La pelade, un tabou dif­fi­cile à surmonter

L’alopécie en plaques, qu’on appelle aus­si pelade, désigne une affec­tion der­ma­to­lo­gique du cuir che­ve­lu qui pro­voque la chute de che­veux. Spectaculaire, mais bénigne, la pelade, à ne pas confondre avec la cal­vi­tie, touche de façon uni­ver­selle 2,1 % de la popu­la­tion fran­çaise. Pourtant, le regard de la socié­té en fait une épreuve pour celles qui en sont atteintes.

juliette diot @juliettediott
© Juliette Diot pour @hellopecia

« Une femme, ça a des che­veux, pas un truc qui ne res­semble à rien avec des trous par­tout. » Ce constat lapi­daire vient d’un témoi­gnage reçu dans la boîte mail de Causette. Estelle, 30 ans, y raconte son expé­rience de la pelade et les regards appuyés qu’elle subit à cause de son crâne dégar­ni. Si des voix fémi­nistes cherchent à décons­truire les injonc­tions au corps fémi­nin par­fait, pas­sant au crible les dik­tats sur le gras, la cel­lu­lite, les poils…, la chute de che­veux est encore lais­sée en dehors de la dis­cus­sion. Et dans un monde où ils repré­sentent jeu­nesse, vita­li­té et séduc­tion, en perdre plus que la moyenne est encore syno­nyme de tabou. L’alopécie en plaques, com­mu­né­ment appe­lée pelade, n’est ni une mala­die psy­cho­so­ma­tique ni une mala­die grave d’un point de vue médi­cal. Pourtant, en affec­tant les fol­li­cules pileux, là où naissent les che­veux, cette patho­lo­gie auto-​immune, qui se mani­feste par l’apparition d’une ou plu­sieurs plaques ovales de peau sur le crâne, bou­le­verse la vie de 2,1 % de la population.

La pelade touche de manière égale femmes, hommes, adultes et enfants. « Certain·es auront des épi­sodes de pelade plus ou moins longs, plus ou moins impor­tants, indique le doc­teur Philippe Assouly, der­ma­to­logue spé­cia­liste du cuir che­ve­lu au centre Sabouraud de l’hôpital Saint-​Louis, à Paris. Parfois, la pelade concerne le cuir che­ve­lu inté­gra­le­ment ou se limite à cer­taines zones. » Si dans la grande majo­ri­té des cas, les che­veux finissent par repous­ser, il existe un risque de réci­dive variable d’une per­sonne à une autre. « 60 % des pelades qui touchent moins de 40 % du cuir che­ve­lu repoussent en moins de six mois, déve­loppe le der­ma­to­logue, mais plus le pre­mier épi­sode sur­vient tôt dans l’enfance, plus il y a un risque impor­tant que la perte de che­veux se répète. »

Le regard des autres

Estelle, elle, ren­contre la pelade pour la pre­mière fois à l’âge de l’insouciance estu­dian­tine. À l’époque, l’élève en phar­ma­cie « n’imagine pas un ins­tant que tout puisse tom­ber. Pourtant, la chute conti­nue jusqu’au moment où, indé­nia­ble­ment, [elle] ne se sent plus “accep­table socia­le­ment” ». De der­ma­to en der­ma­to, Estelle tente plu­sieurs trai­te­ments aux effets rela­tifs – mais « tout est bon à prendre pour aper­ce­voir un signe de repousse sur [son] crâne ». Ses che­veux fini­ront par repous­ser après deux ans, durant les­quels elle se replie sur elle-​même, « hon­teuse » de ne pas être comme les autres. La jeune femme retrouve la pelade à l’aube de ses 30 ans, après l’accouchement dif­fi­cile de sa fille. « De jour en jour, mes che­veux se sont remis à tom­ber, il fal­lait se rendre à l’évidence, elle était de retour », se sou­vient Estelle.

