprendre aux petits mâles que les remarques inces­santes sur le corps des filles n’ont pas lieu d’être. Arrêtons de com­men­ter haut et fort le phy­sique des femmes dans la rue, sachant que la plu­part en ont plus que marre. Ayons de la pudeur dans l’expression de nos érec­tions. Nombreux sont ceux qui y arrivent en soli­taire, mais ça se gâte dans la ver­sion #BoysClub, soit en groupe — « entre couilles », comme on dit.

Derrière les com­men­taires des posts rela­tant le har­cè­le­ment de rue ou les vio­lences faites aux femmes, cer­tains riva­lisent de rapi­di­té pour s’insurger dès le début du fil d’actualité. Ils sont sou­vent plus viru­lents que les per­sonnes concer­nées, aspi­rant à ce que leur avis soit lu, enten­du, « liké » et par­ta­gé parce qu’un mec qui s’engage aux côtés des femmes, c’est tel­le­ment rare que ça doit se savoir ! Ils scrutent les réponses à venir, anti­cipent déjà le shoot que les petits cœurs espé­rés vont leur injec­ter. Et là, cruelle dés­illu­sion, les meufs connec­tées leur balancent des #Cookies ; ces petits gâteaux aux pépites de cho­co­lat qu’on donne à goû­ter aux gamins. Le cookie, ce gâteau qu’on boy­cotte parce que bour­ré de glu­ten et de glu­cides, qui ali­mente nos aller­gies et ruine nos efforts pour éli­mi­ner les mau­vaises graisses à la salle. Elles le font pour dési­gner de manière iro­nique les récom­penses que les hommes sem­ble­raient attendre en se posi­tion­nant aus­si for­te­ment. Du coup, ceux-​ci se sentent reje­tés, infan­ti­li­sés. Et pour­tant au départ, si le cookie a été inven­té par les tenan­cières de la Toll House Inn à Whitman, Massachusetts, ce sont bien des mecs, des vrais, des sol­dats du même État (qui étaient sta­tion­nés à l’étranger pen­dant la Seconde Guerre mon­diale) qui en ont fait la star des bis­cuits en le par­ta­geant avec leurs potes de tran­chées. Des éclats de cho­co­lat aux éclats d’obus, de la cui­sine aux ter­rains de jeux mas­cu­lins, le cookie a per­du­ré mal­gré les sté­réo­types de genre. Mais pour­quoi nous lan­cer des gâteaux sur les réseaux ? Parce qu’en dénon­çant l’oppression, on ne mérite aucune récom­pense. C’est juste le mini­mum syn­di­cal qu’on est en droit d’attendre de nous. Ainsi, nous sommes aus­si invi­tés à nous ques­tion­ner : dans notre quo­ti­dien, sommes-​nous aus­si atten­tifs que sur la toile, aus­si réac­tifs que sur nos fils Twitter, aus­si inci­sifs dans nos reproches au patriar­cat, aus­si utiles pour par­ta­ger la charge mentale ?

Ne per­dons pas notre temps à sti­pu­ler en lettres majus­cules que « NON et NON, nous ne sommes pas de ceux-​là », que nous haïs­sons les « autres », ces agresseurs-​harceleurs-​violeurs. Quand, à juste titre, les femmes iro­nisent en nous répon­dant #NotAllMen, les « pas moi » s’enfoncent dans une jus­ti­fi­ca­tion de leurs pro­pos, attes­tant de leur atti­tude éga­li­taire en socié­té. Ce #NotAllMen, c’est le plus dur à digé­rer, même pour les types hyper-​conscientisés. Beaucoup ne le com­prennent pas parce qu’ils tiennent à se déli­vrer leur propre cer­ti­fi­cat de bonne conduite. Nous devons assi­mi­ler la dif­fé­rence entre le vécu per­son­nel et la domi­na­tion sys­té­mique, si nous vou­lons clai­re­ment avan­cer sur les routes de l’égalité. #OuiAllMen sont concer­nés par ce sys­tème oppres­sif, que nous en soyons les acteurs, les com­plices ou de simples spec­ta­teurs. Certes, c’est aus­si dur à ava­ler qu’un putain de cookie bien sec mais il faut l’accepter. C’est une étape obli­ga­toire de la décons­truc­tion avant d’aller rame­ner sa fraise dans une manif du 8 mars ou mettre du rouge à lèvres sur Instagram pour lut­ter contre les vio­lences faites aux femmes comme Denis Baupin.

