Qui de mieux placés que trois hommes pour débattre de la meilleure façon d’inciter les Françaises à faire des bébés ? Sur BFM-TV, ce n’est visiblement pas un problème.
On sait poser les vraies questions, sur BFM-TV. Le 5 janvier, dans Le Duel du live, la chaîne lançait le débat : faut-il inciter les Français à avoir des enfants ? Une interrogation plus rhétorique qu’autre chose, puisque à en croire le bandeau à l’écran, la question était “vite répondue” : “Natalité en baisse : faites des gosses !”, pouvait-on y lire. Et pour en parler, l’animateur Maxime Switek s’est entouré de deux invités remarquablement bien choisis : Xavier Iacovelli, sénateur Renaissance des Hauts-de-Seine, et Aleksandar Nikolic, conseiller régional Centre-Val-de-Loire et membre du Conseil national du Rassemblement national (RN). Après tout, qui de mieux placés que deux hommes de droite et d’extrême droite pour débattre de la meilleure façon d’“inciter” les femmes à enfanter, hein ?
Car oui, pendant une bonne partie de la séquence, c’est des femmes dont il a été question. Comme toujours lorsqu’on parle fécondité, remarquez. “Il y a dix ans, par exemple, on était à deux enfants par femme, aujourd’hui on risque de tomber à 1,70. 700 000 naissances seulement en 2023”, s’inquiète ainsi le conseiller RN. La fécondité des hommes ? Quand bien même elle fait aussi l’objet d’études, ce n’est pas le sujet. En fait, ce n’est jamais le sujet.
On ronge nos “freins”
Une fois de plus, donc, c’est du ventre des femmes – ces mauvaises élèves – dont ont jugé bon de débattre nos trois larrons. “Un certain nombre de freins [se sont] mis en place petit à petit à petit, avec l’écoanxiété bien sûr, avec les questions de logement, avec les carrières qui commencent plus tard, souvent… Parce que c’est souvent les femmes qui en subissent les conséquences. Mais les femmes font des études aussi plus longtemps, et donc commencent leur carrière plus longtemps [sic] et souhaitent avoir une situation avant d’avoir des enfants. Donc tout ça provoque un certain nombre de freins. La question de l’infertilité, aussi, puisque plus on fait d’enfants tard, plus on a des difficultés à avoir des enfants. Sans compter les perturbateurs endocriniens”, développe à son tour Xavier Iacovelli.
Étonnamment, personne sur le plateau n’a songé à dire que si les Françaises ne veulent pas faire d’enfant, ou moins que leurs aînées, c’est peut-être aussi parce qu’elles se cognent les deux tiers du travail parental et les trois quarts du travail domestique. Qu’une fois mères – ou enceintes –, elles se retrouvent discriminées sur le marché de l’emploi. Qu’en cas de séparation, ce sont elles qui dévissent économiquement, d’autant que 30 % d’entre elles sont victimes de pensions alimentaires impayées. Mais bon, pour que soient évoquées ces réalités, peut-être aurait-il fallu avoir l’idée révolutionnaire d’inviter… une femme qui connaîtrait le sujet ?
Une spécialiste qui, par exemple, aurait pu rappeler qu’en quarante ans, plus de 60 % des maternités françaises ont fermé. Qu’il manque dans ce pays un mode de garde pour 40 % des enfants de moins de 3 ans. Que peu importe le nombre d’enfants à charge, seulement 0,8 % des pères prennent un congé parental à temps plein, celui-ci étant si scandaleusement mal indemnisé. Mais n’allons pas croire que le gouvernement s’en tamponne. “Il y a le contexte et il y a ce que nous avons mis en place depuis 2017. Lorsque nous avons doublé de quatorze à vingt-huit jours le congé paternité […], lorsque nous modifions et réformons le congé de mode garde [la réforme du complément de libre choix du mode de garde (CMG) ne sera en réalité effectif qu’en 2025, ndlr], lorsque nous créons le service public de la petite enfance […] pour permettre à 160 000 femmes notamment de reprendre un travail en créant 200 000 places d’accueil supplémentaires”, énumère le sénateur Renaissance. Les pères n’ayant manifestement pas besoin de places en crèches pour leurs enfants… Puisque à défaut, les mères sont là pour ça, non ?
Toujours est-il, reprend le présentateur que “ça ne se décrète pas, l’envie d’avoir un enfant”. Et de poser la question : “Est-ce que vraiment une politique nataliste peut permettre de lutter contre ce sentiment-là [le désir de ne pas en avoir], qui est très profond chez les femmes ?” (Encore elles). Oui, est convaincu le conseiller RN, qui ne manque pas d’idée pour faire germer du petit Français bien de chez nous, évidemment. Parce que les reproductrices, voyez-vous, c’est comme les chasseurs : il y a les bonnes et puis les mauvaises. “[Aujourd’hui] il y a 233 000 naissances qui sont des naissances avec au moins un parent qui est étranger. C’est en augmentation constante”, précise-t-il. Et là, d’un coup, les bébés, c’est tout de suite moins intéressant. Alors, pour convaincre les Français·es de se reproduire, son parti a une proposition qui ne se refuse pas : un prêt “de 100 000 euros pour les jeunes qui, en moyenne, ont moins de 30 ans et qui ne serait plus remboursé à partir du troisième enfant”. “L’État vous prête de l’argent, vous remboursez le prêt sauf si vous faites un troisième enfant, c’est ça ?” le relance le présentateur. “Exactement !”, confirme Aleksandar Nikolic. Qui propose aussi, pour relancer la natalité de “supprimer les impôts des sociétés pour les moins de 30 ans” ou de mener “une vraie politique avec des chèques apprentissage, avec des métiers concrets”. On ne voit pas bien le rapport avec nos utérus, mais franchement, mesdames, on n’est pas bien là, paisible, à la fraîche, à écouter ces messieurs rivaliser d’idées pour nous envoyer pouponner ?