Toute la nuit du 4 novembre, après avoir regardé l’intégralité de l’entretien d’Adèle Haenel sur Mediapart, j’ai rêvé qu’à mon tour je dénonçais D.¹, l’homme qui me tripotait dans les boxes de 14 à 17 ans, à l’époque où je montais à cheval. La façon dont Adèle parlait d’emprise, d’intériorisation de la responsabilité, alors même que ce sont des choses que je sais depuis longtemps d’un point de vue théorique et que je croyais avoir assimilées, sont venues cette fois me parler à un autre endroit, plus profond, intime.
Cette nuit-là, en boucle, refaisant quarante fois le même rêve, je dénonçais D., en me disant que j’avais raison de le faire, pour moi, mais surtout pour les autres. Au fond, la culpabilité que j’ai de ne pas avoir parlé demeure parce que j’ai su par la suite qu’il faisait pareil avec d’autres jeunes filles, parfois encore plus jeunes que moi. Beaucoup d’autres sont passées par ce club et entre ses mains, passionnées d’équitation, en quête de reconnaissance, se laissant faire parce qu’il savait exactement quand s’arrêter pour que la fille pense « c’est un truc entre nous deux, je suis grande, c’est notre secret » ; pour qu’elle se taise sans qu’il soit nécessaire de l’y contraindre. Quelle intelligence. L’instinct du prédateur qui ne se fera jamais pincer. Il me disait, en effleurant mes seins : « Si tu veux j’arrête, j’arrête quand tu veux. » Sachant très bien à quel point les jeunes filles sont éduquées pour ne jamais dire NON haut et fort, sachant très bien comme nous voulions qu’il nous aime. Il me disait à l’oreille : « Ne le dis à personne, mais tu es ma préférée. » Efficace récupération de la rivalité des jeunes filles entre elles. Nous taire nous faisait nous sentir puissantes : nous possédions un secret.
Et le pire, dans tout ça, c’est que comme pour d’autres, ces souvenirs ont envahi mon inconscient érotique. Comme le dit mon ami Juliet Drouar, auteur et créateur du festival Des sexes et des « femmes »² dans l’article « L’inconscient patriarcal : un exemple de parcours masturbatoire », nos fantasmes masturbatoires ne sont pas des « fantasmes », mais « correspondent en réalité à l’érotisation des violences patriarcales qui nous est inculquée et que nous avons intériorisée ».
Je constate que tout ce qui me provoque aversion et dégoût « IRL » peut potentiellement, une fois remis en scène dans un scénario contrôlé et réécrit dans ma tête, devenir excitant, avec toute la culpabilité que cela implique d’être excité par un abus. Je sais que nous sommes nombreux·euses à être concerné·es par ce geste psychique qui permet de « reprendre le pouvoir » sur ce qui s’est passé. Mais si je suis très honnête, je ne vois pas bien quel pouvoir je reprends en revisitant éternellement ces scènes dans un box pour jouir. Je ne vois aucune issue pour moi-même et je compte sur la génération suivante, mes chères petites sœurs, pour balancer tous les vieux porcs ² au premier écart qu’ils feront, pour éduquer aussi les jeunes garçons à renoncer au pouvoir bâti sur la contrainte, à trouver leur jouissance au cœur même de la vôtre.
1. Océan avait mentionné le nom complet de son agresseur dans son texte, mais pour pouvoir l’écrire dans nos pages noir sur blanc, il aurait fallu que nous menions une enquête journalistique poussée, sous peine de diffamation.
2. @dessexesetdesfemmes