Certes, beau­coup d’entre nous disent ne pas avoir mau­vais fond, sur­tout quand ils sont seuls, orphe­lins de leur ligue du LOL. Pour preuve, ils ouvrent élé­gam­ment la porte aux femmes. Alors, quand les jeunes fémi­nistes les taxent de #SexistesBienveillants, la poi­gnée leur reste dans la main. « Cela revient à trai­ter les femmes comme des petites choses à pro­té­ger », nous dit Emma, l’illustratrice, déci­dé­ment excel­lente cas­seuse de bon­bons. On nous somme d’oublier nos vieux réflexes de galan­te­rie, cette cour­toi­sie empres­sée auprès des femmes, qui per­met aux hommes d’affirmer leur posi­tion de domi­nants sous le cou­vert d’une bien­veillance sur­jouée. Soyons juste polis et tenons la porte à tous et toutes, sans dis­tinc­tion de genre. J’ai sou­vent lu que le sexisme bien­veillant per­met­tait de jus­ti­fier et de main­te­nir l’organisation sociale exis­tante, les rap­ports de subor­di­na­tion. Ce qui res­semble à une bonne inten­tion est ain­si tein­té d’un pater­na­lisme « qui date », comme disent les jeunes. À ce sujet, on vit un vrai conflit géné­ra­tion­nel où de nom­breuses femmes ayant la sen­sa­tion d’avoir pro­fi­té de cette « bien­veillance » défendent la galan­te­rie et en rede­mandent. Ceci dit, au début de l’épidémie de Covid-​19, ils étaient moins nom­breux à tenir les portes, sur­tout sans gel hydro­al­coo­lique sur eux !

Les femmes ont besoin d’être sou­te­nues, aidées, voire sau­vées ! Vous êtes d’ailleurs le pre­mier à cou­rir à leur secours et à leur sou­rire de toutes vos dents bien limées grâce aux tutos sur TikTok. Et là, ces scé­lé­rates vous traitent de #WhiteKnight. Ça, c’est vrai­ment dégueu­lasse parce que vous y met­tez grave du vôtre pour pour­fendre les mau­vaises herbes autour d’elles, pour accueillir son joli fes­sier en ama­zone sur votre des­trier à moteur ou pour lui lais­ser le volant de votre Lotus comme Richard Gere dans Pretty Woman — ce film qui fait rêver tant de sau­veurs pater­na­listes des années 1980 ; moins les tra­vailleuses du sexe. Les femmes ne sont plus dupes : le che­va­lier est loin d’être tout blanc. Il compte bien tirer ses rous­tons du feu et atti­rer la prin­cesse dans ses draps grâce à sa témé­ri­té et son port altier. Un vrai #NiceGuy ! Défendre sa sœur ou les autres femmes de la famille relève du même procédé.

En queens des empê­cheuses de ban­der en rond, les fémi­nistes amé­ri­caines nous ont expor­té le #Manterrupting. Que ce soit fait consciem­ment, par miso­gy­nie ou condes­cen­dance, ou incons­ciem­ment, du fait de rap­ports de domi­na­tion bien inté­rio­ri­sés, les hommes coupent sys­té­ma­ti­que­ment la parole aux femmes lors de débats publics ou dis­cus­sions plus intimes. J’en fais l’expérience tous les jours avec les groupes-​classe ou en regar­dant les talk-​shows à la télé. Maintenant que je suis au jus, je me tais pen­dant que mes col­lègues prennent la parole. Comme je ne tra­vaille qu’avec des femmes, ça me laisse d’infimes fenêtres de tir pour pos­tillon­ner tout ce que j’ai rete­nu sous ma langue pen­dant la réunion ! Ce qui est un exploit car je suis très bavard. Allez, hop, un #Cookie !

Avant, cer­tains aimaient tel­le­ment faire pro­fi­ter les femmes de leurs conseils avi­sés pour qu’elles évitent de se faire voler des pho­tos intimes, anti­cipent leurs pro­chaines règles, ne subissent plus la pres­sion dans une rela­tion toxique… Aujourd’hui, leur bien­veillance ne trouve plus d’écho favo­rable et, une nou­velle fois, la sen­tence outre-​Atlantique tombe der­rière le dièse #Mansplaining, tra­duit en fran­çais par le terme #Mecsplication. « C’est abu­sé, c’est juste du conseil !» relatons-​nous à nos potes de comp­toir devant la cin­quième bière. Oserions-​nous, sur la pelouse, conseiller CR7 avant qu’il tire son coup franc ou, sur le cen­tral à Roland-​Garros, expli­quer à Nadal com­ment il doit ser­vir ? Non ? Ben voilà.