« En méde­cine, moins on a de solu­tions, plus on accuse le patient »

Philipe Assouly, der­ma­to­logue à l’hôpital Saint-​Louis, à Paris

Après la vic­toire d’une repousse, revoir tom­ber ses che­veux est une double peine pour les patient·es. Bien qu’il semble exis­ter des his­toires fami­liales et des gènes de pré­dis­po­si­tion, rien de déci­sif n’a été décou­vert dans ce domaine. Et c’est là tout le pro­blème de la pelade : ce flou ajoute sa petite dose d’angoisse. « Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai enten­du de la part de der­ma­to­logues “c’est le stress”, ce qui est très culpa­bi­li­sa­teur », com­mente Estelle. Pourtant, rien ne prouve que le stress soit un fac­teur déclen­chant de l’alopécie en plaques. « En méde­cine, moins on a de solu­tions, plus on accuse le patient, regrette Philipe Assouly. Passé le choc du diag­nos­tic, le rôle du méde­cin n’est pas de faire culpa­bi­li­ser, mais au contraire de ras­su­rer et d’expliquer ce qui est en train de se jouer. »

Pourtant nombreux·euses sont les malades à se heur­ter à l’indifférence de certain·es der­ma­to­logues et autres spé­cia­listes du cuir che­ve­lu. « Parce qu’on ne meurt pas d’une pelade, notre détresse peut être per­çue comme un caprice », constate Amélie, atteinte d’alopécie depuis son enfance. Pour la jeune femme de 27 ans, une forme de « vio­lence médi­cale » s’est même immis­cée au sein des cabi­nets avec des réflexions du type « Ah bah, effec­ti­ve­ment, vous n’avez plus beau­coup de che­veux ! » ou encore « On rase tout et on colle une per­ruque par-​dessus. » Un mépris qui indigne le spé­cia­liste de l’alopécie qu’est Philippe Assouly. Le der­ma­to­logue observe que si la pelade est une patho­lo­gie sans risque vital, elle peut se révé­ler trau­ma­ti­sante pour les per­sonnes atteintes et leur entou­rage. « Dans un couple dont l’un est tou­ché par la pelade, j’incite for­te­ment le conjoint à par­ti­ci­per à la consul­ta­tion afin de le sen­si­bi­li­ser et de lui expli­quer », pré­cise Philippe Assouly.

Un sen­ti­ment d’isolement

Le manque d’accompagnement des professionnel·les va de pair avec un vide asso­cia­tif. De quoi se sen­tir isolé·es en tant qu’alopécien·nes. « Plus jeune, cela m’aurait aidée de ren­con­trer d’autres per­sonnes atteintes comme moi parce qu’on est plus fort, quand on est ensemble », regrette Estelle. Amélie se sou­vient éga­le­ment de ce sen­ti­ment de soli­tude éprou­vé après le diag­nos­tic : « J’étais com­plè­te­ment dému­nie, je me suis ren­sei­gnée sur Google, mais la seule chose que j’ai trou­vée ce sont des pho­tos médi­cales de crânes dégar­nis. » Pas vrai­ment ras­su­rant donc.

« Laissez-​moi vous embar­quer dans le monde mer­veilleux de la perte de cheveux » 

Hellopecia
@hellopecia
Le 8 mars 2019, Amélie mani­feste à l'occasion
de la jour­née des droits des femmes.
@hellopecia

La pelade n’est démys­ti­fiée que dans le secret des cabi­nets de der­ma­to­lo­gie. Alors, son invi­si­bi­li­té a don­né le déclic à Amélie de créer, en décembre 2019, un compte Instagram sur le sujet, bap­ti­sé Hellopecia. La pre­mière publi­ca­tion du compte en donne le ton : « Laissez-​moi vous embar­quer dans le monde mer­veilleux de la perte de che­veux. » En pos­tant des sel­fies d’elle, toutes plaques dehors, et des témoi­gnages sous forme de mini­cap­sule, Amélie se donne pour mis­sion de por­ter un regard inti­miste et inédit sur un tabou fémi­nin afin de libé­rer la parole : « L’idée de par­ler spé­ci­fi­que­ment aux femmes est due au manque de repré­sen­ta­tions posi­tives des femmes chauves. Je vou­lais mon­trer que c’est OK d’être une femme et de perdre ses cheveux. » 

Les nom­breux témoi­gnages que reçoit Amélie se rejoignent tous sur ces notions de souf­france, de non-​acceptation de soi, de dif­fi­cul­té à en par­ler et de se trou­ver belle. La ques­tion de l’intimité revient aus­si sou­vent. « C’est mieux d’en par­ler dès le départ. Non pour l’autre, mais pour soi-​même, conseille Amélie, c’est un bon test pour déter­mi­ner si la per­sonne en face est bienveillante. »

