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© Pr P. Duverger

Syndrome de l'hospitalisme : « On a du mal à ima­gi­ner, à accep­ter l’idée qu’un bébé puisse dépri­mer et souf­frir psychiquement »

Début juin, le site d'information Médiacité Nantes révélait que des nourrissons en attente de placement et accueillis au CHU de Nantes développaient des symptômes relevant du syndrome de l'hospitalisme.

Au début du mois de juin, Médiacité Nantes publiait une enquête sur l'hospitalisme, un syndrome très présent dans l'après-guerre mais dont certains bébés souffrent toujours. Faute de places en pouponnières ou en famille d’accueil, ces nourrissons effectuent des séjours prolongés à l'hôpital où le personnel soignant n’a ni le temps ni la formation adéquate pour leur apporter le lien dont ils ont besoin pour se développer. Une situation alarmante, due au manque de moyens de l'aide sociale à l'enfance, ainsi qu’au vieillissement et à la diminution des familles d'accueil, mal rémunérées. Philippe Duverger, chef du service de psychiatrie enfant et adolescent au CHU d'Angers, tire la sonnette d'alarme sur un syndrome lourd de conséquences et qui ne concerne plus seulement les bébés placés.

Causette : Qu’est-ce que l’hospitalisme et qu'est-ce qui le caractérise chez le nourrisson ?
Philippe Duverger : Le psychiatre américain René Spitz en donne une première définition en 1946, après des observations faites auprès de nourrissons placés en pouponnières. Il parle de « dépression anaclitique », c'est-à-dire que le bébé est dans un vide émotionnel, il s'effondre mais personne n'est là pour le supporter. L’hospitalisme naît de l'absence d'accompagnement du très jeune enfant, c'est la forme la plus extrême de la dépression du nourrisson. Elle peut se caractériser par « les trois D » : détresse, désespoir, détachement. Au départ, le bébé va être dans une situation d’angoisse, il va être agité et crier, comme s'il lançait un appel à l’aide. Si rien n’est fait, il tombe dans une indifférence affective et relationnelle. Un bébé qui va bien reconnaît les adultes qui s’occupent de lui habituellement. Mais un enfant en désespoir va être peu sensible à celui ou celle qui s’occupe de lui, il ne sera pas touché par la séparation. Il va être trop sage, trop passif, il va tout accepter, sans réagir et sans émotion. Et puis quand il s’aperçoit que ses appels ne sont pas entendus, il va se replier dans la dépression, se détacher du monde. Faute de stimuli de son entourage, il va s'autostimuler, balancer la tête, passer ses mains devant ses yeux etc. Une fois à ce stade, les conséquences sont éventuellement irréversibles.

Est-il possible que l’enfant garde des séquelles de cette période, même dans les cas où l’hospitalisme a été soigné ?
P. D . : Quand on a vécu ses premières années de vie dans des placements multiples, des ruptures relationnelles, des isolements affectifs, cette insécurité psychique, cette fragilité, fait qu’à long terme, il y aura des conséquences. L'enfant sera fragile avec des retards de développement, des troubles du comportement et surtout un sentiment d’insécurité psychique permanent. Plus l’hospitalisme a duré longtemps, plus il a été majeur et plus les séquelles seront irréversibles...

C’est un syndrome qui a été caractérisé pendant l’après-guerre. On le pensait resté dans le passé, mais visiblement, ce n’est pas le cas... 
P. D. : Pour moi, ça a toujours existé. Aujourd'hui, on prend conscience du phénomène et on bénéficie d'une meilleure constatation des professionnels, notamment grâce au rapport « Les 1000 premiers jours » paru en septembre 2020 à l'initiative du Ministère des solidarités et de la santé, qui porte sur l’importance des soins psychiques précoces. Mais ce n'est pas suffisant. L’hospitalisme passe facilement inaperçu si on n’est pas assez formé. Pourtant, c’est fondamental pour le bébé et son avenir. 