Beaucoup ont l’impression que quoiqu’ils fassent, ils sont « hash­tag­gés » et « shits­tor­més ». « Déconstruis ! Supprime ! Conscientise ! » : les mecs découvrent le monde des injonc­tions, se sentent accu­lés alors qu’avant ils se grat­taient les couilles tran­quillou devant le PMU. Forcément, ils s’en plaignent et la sanc­tion est immé­diate : #MaleTears. Dégoûtés, ils tra­versent la ville en fai­sant #OuinOuin parce qu’après tout, ces Feminazgûl, sans l’ombre d’une com­pas­sion, ont tiré sur l’ambulance ! Ils sont le cor­ni­chon pris en sand­wich entre les autres hommes qui les traitent d’« hommes soja » (soit un mec qui aurait per­du sa viri­li­té à cause d’une nour­ri­ture « trop fémi­ni­sée ») et les femmes qui leur reprochent d’être la repré­sen­ta­tion du vio­leur. Pire, on leur refuse même des actions mili­tantes en non-​mixité alors qu’ils ne regardent même plus le foot à la télé et qu’ils ont lu, en entier s’il vous plaît, les deux tomes du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir ! Il y a de quoi pleu­rer, non ?

Et puis il y a les world lovers, ceux qui, plein d’amour sous leurs dreads d’altermondialistes, aiment tout le monde. Ils se disent aus­si #Universalistes que la République, ne sup­por­tant plus tous ces racia­listes, indi­gé­nistes, et autres sépa­ra­tistes « islamo-​gauchistes » qui la salissent. Pour eux, on ne joue pas avec les #Intersectionnels. Forcément, ils sont l’amour uni­ver­sel incar­né, bien ins­tal­lés dans leurs #WhitePrivilege ! D’ailleurs, ils ne com­prennent pas qu’on ne le leur rende pas, cet amour, sur­tout ceux qu’ils « tolèrent » dans leurs enga­ge­ments asso­cia­tifs. C’est le genre de mec qui, une fois sur Pornhub, ne pra­tique aucune ségré­ga­tion, mate aus­si bien de la « Black », de la « beu­rette en hijab », de la col­lé­gienne japo­naise que de la bom­ba lati­na… Il « s’exotise » le gland, per­met à son foutre de voya­ger sans pas­se­port vac­ci­nal. Pour lui, tous les culs se valent et le racisme, ce n’est vrai­ment pas son truc. Et voi­là que, même dans sa sphère intime, ces empê­cheurs de tour­ner en rond lui reprochent de #Fétichiser, voire de s’#ApproprierCulturellement les autres iden­ti­tés ! C’est dingue ! Ces cri­tiques sont incom­pré­hen­sibles pour des mecs qui ont l’esprit aus­si ouvert qu’un anus après une triple anale.

#MasculinitéToxique, #BroPropriating ou « effet Matilda » (quand un homme s’approprie l’idée ou les idées d’une femme), #Manslamming (atti­tude des hommes qui bous­culent les femmes sur la voie publique), #Manspreading dans le bus… Les hash­tags ne manquent pas. Imaginez donc le chan­tier colos­sal qui nous attend, les mecs, pour les faire dis­pa­raître, un à un — un bou­lot à plein temps, je vous dis.

Récemment, un jeune m’interpellait sur le #MenAreTrash qui l’empêchait de dor­mir. C’est vrai qu’être balan­cé à la pou­belle avec les ordures, ça fait mal à l’ego. C’est com­pli­qué pour un ado de com­prendre que le concept est sys­té­mique et non per­son­nel. Mais les jeunes ont tout en main pour inver­ser la ten­dance et puis le hash­tag, eux, ils maî­trisent — pas comme les boo­mers. #OnCompteSurVousLesJeunes, #PressionDeOuf, #UneDinguerie, #TikTokChallenge.

Couverture Pubere la vie

Pubère la vie. À l’école des genres, de Dr Kpote. Éditions du Détour, 20,90 euros. Sortie le 31 août

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