Chaque année en France, près de 60.000 femmes découvrent être atteintes d'un cancer du sein. 15 à 20% d'entre eux récidivent dix ans après le premier diagnostic. Anne Vincent-Salomon, cheffe du service de pathologie à l'Institut Curie, explique à Causette comment les rechutes interviennent et quelles sont les recherches actuelles à ce sujet.
« Il faut se faire dépister et ne pas en avoir peur. » En ce début de la campagne Octobre rose, destinée à sensibiliser au dépistage du cancer du sein, la Dr. Anne Vincent-Salomon, présidente du comité scientifique des Prix Ruban Rose, ne répètera jamais assez l'importance de ce geste. Car, chaque année en France, près de 60.000 femmes découvrent en être atteintes. Et « entre 15 à 20% de ces cancers récidivent dix ans après le premier diagnostic », souligne la pathologiste, à la tête du Pôle de Médecine Diagnostique et Théranostique à l'Institut Curie.
Le risque de rechute est différent selon le type de cancer, qu'il s'agisse d'un luminal A, luminal B, triple négatif ou HER2 positif. Mais il transforme un cancer en « une expérience encore plus douloureuse », observe la cheffe du service de pathologie : « Une femme à qui on diagnostique un cancer du sein après un dépistage possède, le plus souvent, une petite tumeur. Le chirurgien l'opère, la patiente réalise une radiothérapie, fait de la chimiothérapie, mais sait qu'elle va guérir. Lors d'une récidive, la patiente a peu de chances de s'en débarrasser. Il s'agit d'un parcours long, et il faut reprendre toute son énergie pour recommencer. » La Dr. Anne Vincent-Salomon, qui souhaite avec l'Institut Curie lancer une structure dédiée aux cancers féminins, explique à Causette comment les rechutes interviennent et quelles sont les recherches actuelles à ce sujet.
Causette : Quels types de récidives existent-ils ? Comment expliquer leur apparition ?
Anne Vincent-Salomon : Il existe deux types de rechutes. Les locales, dans le sein. Et les métastatiques, qui se retrouvent différemment dans le corps. Pour les cancers luminaux, les métastatases vont dans l’os et le foie essentiellement. Pour les triples négatifs, plutôt dans le cerveau et les poumons. On ne guérit pas des cancers métastatiques. On peut les stabiliser, les faire régresser, mais c’est exceptionnel d'arriver à les faire disparaître. Et c’est ça qui entraîne la mort des patientes : lorsqu'on dit que 12.000 femmes meurent chaque année de leur cancer du sein, elles meurent de leurs métastases.
Ces métastases ont pour origine ce qu'on appelle des cellules en dormance. Lorsqu’une tumeur se développe dans le sein, le tissu cancéreux est composé à la fois de cellules tumorales et du stroma tumoral, un tissu qui entoure ces cellules et dans lequel il y a notamment des vaisseaux. Les cellules tumorales se divisent de manière anarchique et ont la capacité de bouger. Si elles bougent et rencontrent un vaisseau, elles filent alors dans le vaisseau et vont envoyer des cellules dans le reste du corps. Alors qu'elles étaient actives dans la tumeur primaire, ces cellules isolées se mettent en dormance. Mais ce n’est pas « La Belle au bois dormant », c’est le monstre dormant. Pour une raison ou une autre, dans trois ans, cinq ans ou quinze ans, elles vont se réactiver et, là où elles sont, vont donner lieu à une deuxième tumeur, une métastase.
Tout l’enjeu de nos recherches est de comprendre pourquoi ces cellules se réveillent. C’est pour cela qu’on souhaite lancer une structure dédiée aux cancers féminins. On est convaincu qu’avec une approche pluridisciplinaire, on va trouver de nouvelles façons de comprendre la dormance et le développement métastatique, qui restent à ce jour encore obscurs…
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Comment les rechutes métastatiques se traitent-elles ?
A.V‑S. : Une métastase est traitée comme un cancer du sein. Ce n’est pas parce qu’elle se retrouve dans les poumons ou le foie qu’on va la traiter autrement, car il ne s’agit pas à proprement parler d’un cancer des poumons ou du foie. C’est le pathologiste, après avoir analysé un fragment de la tumeur, qui va pouvoir dire s'il s’agit d’une métastase dans le foie provenant d'un cancer du sein précédent.
Il faut employer le terme de « rechute métastatique » et non de « cancer ». Car la femme qui fait un cancer métastatique s’est pris la nouvelle en pleine figure. Il existe un peu un tabou autour. En parler, mettre des mots là-dessus, contribue à s’approprier cela et les effets secondaires de la chimiothérapie. Les femmes à qui l'on diagnostique une métastase doivent apprendre à vivre avec leur cancer. On espère pouvoir stabiliser, voire, faire disparaître les métastases, mais on sait qu’il y a beaucoup de risques que les patientes finissent par mourir avec leur cancer.
De nouveaux traitements sont apparus pour ces rechutes métastatiques, comme les anticorps anti-HER2 chargés avec de la chimiothérapie, qui vont faire rentrer la chimiothérapie dans les cellules métastatiques. Il existe aussi les inhibiteurs de PARP, pour les femmes porteuses de mutations BRCA1 et BRCA2. Ou l'immunothérapie. Ça bouge, et ça vient des fruits de la recherche scientifique. Avant l’arrivée de ces traitements, la survie globale des femmes métastatiques était de l’ordre de 39–40 mois. Ces traitements coûteux ont été autorisés sur le marché car ils permettent d’augmenter la survie de quelques mois. Ce sont des petits pas en plus.
Quelles sont les recherches en cours concernant les rechutes, et notamment sur les cellules en dormance ?
A.V‑S. : Le professeur François-Clément Bidard, qui a fait des essais cliniques mondiaux, s’est rendu compte que les cellules tumorales larguent de l’ADN tumoral dans le sang. On pense que les variations de la concentration de l’ADN tumoral circulant est le reflet indirect de ces métastases dormantes. Mais il s'agit pour l'instant d'une hypothèse. Quand l’ADN tumoral apparaît, c’est avant que les métastases soient visibles ou que la résistance au traitement apparaisse. On essaie donc de trouver des moyens pour comprendre ce qu'il se passe avant que les cellules tumorales dormantes se réveillent.
Le professeur Alain Puisieux, de son côté, a tout un groupe qui travaille sur les cellules dormantes, qui savent se cacher et se camoufler. On aimerait comprendre, au départ, au sein du tissu cancéreux, quelles cellules sont capables d’avoir cette faculté de migrer et de dormir. Car non seulement il existe plein de formes de cancers du sein, mais en plus, chaque tumeur correspond à un écosystème hétérogène. Elles sont faites de différents types de cellules tumorales : celles qui vont mourir avec les traitements, celles qui vont résister, celles qui vont devenir dormantes en partant de la tumeur… Pour l’instant on n’est pas très adroits pour repérer ces cellules. Mais on fait de grands progrès technologiques et on a de grands espoirs d'arriver à les appréhender.
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