« Si on ne fait rien pendant six mois chez un adulte qui souffre de dépression, les conséquences ne seront pas aussi dramatiques que chez un nourrisson pour qui on va vers des séquelles irréversibles. »

Philippe Duverger

Dans son enquête, Médiacité Nantes pointe du doigt le manque de place en famille d’accueil et en pouponnière, ce qui conduit les bébés à rester anormalement longtemps à l’hôpital, où le personnel manque de temps pour leur donner l’attention nécessaire. Est-ce symptomatique des manques de moyens dans le soin et la santé ?
P.D. : Il y a plusieurs facteurs qui rentrent en compte, oui. Les moyens en personnel, c’est évident, mais aussi la disponibilité. Est-ce que le personnel, malgré sa présence, est disponible pour tous ces soins qui sont très spécifiques ? Parfois, c’est de l'ordre de la réanimation psychique, pour laquelle il faut être suffisamment formé afin de repérer ces signes très particuliers. Le nourrisson est souvent tellement calme et tranquille, qu’on se dit que tout va bien. Pourtant, déjà à la maternité, dès la première semaine, on peut voir des signes de détresse. Il est donc primordial que tous les professionnels soient formés, aussi bien dans les hôpitaux, les pouponnières, les foyers de l’enfance, l’aide sociale à l’enfance. Et puis le temps du bébé n’est pas le temps de l’adulte. Si on ne fait rien pendant six mois chez un adulte qui souffre de dépression, les conséquences ne seront pas aussi dramatiques que chez un nourrisson pour qui on va vers des séquelles irréversibles. Il faut se donner les moyens pour éviter cet hospitalisme, qu’il soit à l’hôpital ou à domicile.

Dans votre article L'hospitalisme à domicile1 vous expliquez que l’hospitalisme ne touche pas seulement les bébés en pouponnière, mais qu’il est aussi observé chez des bébés qui sont au sein de leur famille...
P. D. : Oui, on peut l’observer dans des familles très carencées, en difficulté parce que la mère est déprimée, parce que le père est absent, que les parents sont malades psychiquement... À ce moment-là, l’enfant va être dans un marasme relationnel. Il va être seul dans son coin, sollicité seulement pour les repas, ce qui crée une carence affective. Là aussi, ça passe inaperçu car lors d'une visite d’assistants sociaux, de puéricultrice etc., le bébé s’éveille, il va manifester des appels : on est dans la phase de détresse. Ça va être faussement rassurant pour les travailleurs sociaux. Sauf que ça ne dure que le temps de la visite.

Est-ce que le rallongement du congé paternité pourrait aider ?
P. D. : Oui bien sûr. Tout ce qui encourage la présence des parents va aider à ce qu’il n’y ait pas de carences affectives du fait de l'absence des parents qui sont au travail ou de parents présents, mais qui ne répondent pas aux appels du bébé. Car il peut y avoir des carences qualitatives et quantitatives. Sans dire que tout se construit avant trois ans, les 1000 premiers jours de la vie sont fondamentaux pour les bébés. Il faut en prendre soin de manière hyper attentive, tant de leurs besoins que de leurs désirs.  

Est-ce qu’une mère qui souffre d’une dépression post-partum peut avoir un impact sur la santé mentale du nourrisson ?
P. D. : Ça peut y participer mais ça n’en est pas la cause. On est dans un pays où quand on donne la vie, on est forcément heureux. Ce n’est donc pas pensable de dire qu’on puisse être déprimée, triste, malheureuse. La femme ne va pas se plaindre et on peut passer à côté. C’est le même schéma avec les bébés. On a du mal à imaginer, à accepter l’idée qu’un nouveau-né puisse déprimer. Pourtant, je vous le dis : un bébé n’est pas qu’un tube digestif, il peut souffrir psychiquement et ça, dès les premiers jours. 

  1. Rousseau, Daniel, et Philippe Duverger. « L'hospitalisme à domicile », Enfances & Psy, vol. 50, no. 1, 2011, pp. 127-137.[]
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