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George, au cabaret des Vénus noires © Damien Paillard

Burlesque noir : com­ment l’héritage de Joséphine Baker se réinvente-t-il ?

Le 30 novembre, Joséphine Baker, icône des Années folles, résis­tante et phi­lan­thrope, entre­ra au Panthéon. Si son héri­tage mon­dain et bur­lesque se porte bien, certain·es performeur·euses noir·es pré­fèrent reven­di­quer la poli­ti­sa­tion de leur art et leur corps sur scène. Reportage.

Pour trou­ver un caba­ret bur­lesque à Paris, le pre­mier endroit où cher­cher, c’est le XVIIIe arron­dis­se­ment, lieu his­to­rique du monde de la nuit, du French can­can. L’arrondissement vacille entre zones tou­ris­tiques de carte pos­tale et quar­tier popu­laire. Ce soir-​là, rendez-​vous est don­né au café Contresort pour le caba­ret des Vénus noires. Le caba­ret a été créé par Michelle Tshibola, dan­seuse de voguing et desi­gneuse congo­laise de 25 ans. Elle rend hom­mage à Saartjie Baartman, dite la Vénus hot­ten­tote, femme d’Afrique aus­trale exhi­bée pour ses formes dans des spec­tacles de foires au début du XIXe siècle. Michelle ambi­tionne de mon­ter un espace sûr et gen­der fluid, dans lequel les femmes raci­sées peuvent s’exprimer libre­ment, sans crainte d’être exotisées. 

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Le rideau se lève. George, drag king de 23 ans appa­raît en tuxe­do gris, mous­tache, et cha­peau haut de forme sur la tête. Sur une musique de Ma Rainey, l’une des pre­mières chan­teuses de blues noire-​américaines homo­sexuelles, il per­forme un effeuillage. « Dans ma per­for­mance, il est ques­tion de genre et de tran­si­den­ti­té. Au final, je m’intéresse à une scène drag qui exis­tait aux États-​Unis au siècle der­nier, sans que ça soit appe­lé comme ça. Finalement, les per­for­mances sont des scènes de vie racontées. »

L’artiste d’origine réunion­naise est mon­té à Paris pour se rap­pro­cher de cette scène queer et raci­sée, moins impor­tante dans son Martigues natal. « J’ai tou­jours beau­coup aimé l'esthétique ciné­ma­to­gra­phique et télé­vi­suelle de la période des années 1930, les tenues, le côté un peu luxueux, déclare George. Cette esthé­tique, on la retrouve chez une cer­taine bour­geoi­sie blanche, mais si on fait quelques recherches, on réa­lise qu’un monde paral­lèle existe. Celui des chan­teuses noires de blues, bisexuelles ou gouines. La pre­mière fois que j’ai enten­du par­ler de Joséphine Baker, c’était dans la bouche de ma mère. C’est une femme blanche fran­çaise et ça en dit long sur l’imaginaire construit autour de cette artiste, dont le sou­ve­nir a plus mar­qué les Français blancs qu’Afrodescendants. »

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Michelle Tshibola © Damien Paillard

Par la suite, des femmes noires se suc­cèdent sur scène, poé­tesse et chan­teuse. Cette scène under­ground du caba­ret n’a pas les mêmes moyens que les grands caba­rets pari­siens, mais elle trouve son public. Michelle reven­dique la poli­ti­sa­tion de son corps sur scène : « J’ai l’impression de res­sen­tir ce que la Vénus hot­ten­tote aurait pu vivre. À une époque, j’étais tra­vailleuse du sexe et je suis mon­tée sur scène pour faire de l’effeuillage. Je per­for­mais devant un par­terre d’hommes blancs hété­ros, qui me féti­chi­saient. Cette expé­rience m’a appris les bases du bur­lesque, mais je veux m’en éloi­gner. Je n’avais même pas le droit de mon­trer mes véri­tables che­veux. Aujourd’hui, mon art est poli­tique. J’invoque la déesse en moi-​même, pour me redon­ner la puis­sance de construire et décons­truire qui je suis. »

Se réap­pro­prier la jupe en bananes

En 2017, la réa­li­sa­trice afro­fé­mi­niste Amandine Gay sort son pre­mier film, Ouvrir la voix. Des per­for­meuses de spec­tacle vivant comme Rébecca Chaillon y rejoignent l’approche artis­tique et poli­tique de Michelle. Lors d’une brève scène, on aper­çoit même une dan­seuse de bur­lesque qui fait secouer ses caches tétons. Être noire et faire du bur­lesque, c’est aus­si aller à contre-​courant des cli­chés. Le bur­lesque, s'il est faci­le­ment asso­cié à Joséphine Baker, l’est moins aux femmes noires. 

