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© "kgroovy" / CC BY-SA

Splendeur et déca­dence de la gen­der reveal party

Ces fêtes qui ont pour objec­tif de dévoi­ler le sexe du futur bébé à tous les proches, parents y com­pris, sont de plus en plus popu­laires. Souvent vues comme une occa­sion de se réunir et de célé­brer la gros­sesse, elles ren­forcent par­fois la bina­ri­té et les sté­réo­types de genres.

En 2008, dans l’arrière-cour de sa mai­son de Los Angeles, Jenna Karvunidis orga­nise une fête pour célé­brer sa gros­sesse. Elle a l’idée de faire un gâteau qui, lors de la découpe, révé­le­ra une crème pâtis­sière de cou­leur rose pour annon­cer à toute la famille qu’elle attend une petite fille. « Ma belle-​soeur venait d’avoir un enfant qui acca­pa­rait un peu l’attention de la famille, alors mon but était de sus­ci­ter l'enthousiasme autour de mon bébé et j'ai pen­sé que ce serait une façon amu­sante d'impliquer tout le monde », explique-​t-​elle à Causette. La jeune blo­gueuse par­tage alors des pho­tos sur Internet qui sont ensuite reprises dans un maga­zine et le concept se diffuse.

Ce type de céré­mo­nies porte désor­mais un nom : les gen­der reveal par­ties, fêtes de révé­la­tion du genre en fran­çais. Le phé­no­mène décolle d’abord aux Etats-​Unis, notam­ment grâce aux influen­ceuses qui par­tagent des idées tou­jours plus créa­tives pour révé­ler le genre de leur futur enfant. Flairant la bonne affaire, le mar­ke­ting s’engouffre dans la brèche, avec des boîtes riva­li­sant de créa­ti­vi­té pour vendre des acces­soires abso­lu­ment indis­pen­sables à une gen­der reveal par­ty réus­sie (confet­tis, bal­lons, fumi­gènes…). Peu à peu, ces fêtes s’exportent en Europe. Au Royaume-​Uni, la BCC observe que le site de vente en ligne Party Delights a enre­gis­tré un boom de 87% sur les pro­duits des­ti­nés à ces céré­mo­nies entre 2016 et 2019. En France, il suf­fit, par exemple, de taper « gen­der reveal » sur le site Etsy pour voir appa­raître plus de 54 000 pro­duits et mesu­rer l’ampleur du phénomène.

Une fête bleue ou rose

3,2,1… à la fin du compte à rebours enton­né par leurs proches, Jihed et son mari ouvrent un grand car­ton duquel s'échappent des bal­lons roses estam­pillés « GIRL ». Ils découvrent en même temps que leurs familles et amis qu’ils attendent une fille. Car désor­mais, le nec-​plus-​ultra de la gen­der reveal par­ty, c’est de deman­der à un·e proche d’aller s’enquérir auprès de votre gyné­co du sexe de votre enfant à naître, pour que vous ayez vous-​même la sur­prise lors des fes­ti­vi­tés. Pour Anneline, et sa com­pagne Sandrine, la décou­verte s’est faite en ouvrant la chambre du futur bébé qui avait été déco­rée, par les soins de sa belle-​sœur, de confet­tis, de bal­lons, de peluches et de bon­bons, tout ça dans les cou­leurs bleues.

On l’aura com­pris, ces céré­mo­nies demandent une véri­table orga­ni­sa­tion. D’abord, un·e proche se voit confier le secret du sexe par le·a gyné­co et est chargé·e d’organiser la révé­la­tion. La déco­ra­tion et la mise en scène ont une impor­tance par­ti­cu­lière et les futurs parents jouent la sophis­ti­ca­tion. Pour la gen­der reveal par­ty de Jihed, elle avait notam­ment deman­dé à ses invi­tés de « venir habillés en blanc avec un signe dis­tinc­tif rose ou bleu en fonc­tion de leur pro­nos­tic sur le sexe du bébé, par exemple un pull bleu ou des ongles rose »

« Personnalisation du fœtus »

« C’est une occa­sion de réunir tout le monde, la famille et les amis, ça n’arrive pas sou­vent », estime Aneline, qui a pré­fé­ré annu­ler sa grosse fête de gen­der reveal en l’absence de sa mère et a pri­vi­lé­gié une petite céré­mo­nie. L’aspect fes­tif et social de l’événement est effec­ti­ve­ment géné­ra­le­ment la pre­mière moti­va­tion der­rière son orga­ni­sa­tion. Toutefois, il est pos­sible de se deman­der pour­quoi ne pas s’en tenir aux « tra­di­tion­nelles » baby sho­wers, ces fêtes nées aux Etats-​Unis au début du siècle der­nier, où les cup­cakes sont dis­tri­bués à pro­fu­sion pour annon­cer l’arrivée d’un enfant. Pour Jihed, « les baby sho­wers fêtent et pré­parent l’arrivée du bébé puisque c’est l’occasion de rece­voir des cadeaux pour le petit. Moi je suis contre car il y a tou­jours une pos­si­bi­li­té pour que je n’accouche jamais de cet enfant. A l’inverse, les gen­der reveal par­ties célèbrent un fait : le bébé que je porte est une fille ». Ce phé­no­mène de la gen­der reveal par­ty révèle une « per­son­na­li­sa­tion de plus en plus pré­coce du foe­tus qui, avec l'avènement de l’échographie, devient une petite per­sonne indé­pen­dante du corps de sa mère », explique Solène Gouilhers, socio­logue à l’Université de Genève.