La pelade, c’est des che­veux qui tombent, mais des souf­frances psy­cho­lo­giques qui naissent et prennent beau­coup de place. Les per­sonnes qui en souffrent ont sou­vent peur de l’image qu’elles peuvent ren­voyer. « On cache parce qu’on ne veut pas ins­pi­rer la pitié, l’incompréhension ou le dégoût, déclare Estelle. Se voir dans une glace devient même dou­lou­reux. » Quant à Amélie, la pelade a impac­té pro­fon­dé­ment son carac­tère, par ins­tinct de pro­tec­tion. Elle est deve­nue à ses 20 ans « quelqu’un de réser­vé qui fait tou­jours très atten­tion à ce qu’aucune plaque ne se voie. »

« J’ai juste une pelade »

Car dans l’imaginaire, la che­ve­lure d’une femme a long­temps été per­çue comme gage de sa soi-​disant fémi­ni­té – on ne dit pas « coupe à la gar­çonne » pour rien. L’inégalité femmes-​hommes se retrouve dans l’alopécie et dans le regard que porte sur elle la socié­té. « Une femme chauve dans un maga­zine, c’est pas très ven­deur, alors que la cal­vi­tie chez l’homme est davan­tage accep­tée », dénonce Amélie. Le fémi­nisme per­met d’ailleurs, pour certain·es, de faci­li­ter la coha­bi­ta­tion avec la pelade. « C’est parce que je vis avec un homme qui se dit (et il l’est) plus fémi­niste que moi, que j’ai une sœur mili­tante et beau­coup d’amis fémi­nistes, que je me rends compte que l’apparence ne devrait plus être une prio­ri­té », sou­ligne Estelle.

Pour celles qui choi­sissent de mas­quer leur pelade, les solu­tions ne manquent pas : per­ruques, pro­thèses capil­laires et autres volumateurs​*​​, mais ces solu­tions esthé­tiques ont un coût. « Une très bonne pro­thèse capil­laire peut valoir entre 600 et 1 000 euros selon la qua­li­té. Sachant que sa durée de vie est de deux ans, c’est un sacré bud­get », ana­lyse Amélie. Une véri­table indus­trie autour des faux che­veux s’est déve­lop­pée, et ce bien que « la France soit le pays qui rem­bourse le mieux les pro­thèses capil­laires », selon Philipe Assouly.

Les femmes alo­pé­ciennes qui décident de mon­trer leur crâne dégar­ni se heurtent une nou­velle fois à l’ignorance de la mala­die. Les réac­tions sont sys­té­ma­tiques : « Tout de suite, les gens pensent au can­cer, déplore Estelle, je les ras­sure en leur disant que “j’ai juste une pelade”, que ce n’est pas grave, mais je mini­mise la mala­die. » « Une nou­velle plaque est tou­jours une petite tris­tesse, mais j’arrive aujourd’hui à rela­ti­vi­ser », conclut Amélie. La pelade ne devien­dra sans doute jamais leur meilleure amie, mais Estelle et Amélie ont appris à l’apprivoiser et à vivre leurs vies, avec ou sans cheveux.


  1. *​
    Accessoire capil­laire qui per­met de camou­fler une perte de cheveux.

Entre béné­fices et risques

Rien ne peut stop­per la chute de che­veux, mais cer­tains trai­te­ments sti­mulent la repousse. Comme la cor­ti­sone pres­crite sous toutes ses formes, les immu­no­dé­pres­seurs et les thé­ra­pies plus inva­sives comme la PUVAthérapie ou l’immunothérapie. Des trai­te­ments lourds, avec de mul­tiples effets secon­daires et qui ne fonc­tionnent pas dans tous les cas. « Il n’existe pas de trai­te­ment uni­ver­sel et on ne traite pas tous les patient·es de la même façon, d’ailleurs on ne traite pas dans tous les cas, énonce le der­ma­to­logue Philippe Assouly. Étant une patho­lo­gie cuta­née sans risque vital, il faut peser les béné­fices, les risques et les contraintes. » La pelade peut pro­vo­quer des dégâts psy­cho­lo­giques impor­tants. Lorsqu’ils deviennent trop inva­sifs, le der­ma­to­logue conseille for­te­ment une prise en charge psy­cho­lo­gique. « Il faut cepen­dant faire atten­tion à ne pas faire de la pelade une mala­die psy­cho­so­ma­tique », pré­vient Philippe Assouly. 

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