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Ouvrir la voix © Amandine Gay

Si ces femmes noires sont dans la réap­pro­pria­tion de leur corps, d’autres performeur·euses décident de repous­ser les bar­rières des codes encore plus loin. C’est le cas de Brian Scott Bagley, ren­con­tré à quelques pas du Carrousel, l’ancien caba­ret de Mrs Baker, rue Pierre Fontaine. Ce dan­seur ori­gi­naire de Baltimore est l’ancien direc­teur artis­tique du Parc de Joséphine Baker situé en Dordogne. 

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Brian Scott Bagley © Hervé

Après une car­rière de dan­seur à New York, il arrive à Paris dans le milieu des années 2000. Son style Harlem Renaissance séduit le milieu pari­sien. Il finit par diri­ger les cho­ré­gra­phies des spec­tacles de Dita Von Teese ou Arielle Dombasle. « J’ai enfi­lé la jupe en bananes sur scène en 2012 au Casino de Paris. J’ai été hono­ré que les pro­duc­teurs ne soient pas fer­més à l’idée qu’un homme adapte la danse de Joséphine Baker. » Après avoir mené les danseur·euses du Crazy Horse pen­dant plu­sieurs années, Brian se consacre entiè­re­ment à sa pas­sion pour Joséphine Baker et ses visites tou­ris­tiques dédiées aux figures gay à Paris. Le milieu bur­lesque, aus­si ouvert semble-​t-​il être, reste élitiste. 

Pour James Carlès, maître de confé­rence spé­cia­liste du patri­moine des danses ver­na­cu­laires noires du XXe siècle., dan­seur et cho­ré­graphe, ce qui se passe aujourd’hui est une évo­lu­tion de ce qui se pas­sait à l’époque. « Il y a tou­jours eu deux mondes paral­lèles, celui des élites, des intel­lec­tuels et de la mon­da­ni­té, tou­jours curieux de ces expres­sions artis­tiques, qui la pra­ti­quaient comme un diver­tis­se­ment exo­tique, explique-​t-​il à Causette. À côté, il y avait le monde des invi­sibles, qui n’avaient pas sys­té­ma­ti­que­ment de droits sociaux. Qu’on le veuille ou pas, la socié­té occi­den­tale a tou­jours valo­ri­sé des danses ver­na­cu­laires [propres à un pays, ndlr] afro-​descendantes. Ce qui change sur­tout aujourd’hui, c’est une affir­ma­tion des liber­tés indi­vi­duelles, obte­nue par la dia­spo­ra noire, à tra­vers le voguing par exemple. » 

Bien que les ball­rooms pri­vi­lé­gient sans com­plexe leurs évé­ne­ments en non-​mixité, c’est aujourd’hui à la mode de prendre des cours de voguing. Il y a un siècle aus­si, il était de bon ton de s’encanailler à Pigalle dans la boîte de nuit Chez Bricktop, où dan­sait Joséphine Baker. Le cher­cheur rap­pelle que les danses noires comme le swing, le blues ou le char­les­ton, intro­duites par Joséphine Baker, étaient pra­ti­quées dans des clubs afro, avant d’être récu­pé­rées par les caba­rets blancs. 

George comme Michelle se sentent habité·es par une force ances­trale qui les dépasse, lors de leurs per­for­mances, et tend vers le spi­ri­tuel. Iels sont autant les héritier·ères de Joséphine Baker que d’une Grace Jones ou d’une Mia Fraye. 

Lire aus­si l « Osez Joséphine » : la péti­tion qui veut faire entrer Joséphine Baker au Panthéon

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