À l'occasion des journées du matrimoine, à Paris, Edith Vallée rend hommage à Héloïse, abbesse du 12e siècle, à travers sa pièce de théâtre Héloïse et Abélard, autopsie d’un mythe. Aujourd’hui, le prénom de l'intellectuelle est associé au nom de l'érudit Abélard. Considérée dans notre culture populaire comme l'équivalent moyenâgeux de Roméo et Juliette, l'histoire n’est peut-être pas si belle.
Dans le jardin du musée de Cluny, rue Sommerard dans le 5e arrondissement de Paris, la petite équipe de Héloïse et Abélard, autopsie d’un mythe démarre sa répétition générale vendredi 10 septembre. Au milieu des déambulations des enfants qui rentrent de l’école et des passants, la répétition commence.
Au 21e siècle, une concierge débat avec une femme, qui inaugure une statue d’Héloïse et Abélard, en hommage à leur amour. Pour la concierge, tout n’est pas rose dans l’histoire de ce couple et elle veut en avoir le cœur net. Alors, elle décide de réveiller ses deux figures historiques. Nous voilà donc plongé·es dans un dialogue entre les deux amants, tel qu'il aurait pu se tenir neuf siècles auparavant. Pour les journées du Matrimoine, Héloïse va enfin pouvoir s’exprimer sur leur relation, que nous aimons aujourd'hui à dépeindre comme un amour sensuel mais interdit.
L’histoire d’une relation toxique et abusive
Rappelons d'abord l'histoire officielle, celle que l'on apprend parfois à l'occasion d'un cours de littérature. Abélard, 36 ans, est maître en théologie à la Cathédrale de Notre Dame de Paris. C’est là qu’il rencontre Héloïse, une jeune fille de 17 ans, vive d’esprit, qui a rejoint son oncle, chanoine, à la capitale pour y étudier. Très vite, le professeur et son élève particulièrement jeune tombent amoureux et Héloïse finit par tomber enceinte. Face aux conséquences de cette relation interdite, le couple décide alors de s’enfuir en Bretagne où ils seront retrouvés par les sbires de l’oncle d’Héloïse. Abélard se retrouve émasculé et Héloïse prend le voile à l’abbaye d’Argenteuil. Les deux amants maudits ne se verront jamais plus mais leur amour perdurera à travers les lettres d’amours qu'ils s'échangent. Ils reposent aujourd'hui, ensemble, au cimetière Père Lachaise. C’est de cette manière qu’est dépeinte leur histoire depuis des siècles. Pour la metteuse en scène et psychologue Edith Vallée, il était temps de réinterpréter l’histoire de ce couple, à l'aune des éléments historiques dont nous disposons.
Dès le départ, on comprend qu'Abélard et Héloïse n’ont pas le même regard sur leur histoire. Dans la pièce, on découvre un homme imbu de lui-même et qui ne s’intéresse qu’à sa postérité. Une réussite d'ailleurs, puisque l’histoire a retenu de lui l’image d’un homme de lettre, un intellectuel qui s’est laissé séduire par une femme fatale. Mais après avoir étudié la correspondance du couple arrivée jusqu'à nous, Edith Vallée s'est rendu compte que les choses n'étaient pas si douces. Au départ, la jeune fille, aveuglée par son amour ne se rend pas compte qu’elle est en fait sous l’emprise de son amant. Mais au fil de la pièce, au fil des lettres, elle ouvre les yeux sur cette relation toxique. Manipulée par un homme qui avait le double de son âge, Héloïse a aussi subi des violences verbales et physiques de sa part.
Rétablir l'Histoire
A travers cette pièce, Edith Vallée a souhaité donner une version démystifiée à cette histoire écrite au masculin et remettre la parole d’Héloïse au centre. « Je ne réécris pas l’histoire, tout ce que je dis dans cette pièce est vrai. Il suffit de lire les lettres. » Plus que « l'amoureuse d'Abélard », Héloïse est une véritable intellectuelle, une grande femmes de lettres que l'Histoire a oubliée. Elle serait ainsi, selon les recherches d'Edith Vallée, rien moins que la première femme à avoir écrit sur le désir féminin ! Au 17e siècle, ses écrits sont mis à l'index, c'est-à-dire placés dans un catalogue que l'Eglise catholique n'autorise pas à lire. C'est aussi à ce moment là que le souvenir de l'érudite est remplacé par l'institution catholique par la fausse figure de la séductrice. Il ne reste aujourd'hui que très peu d'écrits d'Héloïse si ce n'est son courrier.
La pièce s’inscrit dans le message que ces journées du Matrimoine veulent véhiculer : mettre en avant ces femmes du passé qui ont construit notre héritage culturel. Pour Edith Vallée, il était même important d’aller très loin dans l’histoire. « Le regard qu'on porte sur les femmes dans la société ne changera que par une réflexion sur ce qu’ont apporté toutes les femmes qui ont précédé notre époque, explique-t-elle. Et elles n’ont pas commencé au 19e siècle. » Et pour la metteuse en scène, Héloïse est bien plus qu'une simple écrivaine du Moyen-Age. Pour elle, c'est même la précurseuse de nos luttes actuelles : « Dans ses lettres, on comprend peu à peu qu'elle sort de l'emprise d'Abélard et le questionne sur les violences qu'il lui a fait subir, raconte-t-elle. En cela, l'histoire d'Héloïse résonne parfaitement avec #Metoo. »
Héloïse et Abélard, autopsie d'un mythe à retrouver samedi 18 et dimanche 19 septembre à 15h Rue Sommerard, Paris 05