Je vais vous raconter une histoire qui s’est passée en France. La France, vous voyez ? Le pays du fromage et du féminicide. Là où une femme sur sept a subi une forme d’agression sexuelle et où une femme sur dix est victime de violences conjugales. Il y a quelques semaines sortait dans une petite maison d’édition associative, Monstrograph, un livre de Pauline Harmange : Moi les hommes, je les déteste. L’autrice a 25 ans, son texte est davantage un appel à la sororité qu’un manifeste brutal, même si le titre est provocateur. Pour autant, Pauline Harmange fait soudain entendre une parole revendiquant la misandrie. La misandrie, ça vient du grec misos, « haine », et de aner, « homme ». Vous noterez que ce mot est nettement moins usité que son pendant misogynie. Probablement parce que éprouver un sentiment de mépris ou d’hostilité envers les hommes relève de l’inconcevable dans une société patriarcale. De l’inconcevable et de l’interdit. Surtout dans ce pays où une femme se fait violer toute les sept minutes et où trois plaintes sur quatre sont classées sans suite.
Le jour même de la publication, les éditeurs ont reçu un mail d’un chargé de mission du ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Un mail les menaçant de poursuites pénales, leur demandant de retirer le livre de leur catalogue. Misandrie = haine des hommes/Provocation à la haine = délit. L’équation était claire dans la tête du monsieur. Plutôt que s’attaquer aux écarts de salaires, il s’est dit houlala, et si on se mêlait plutôt de littérature. C’est plus simple à gérer que la colère qui gronde, il suffit de censurer et ça n’existe plus. Effacer des esprits qu’il peut être possible de détester les hommes, ce qu’ils font au quotidien autant que ce qu’ils représentent, en voilà une urgence. Il va de soi que les médias ont été informés et que le ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes n’a pas suivi l’idée de son zélé fonctionnaire. Faut dire qu’à ce compte-là, c’est l’intégrale de Houellebecq qui tombait pour misogynie.
L’histoire se finit bien. Moi les hommes, je les déteste a eu un tel écho que les ventes ont grimpé en flèche, le livre va être repris aux éditions du Seuil, la parole de Pauline Harmange n’a pas fini d’être entendue. Pour autant, cette histoire nous rappelle au réel. La misandrie relève toujours de l’inacceptable. Reconnaître qu’il est possible de détester les hommes, c’est reconnaître la violence de leurs us et coutumes, autant que leurs privilèges. La plus grande écrivaine misandre s’appelle Valerie Solanas (1936−1988), elle est américaine, autrice du SCUM Manifesto en 1967. Son manifeste, c’est du grand art, il faut le lire absolument. Il est aussi violent que drôle, revendiquant carrément la suppression du sexe masculin. Par « sexe masculin », entendre le virilisme et les formes dominantes liées au patriarcat. Bien sûr, c’est radical. La misandrie effraie, jusque dans les rangs de nos sœurs. Pourtant, c’est un outil de déconstruction massive. Et c’est drôlement utile en ces temps d’officielle révolution des mœurs.