Aurélie Saada : « Quand on a été aimé comme ma mère m'a aimée, on n’a peur de presque rien ou peut-​être juste de tra­hir ce regard-là »

L'autrice-compositrice-interprète, ex-chanteuse du groupe Brigitte Aurélie Saada (43 ans) a sorti son premier film, Rose, en décembre 2021. Avec sa mère Betty (68 ans) et ses filles Shalom (13 ans) et Scarlett (12 ans), elles racontent, pour Causette, les liens qui les unissent.

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Les femmes Saada © Marie Rouge pour Causette

Aurélie 

"Ma mère a toujours porté sur ma sœur et moi un regard d’amour inconditionnel. Nous n’avons jamais douté de celui-ci, elle ne s’est jamais moquée de nos rêves ou de nos initiatives même quand nous étions toutes petites, au contraire, elle nous faisait confiance. Je crois que ça nous a donné une force particulière, celle d’oser. Chez nous la parole était libre, les enfants avaient leur place dans le débat et nous pouvions l’écouter parler de rapports humains, de vie et de deuil avec ses amis. Ma mère, que je trouve si belle, nous a aussi transmis la complexité du féminin : ses paradoxes et sa richesse. Et la psychanalyse, son métier, et que je pratique depuis mes 20 ans, est peut-être le plus beau cadeau qu’elle m’ait fait. Grâce à ce sésame, j’ai pu aller à la rencontre de mon propre désir, devenir celle que j’étais, écrire et surtout comprendre qu’il est toujours possible dans la vie de transformer nos peines et nos déboires et d’en faire quelque chose, une force, un récit ou pourquoi pas des chansons. Quand on a été aimé comme ça, on n’a peur de presque rien ou peut-être juste de trahir ce regard-là. Ce regard renforce le sentiment de responsabilité. D’ailleurs, adolescente, je n’ai jamais transgressé. Je pense que j’ai été mature assez tôt.

Elle a tellement assuré car mon père, qui a quitté le foyer, était très inconstant. Quand j’étais toute petite, il m’est arrivé un drame. J’ai été abusée sexuellement par un petit garçon dans la cour de l’école à de très nombreuses reprises. Et il m’a été impossible d’en parler à ma mère parce que je ne voulais pas lui faire de mal. Il y a eu des périodes où elle a souffert en tant que femme et n’a pas pu me protéger. Aujourd’hui, je le comprends de manière différente. Une mère n’est pas qu’une mère et ne peut protéger ses enfants de tout.

J’ai mis très longtemps avant d’avoir Shalom après des années de fausses couches. Je suis retombée enceinte trois mois après avoir accouché. J’en avais une sur chaque bras, j’adorais ça, c’était la vie en poussette double. Mais deux mois avant de sortir le premier album de Brigitte, le père de mes filles est parti vivre à Los Angeles avec une autre femme. Mes filles avaient 1 an et 2 ans. Ça a été un cataclysme dans ma vie. Et sans ma mère, je n’aurais pas pu continuer la musique. Elle a emménagé chez moi pendant un an, m’a dit de ne pas m’inquiéter, qu’elle m’aiderait avec les enfants et qu’il ne fallait pas que je renonce à la tournée ou à mon rêve. Aujourd’hui, on continue à mêler nos vies, à partir en vacances ensemble, à s’appeler tous les jours. Je crois que “maman”, c’est le mot que je préfère. C’est celui que j’aime le plus dire et le plus entendre. En vérité, l’amour et les hommes ont été beaucoup plus un frein que les enfants. Le féminisme est une évidence dans nos vies. Il est assez clair qu’on n’a pas besoin des hommes pour faire famille.

