Le gouvernement promet le déblocage de 4 millions d’euros supplémentaires en 2021 pour s’attaquer à un problème qui concerne près de 2 millions de femmes. Une avancée notable pour les associations mobilisées sur le terrain depuis des années.
Les bonnes nouvelles n’ont pas été légion en 2020. Alors, à quinze jours de la fin de l’année, on ne va pas cracher sur une annonce positive. Le gouvernement se lance dans le combat contre la précarité menstruelle. Si, si, vous avez bien lu. Début décembre, lors de son interview chez Brut, Emmanuel Macron avait promis « une réponse très concrète » pour aider les femmes en situation de précarité qui ne peuvent pas s’acheter des serviettes ou des tampons quand elles ont leurs règles. Une déclaration inédite pour un chef de l'État. Le sujet, porté de longue date par des associations comme Règles élémentaires ou le collectif Georgette Sand, a longtemps été absent du débat public. « On se réjouit de voir que les choses bougent un peu en matière de précarité menstruelle, cinq ans tout juste après la création de notre association », confie Tara Heuzé-Sarmini, la fondatrice de Règles élémentaires.
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La « réponse concrète » s’est passée en deux temps. En février dernier, le gouvernement a pris le problème en considération, notamment grâce à la remise de deux rapports parlementaires, qui qualifiaient ce combat de « priorité absolue » relevant de la « dignité des femmes ». Un million d'euros ont été alloués pour, promettait l’exécutif, distribuer gratuitement des protections périodiques gratuites à des étudiantes, des collégiennes, des lycéennes ou des femmes à la rue ou détenues. Le deuxième volet de la réponse va se déployer en 2021. Mardi 15 décembre, les ministères de la Santé et de l’Egalité ont annoncé que le budget consacré à la lutte contre la précarité menstruelle allait passer à 5 millions d’euros, avec l’octroi de 4 millions supplémentaires. De quoi généraliser des expérimentations locales comme la vente de protections périodiques à prix symboliques dans les épiceries solidaires, la distribution gratuite de serviettes et tampons lors de maraudes ou dans les prisons et les établissements scolaires dans des zones d’éducation prioritaire.
Des distributeurs de serviettes et tampons gratuits dans les collèges et les prisons
Sur le terrain, plusieurs initiatives intéressantes se sont déployées ces derniers mois. Beaucoup, d'ailleurs, n'ont pas attendu que le gouvernement leur donne des sous pour voir le jour. En novembre, trois collèges de Clichy-sous-Bois, Montreuil et La Courneuve ont été équipés de distributeurs de tampons et serviettes gratuits après décision et financement intégral du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, en charge des collèges. « Installer trois distributeurs pour une année a coûté 20 000 euros, explique-t-on au sein du Conseil départemental. Notre but, c’est de l’étendre à tous les établissements. » Et l’argent du ministère pourrait les y aider. Mais pas question de se réjouir trop vite. « On attend de voir si le financement sera débloqué rapidement, poursuit la communication du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, car nous avions déjà sollicité le ministère l’été dernier sans jamais rien obtenir. »
Dans les prisons, aussi, les choses évoluent. En septembre dernier, une note de l'administration pénitentiaire a informé les directions des prisons de femmes de la généralisation des protections périodiques gratuites dans les établissements. Jusqu’à présent, les femmes dont les ressources étaient insuffisantes pouvaient obtenir des protections gratuites. Les autres devaient « cantiner » selon le terme consacrée en prison, c’est-à-dire les acheter avec leur argent. « On recueillait beaucoup de témoignages de système D, confie-t-on à l’Observatoire international des prisons (OIP). Des femmes qui se fabriquaient des cups avec des bouteilles en plastique ou qui devaient se débrouiller avec quatre ou cinq serviettes par mois. » Une situation indigne pour les 2500 détenues, qui devrait s’améliorer avec la généralisation de la gratuité. « Il y a un vrai enjeu d'information, poursuit l’OIP. Toutes les détenues ne sont pas forcément au courant qu’elles peuvent demander des serviettes ou des tampons gratuits en remplissant un formulaire. » Le ministère de la Justice promet également que « des nouveaux produits, de meilleure qualité et moins chers sont aussi disponibles en cantine », rappelle la note de l’administration pénitentiaire.
Mais la vraie avancée à surveiller se situe du côté de Rennes et Brest. Un distributeur de protections périodiques gratuites est en cours d'expérimentation dans les prisons de femmes des deux villes bretonnes. « C’est une solution très intéressante car elle permet d’être autonomes sans remplir un formulaire, ni attendre une distribution », salue l’OIP, qui espère que toutes les prisons seront bientôt équipées de distributeurs.
Attention à la qualité des produits !
Pour les femmes à la rue, des associations comme la Croix Rouge ou l’Armée du Salut distribuent depuis longtemps des kits d’hygiène, qui comprennent des protections périodiques. « On a mis en place récemment des expérimentations dans le Nord, l’Yonne et l’Essonne pour mettre à disposition une gamme plus large de produits menstruels », détaille Christèle Lambert Côme, chargée de la communication de la Croix Rouge. Le choix et la variété des options proposées constituent des points cruciaux pour les associations qui luttent contre la précarité menstruelle. « Nous serons très vigilantes quant à l’utilisation de ces millions, souligne Tara Heuzé-Sarmini, de Règles élémentaires. J’espère qu’ils ne serviront pas juste à acheter en masse des serviettes et des tampons à des grandes marques peu regardantes sur la composition et la qualité. » La dirigeante insiste aussi sur la nécessité de présenter un maximum d’options aux femmes. « Il n’y a pas que les tampons ou les serviettes, rappelle-t-elle. Il faut faire davantage connaître les cups et les protections lavables, qui peuvent constituer des options plus économiques pour les femmes en situation précaire. Du moins celles qui ont toit sur la tête et donc un accès à une salle de bain. »
L'association va poursuivre sa mission de formation et de sensibilisation auprès des jeunes. « On espère obtenir rapidement des fonds du ministère pour poursuivre nos ateliers sur l’hygiène menstruelle dans les collèges et lycées, conclue la jeune femme. On a des centaines de demandes en attente auxquelles on ne peut pas répondre, faute de moyens. » Bonne nouvelle : le gouvernement assure que ces budgets seront « pérennisés pour les années à venir ». Tant mieux parce que les règles, en général, on en prend pour 40 ans !