Fiona Schmidt : « D'amusantes, les vieilles dames sont deve­nues inspirantes »

Ce mois-​ci, notre chro­ni­queuse Fiona Schmidt rend hom­mage aux figures intel­lec­tuelles et mili­tantes fémi­nistes âgées.

Je ne lance pas de flamme ce mois-​ci, je la déclare à toutes ces vieilles dames en feu qui ral­lument ma flemme quand l’actu donne envie de se rou­ler sous la couette en posi­tion fœtale. Le 5 octobre est sor­ti en salles un docu­men­taire pas­sé injus­te­ment inaper­çu (sauf dans Causette, bien sûr), consa­cré à Marie-​José Tubiana, une eth­no­logue de 92 ans qui a accom­pa­gné des cen­taines de réfugié·es du Darfour dans leurs démarches de demande d’asile en France. Le docu­men­taire s’appelle La Combattante. C’est un blaze qui irait éga­le­ment à mer­veille à Annie Ernaux, 82 ans, dont le Nobel de lit­té­ra­ture qui lui a été décer­né le 6 octobre a don­né aux petites gens broyé·es par le mépris de classe l’impression d’avoir gagné la Coupe du monde.

Le 16 octobre, la pre­mière « Nobelle » fran­çaise de lit­té­ra­ture était dans la rue pour pro­tes­ter contre la vie chère et se faire, comme à son habi­tude, la porte- parole des sans-​voix. Trois jours plus tôt, le 13, sor­tait le nou­veau livre de Margaret Atwood (82 ans, elle aus­si) : un recueil d’articles sur les défis de l’écologie, les enjeux du fémi­nisme et les ravages du trum­pisme dans son pays d’adoption (elle est cana­dienne). Son titre, Questions brû­lantes, résonne évi­dem­ment avec l’actualité – et cette chro­nique, wink wink. Mais l’autrice rap­pelle aus­si l’importance de gar­der la flamme à un âge auquel on attend des vieilles dames qu’elles fassent du tri­cot plu­tôt que la révo­lu­tion. Les deux ne sont évi­dem­ment pas incom­pa­tibles, mais ça fait un bien fou que ces femmes nous le rap­pellent. Ça fait un bien fou de voir que l’âge ne « Badinterise » pas toutes les fémi­nistes et, sur­tout, qu’on peut être badass un jour et le res­ter toujours. 

Je pour­rais dire que ces femmes « donnent envie de vieillir », si l’expression n’était pas le reflet d’un âgisme inté­rio­ri­sé : aucune période de la vie autre que la vieillesse n’a, en effet, besoin d’ambassadrices pour infir­mer les pré­ju­gés qui lui sont spon­ta­né­ment asso­ciés. Aucun maga­zine fémi­nin n’a jamais titré « Ces stars qui donnent envie d’avoir 25 ans », par exemple, parce que la ving­taine n’a pas besoin d’être pro­mue, comme si ses aspects posi­tifs étaient invi­sibles à l’œil nu. 

Et de toute façon, l’enjeu n’est pas là. L’enjeu n’est pas de res­sem­bler à ces femmes en par­ti­cu­lier, de rem­pla­cer nos vieux pos­ters de Kate Moss par des pos­ters men­taux d’Annie Ernaux. L’enjeu, c’est de diver­si­fier nos repré­sen­ta­tions de la vieillesse au fémi­nin, afin de pou­voir pro­je­ter nos exis­tences per­son­nelles au-​delà de l’horizon étri­qué, cari­ca­tu­ral et sexiste qu’on nous impose. 

Jusqu’à pré­sent, l’existence des vieilles dans l’espace public était condi­tion­née au fait qu’elles nous amusent, soit parce qu’elles sont mignonnes (team Mamie Nova), soit parce qu’elles sont excen­triques (team Brigitte Fontaine), soit parce qu’elles sont odieuses (team Tatie Danielle). Hier, les vieilles dames indignes étaient risibles parce qu’elles s’opposaient invo­lon­tai­re­ment au sens de l’Histoire. Aujourd’hui, ces vieilles dames s’indignent et, ce fai­sant, par­ti­cipent à chan­ger le cours de l’Histoire. D’amusantes, elles sont deve­nues ins­pi­rantes. Et ça pro­fite à toutes les générations.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.