Mes filles peuvent tout me dire, je crois. De la même façon que je leur dis tout. Quand leur père est parti, je ne les ai pas tellement épargnées. Elles ont beau être mes bébés, j’ai toujours considéré qu’elles étaient des femmes et qu’il fallait leur donner toute la place de l’expression de leur intimité. Je n’ai jamais cherché à faire bonne figure, ni à me montrer sous un autre visage. Je ne peux pas cacher des monstres sous le tapis. C’est terrorisant pour les enfants de vivre avec des adultes qui portent des masques. J’ai fait le pari de la transparence et de tout leur dire avec mes contradictions et mes fragilités. Elles m’apprennent aussi énormément. Mes filles savent plein de choses bien mieux que moi. Elles parlent un anglais parfait, elles sont très connectées à leurs émotions et elles arrivent à les exprimer, je trouve ça époustouflant. Moi, il m’a fallu des années pour arriver à ça. Si je devais leur transmettre quelque chose, ça serait qu’elles se fassent confiance, qu’elles osent toujours, qu’elles n’aient pas peur de faire entendre leur voix, et puis qu’elles ne lâchent rien. Le travail m’a sauvée, j’ai un goût particulier pour lui. Pour moi, il a été une clé, un moyen d’expression et de liberté. Je suis plus exigeante sur ce point que ma mère ne l’a été avec moi. Moi, quand je n’ai plus eu envie de faire de la danse ou du piano, ma mère m’a dit d’arrêter. Je crois que j’aurais voulu qu’elle soit plus présente là-dessus. Scarlett et Shalom ont commencé la guitare et le piano et puis elles n’ont plus eu envie. Mais je ne les ai pas lâchées. Et j’en suis assez contente."

Betty 

"J’ai eu une mère très sévère, qui m’a tout interdit, et ça m’a fait énormément souffrir. J’ai beaucoup transgressé. Je n’avais pas envie de contrarier mes filles. Alors, j’ai laissé ouvert les choses et j’avais confiance en leur parole. J’ai toujours accueilli les amis de mes enfants chez moi. On en a hébergé plein quand ils étaient en galère. Les parents savaient qu’ils étaient chez nous.

Je trouve que, désormais, on sépare beaucoup les générations. Nous, jamais. On se soutient et on est toujours là l’une pour l’autre. Je me souviens de cette période où j’ai passé un an chez Aurélie comme d’une période géniale. Il y a eu des moments épiques entre mes consultations et les petites. J’ai appelé quelques amies pour m’aider, car j’ai un réseau d’amies formidable. Il y a eu énormément d’entraide entre nous. Les copines d’Aurélie venaient beaucoup aussi. C’était un grand gynécée. Elles ont aussi vécu toutes les trois chez moi pendant deux mois et demi. Les filles ont toujours leur chambre avec leurs peluches et leurs affaires d’enfant.

Aurélie me surprend tous les jours par sa créativité, sa force et son enthousiasme. C’est très important de transmettre aux enfants le sens de leur propre responsabilité. Que rien n’est immuable et figé, qu’on peut toujours faire quelque chose et être créateur de sa propre vie."

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Les femmes Saada © Marie Rouge pour Causette

Shalom

"Quand j’étais petite – vers l’âge de 8 ans –, je voulais faire des films et ma mère ne m’a jamais dit que c’était une idée folle. Elle me disait : “On peut vraiment essayer de s’en occuper.” J’inventais aussi des superhéroïnes comme La Reine des coccinelles, et elle trouvait ça super. Je n’ai jamais été mal à l’aise vis-à-vis de mes projets. À chaque fois, elle y croyait et m’encourageait à le faire. Elle n’a jamais dénigré ce que je disais. Je me sens aimée. Il y a beaucoup de confiance et de bienveillance. Je ne ressens pas de difficultés à raconter à ma mère des choses intimes quand j’ai besoin de me confier. Et je suis toujours contente de ses réponses, car il n’y a pas de jugement. Il y a deux ans, j’ai composé une musique au piano, ma mère m’a entendu la jouer. Elle m’a dit qu’elle la trouvait magnifique et m’a demandé si je voulais bien qu’elle soit dans son film, Rose. Je n’imaginais pas que ça puisse être possible et pourtant on l’a fait."

Scarlett

"Franchement, merci Maman de ne pas avoir lâché pour la musique ! [Rires.] Ma mère, je l’ai toujours admirée. C’était mon exemple. Je compose, je veux devenir chanteuse et je pense que c’est en rapport avec elle. Même si parfois elle me pousse un peu pour les notes et le travail [rires], je l’ai toujours aimée et je l’aimerai toujours. Elle est souvent la voix de la raison. Elle ne nous a rien caché de ses émotions, elle nous dit tout et j’en suis heureuse. Je trouverais ça horrible d’avoir une autre relation avec ma mère."

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