ÉDITO. C'est leur vérité, et c'est bien qu'elle soit dite. Dans un long entretien croisé donné au Point, Emmanuelle Seigner, actrice et femme de Roman Polanski et Samantha Geimer, violée à l'âge de 13 ans par ce dernier, devisent autour du mouvement féministe post #MeToo dans lequel, on le sait, elles ne se reconnaissent pas.
Tout au long de l'échange, elles affirment être écrasées par le poids d'un militantisme qui les perçoit comme victimes du même homme, malgré leurs dénégations. Éternelle victime de viol sur mineure pour Samantha Geiner, épouse aveuglée et sous emprise pour Emmanuelle Seigner, dénoncent en chœur les deux femmes qui, jusqu'ici, ne s'étaient jamais rencontrées. Devant nous naît une amitié tissée des mêmes soupirs exaspérés contre « la bienveillance bidon », la « cancel culture » ou encore le fait d'attendre d'un·e artiste qu'il ou elle soit « parfaitement moral ».
Dans leur discours revient aussi un mystérieux « ils », tour à tour journaliste, avocate ou militante féministe mais toujours autoritaire et liberticide : « Ils veulent se servir de cette histoire », dit Emmanuelle à Samantha ; « ils veulent vous humilier », répond Samantha à Emmanuelle. En fait, les deux femmes dénoncent ce qu'elles estiment être des dérives mercantiles de la libération de la parole : « Aujourd'hui, la douleur des femmes est valorisée et il y a toute une industrie qui exploite la souffrance », juge Samantha Geiner.
Au même titre que nous devons être capables d'entendre la voix des victimes, il nous faut l'écouter quand elle s'époumone – et depuis des années : « Que je sois bien claire : ce qui s'est passé avec Polanski n'a jamais été un gros problème pour moi. […] J'allais bien, je vais toujours bien. Et qu'on ait fabriqué ce truc me pèse énormément. »
Pour autant, Samantha Geiner se fourvoie quand elle s'exclame que dans l'époque post #MeToo, « les femmes se sont privées elles-mêmes de leur liberté sexuelle ! » « Aujourd'hui, c'est comme si le désir féminin était nié, annihilé. Et c'est triste », abonde Emmanuelle Seigner. La grossière dystopie complotiste, façon Handmaid's Tale n'est pas loin : « Prochaine étape, sans que personne y fasse gaffe, vous ne pourrez plus aller travailler, vu que le monde est rempli d'hommes et que vous n'êtes pas en sécurité. » Toutes deux passent ainsi complètement à côté du mouvement sex-positive au coeur du féminisme de ces dernières années. Son enjeu, précisément : placer le plaisir féminin au centre grâce à l'écoute de soi et à la notion de consentement.
Enfin, pour réfuter la qualification de viol et lui préférer celle de simple « relation illicite avec une mineure », Samantha Geiner insiste sur le contexte particulier des années 70 : « A l'époque, tout un tas d'adolescentes auraient rêvé de se retrouver dans la maison de Jack Nicholson pour s'envoyer en l'air avec le premier type qui leur serait tombé sous la main. » Reste qu'à ce jeu-là, la contradiction n'est jamais loin. Lorsqu'elle raconte ce moment où un « juge a dit à [sa] mère et [elle] devant tout le monde : "Qu'avons-nous là ? Un duo mère-fille de putes ?" », elle le regrette : « On nous prenait vraiment pour les fautives dans l'histoire. Et cela ne choquait personne. » Sans s'apercevoir que c'est précisément contre la culpabilisation des femmes violées – la norme, dans une époque pétrie de culture du viol – que s'est érigé ce féminisme actuel qu'elles honnissent.