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Photo : Zoe Schaeffer / Unsplash

Remplacer les agri­cul­trices enceintes, “sur le papier, c’est super”

Si, depuis 2019, la durée du congé mater­ni­té des agri­cul­trices est ali­gnée sur celle des sala­riées, et qu’un ser­vice de rem­pla­ce­ment est pro­po­sé par la MSA, il reste tou­jours com­plexe pour les exploi­tantes enceintes ou venant d’accoucher de lâcher com­plè­te­ment les rênes. Ne serait-​ce que parce que le temps de tra­vail néces­saire pour faire tour­ner la ferme dépasse lar­ge­ment le temps de tra­vail du ou de la remplaçant·e. Reportage.

“On ne peut pas lais­ser en pause une exploi­ta­tion le temps de faire un bébé” : Céline Vuitton, agri­cul­trice, béné­fi­cie d’un rem­pla­ce­ment le temps de son congé mater­ni­té, un droit acquis tar­di­ve­ment et com­pli­qué à mettre en œuvre. Productrice de plantes aro­ma­tiques et de châ­taignes, cette cheffe d’exploitation attend son deuxième enfant. Or, “à cette période de l’année, il y a pas mal de tra­vail en forêt : cou­per les arbres, sor­tir les troncs, broyer les branches”, explique-​t-​elle en mon­trant ses par­celles per­chées à 700 mètres d’altitude, sur des ter­rains escar­pés à Beauvène (Ardèche).

À sept mois et demi de gros­sesse, une scia­tique l’a conduite à prendre un congé patho­lo­gique pré­na­tal. D’ici à sa reprise début juillet, plu­sieurs salarié·es assu­re­ront son tra­vail, grâce au Service de rem­pla­ce­ment agri­cole. Ce dis­po­si­tif, super­vi­sé par les orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles, pro­pose aux agriculteur·rices des remplaçant·es en cas d’absence, y com­pris pour les congés mater­ni­té et pater­ni­té. Pour sa pre­mière gros­sesse, Céline Vuitton y a déjà eu recours et “ça s’est super bien pas­sé”, témoigne-​t-​elle. Cette fois, “une per­sonne s’occupe un jour par semaine des plantes et deux autres font du bûche­ron­nage à ma place dans la châ­tai­gne­raie trois jours par semaine”, détaille l’agricultrice de 32 ans, dont la veste dis­si­mule le ventre rebon­di. Mais elle conti­nue à gérer l’administratif.

"12 heures par jour"

Les agri­cul­trices n’ont obte­nu un congé mater­ni­té que près de soixante-​dix ans après les sala­riées, avec une durée infé­rieure jusqu’en… 2019, lors de l’alignement de leur congé sur celui du régime géné­ral. Ce congé se tra­duit par une allo­ca­tion de rem­pla­ce­ment ou par des indem­ni­tés jour­na­lières quand aucun·e suppléant·e n’est trouvé·e. Pour y avoir droit, les agri­cul­trices font une demande à la Mutualité sociale agri­cole (MSA), le régime de pro­tec­tion sociale obli­ga­toire des professionnel·les de l’agriculture, qui paie les remplaçant·es. Entre six et sept agri­cul­trices sur dix y ont recours, selon la MSA.

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Le Service de rem­pla­ce­ment gère tout l’administratif. C’est lui qui est cen­sé trou­ver les salarié·es tem­po­raires, même si, dans les faits, beau­coup d’agricultrices s’en chargent elles-​mêmes. Céline Vuitton a ain­si fait appel à son conjoint, éla­gueur, à un voi­sin et à des amies. La jeune femme appré­cie gran­de­ment le dis­po­si­tif, mal­gré quelques bémols. Si elle a “confiance” dans ses remplaçant·es, elle sait qu’elle est “plus effi­cace”. “Car ce sont des gestes que je fais tous les jours”, explique-​t-​elle. Et “le ser­vice de rem­pla­ce­ment, c’est 7 heures par jour. En pleine sai­son, on bosse 12 heures par jour”, tempère-​t-​elle également.

"Problème de recrutement"

Clara Gasser, éle­veuse de chèvres et de bre­bis à Châteauneuf-​de-​Bordette (Drôme), a tra­ver­sé "un moment très angois­sant" lors de sa troi­sième gros­sesse. Avec son conjoint et asso­cié, ils avaient trou­vé deux per­sonnes pour assu­rer les traites du matin et du soir ain­si que la fabri­ca­tion de fro­mage. Mais elles ont arrê­té "quinze jours avant le terme de la gros­sesse", notam­ment à cause des contraintes du poste.

“Ç’a été très com­pli­qué de trou­ver quelqu’un dans l’urgence”, relate-​t-​elle, sa fillette de deux semaines dans les bras. Son conjoint, Sylvain Roumeau, espé­rait “pou­voir pro­fi­ter plei­ne­ment de l’arrivée” de sa fille, mais a dû reprendre le tra­vail rapi­de­ment. “Ses pre­miers jours, je ne les rat­tra­pe­rai jamais…”, regrette-​t-​il. Alors pour Clara Gasser, le rem­pla­ce­ment, “sur le papier, c’est super”, mais “le pro­blème c’est le recrutement”.

C’est “dif­fi­cile à mettre en place parce que c’est long et sept jours sur sept”, recon­naît Alexandra Maistre, ani­ma­trice du Service de rem­pla­ce­ment en Ardèche. Les freins sont “un manque d’informations”, une “offre de rem­pla­ce­ment pas tou­jours suf­fi­sante ni adap­tée” et cer­taines cheffes d’exploitation “ont par­fois du mal à lâcher les rênes”, com­plète la séna­trice de la Drôme, Marie-​Pierre Monier, corap­por­teure de rap­ports sur les femmes en milieu rural.

Elle pré­co­nise, entre autres, d'informer les futures agri­cul­trices dès le lycée agri­cole et d'instaurer des quo­tas pour que les femmes portent le sujet dans les ins­tances de gou­ver­nance agri­coles. En atten­dant, Céline Vuitton pro­fite de lever le pied. "J'aime vrai­ment bien quand ça n'est pas moi qui le fait", rit la pro­duc­trice de châ­taignes en regar­dant ses remplaçant·es cou­per du bois.

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