Lire aus­si : Pas encore né, ce petit en a déjà une très grosse !

Les 2 017 711 publi­ca­tions à ce jour sur Instagram sous le hash­tag #gen­der­re­veal illus­trent éga­le­ment l’ampleur du phé­no­mène. Les réseaux sociaux y jouent un rôle majeur. « Il y a des codes et des conven­tions autour de ces fêtes qui cir­culent à tra­vers les réseaux sociaux et qui sont repro­duits par­tout, en plus d’être encou­ra­gés l’industrie », pointe Solène Gouilhers. Jihed elle aus­si a par­ta­gé avec ses 3200 fol­lo­wers sur Instagram la vidéo de sa gen­der reveal par­ty. « Le sexe du bébé, c’était aus­si deve­nu un pro­nos­tic avec mes fol­lo­wers. Ils étaient super exci­tés, j’ai reçu pleins de mes­sages. Ça m'a per­mis de dis­tri­buer un peu de bon­heur », explique-t-elle.

Capture d'écran Instagram
Capture d'écran Instagram
Projeter une identité 

Mais de l’autre côté de l’Atlantique, celle-​là même à qui on doit l’apparition du phé­no­mène s’est sen­tie un peu dépas­sée par sa créa­tion. « Coup de théâtre : le pre­mier bébé des gen­der reveal par­ties est une fille qui porte des cos­tumes ! ». Voici ce que Jenna Karvunidis écrit sur sa page Facebook en 2019 dans un post où l’inventrice des céré­mo­nies de révé­la­tion de genre remet en cause son propre concept. « Je n’avais pas du tout pen­sé aux impli­ca­tions sociales que ça pou­vait avoir, c’est seule­ment plus tard que j’ai réa­li­sé », avoue-​t-​elle à Causette. En voyant sa fille Bianca gran­dir, elle s’est « confron­tée aux bar­rières que l’on impose aux gens à cause de leur genre en essayant de les gar­der dans des boîtes ». « On peut faire croire à sa grand-​mère qu’on adore ses pan­cakes mais cacher notre iden­ti­té de genre pour être accep­té par sa famille, ça, ça peut être néfaste », explique-t-elle. 

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La famille Karvunidis en 2018. Bianca (au centre) a aujourd'hui 13 ans. © Courtesy Jenna Karvunidis

Lors des nais­sances de ses deux enfants sui­vants, Jenna n’a pas réor­ga­ni­sé de gen­der reveal par­ties. Si Aneline rêve d’organiser une telle céré­mo­nie à nou­veau, elle ne veut pas que cela limite son enfant : « Il évo­lue­ra à sa façon, l’essentiel c’est qu’il se sente bien ». Mais il est pos­sible que le suc­cès phé­no­mé­nal des gen­der reveal par­ties racontent en creux un atta­che­ment à la bina­ri­té des sexes dans une socié­té en pleine recon­fi­gu­ra­tion sur le genre. C'est en tout cas ce que sug­gère la socio­logue Solène Gouilhers, qui note que certain·es sont « mal à l’aise face aux reven­di­ca­tions des mou­ve­ments fémi­nistes de décons­truire le genre » et vont alors, en réac­tion, « appuyer la bina­ri­té et la caté­go­ri­sa­tion dif­fé­ren­ciée entre filles et gar­çons »

Lors de ces céré­mo­nies, « on se base sur une obser­va­tion des organes géni­taux et on y asso­cie des carac­té­ris­tiques gen­rés sté­réo­ty­pées et des traits de per­son­na­li­té, ce qui signi­fie qu’on res­treint un champs des pos­sibles pour l’enfant car on pro­jette et on per­forme col­lec­ti­ve­ment le genre atten­du du fœtus, et donc de ce bébé pas encore né », explique la socio­logue. Enfin, selon Solène Gouilhers, ces fêtes sont éga­le­ment l’occasion « réaf­fir­mer le genre des parents car on voit à ces occa­sions un ren­for­ce­ment des inéga­li­tés au sein du couple et des iden­ti­tés tra­di­tion­nelles gen­rées. On met en scène la bonne pater­ni­té et la bonne maternité ».


Ils ne voient pas la vie en rose

Les gen­der reveal par­ties ne sont pas tou­jours syno­nymes de joie et de célé­bra­tion. Les vidéos où l’on voit des parents (sur­tout les futurs pères) déçu·es de décou­vrir l’arrivée d’une fille ne sont pas rares. Certain·es ont du mal à esquis­ser un sou­rire dans un moment qui se devrait fes­tif, d’autres montrent car­ré­ment leur mécon­ten­te­ment. Derrière ces moments de gêne pour le·la spectateur·trice de ces vidéos, une véri­table et délé­tère pré­fé­rence pour le mas­cu­lin encore pré­gnante aujourd’hui, même dans le monde occidental.

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