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Photo : Julia Ferrand

Lucy Cooke, la zoo­logue qui met à l'honneur le pou­voir des femelles et dégomme le sexisme scientifique

Suricates meur­trières, babouines en dépres­sion post-​partum, lionnes liber­tines… Dans son nou­veau livre, Bitch : le pou­voir des femelles dans le monde ani­mal, la zoo­logue bri­tan­nique Lucy Cooke s’attaque aux sté­réo­types patriar­caux qui régissent encore la vision scien­ti­fique du monde ani­mal. Rencontre au zoo de Vincennes.

Au zoo de Vincennes, en cette mati­née grise de mars, Lucy Cooke, zoo­logue bri­tan­nique autrice de Bitch : le pou­voir des femelles dans le monde ani­mal, se trouve comme un pois­son dans l’eau. Causette la retrouve devant la bou­tique sou­ve­nirs, prête à sillon­ner les allées prises d’assaut par des enfants en visite sco­laire pour dégom­mer les sté­réo­types sexistes du monde scien­ti­fique, qui a trop long­temps pris les femelles pour des nunuches. “Je n’arrivais pas à croire que ces vieilles his­toires patriar­cales à pro­pos des femelles dans le règne ani­mal exis­taient encore”, raconte celle qui avait choi­si d’étudier la zoo­lo­gie au New College de Oxford (Grande-​Bretagne) pour nour­rir sa pas­sion pour la faune et a admi­ré les théo­ries de Charles Darwin. Puis “je me suis ren­du compte que la pen­sée de Darwin avait un angle mort : les femelles. On leur attri­buait les mêmes carac­té­ris­tiques que des femmes au foyer de l’époque vic­to­rienne”, s’amuse-t-elle.

Soumises, mater­nelles et géné­ra­le­ment peu dignes d’intérêt, les femelles sont long­temps res­tées à l’arrière-plan des pré­oc­cu­pa­tions de la dis­ci­pline scien­ti­fique, où les hommes sont encore sur­re­pré­sen­tés. “Il faut des femmes dans les sciences pour poser des ques­tions sur les femelles”, affirme Lucy Cooke. Pour illus­trer l’omniprésence de la pen­sée mas­cu­line, elle pointe du doigt un canard. “Les scien­ti­fiques mas­cu­lins étaient fous des pénis de canard, qui peuvent faire jusqu’à deux fois la taille de leur corps.” Si bien qu’on a très long­temps igno­ré que le vagin de la cane était comme un laby­rinthe, où ces pénis pou­vaient res­ter coin­cés, poursuit-​elle. “Les femelles décident ain­si qui peut ou ne peut pas les fer­ti­li­ser. Ce ne sont pas des vic­times.

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Quittant la volière aux canards et fla­mands roses, la zoo­logue se dirige ensuite vers les suri­cates. Petites bêtes on ne peut plus ado­rables, avec leurs mini-​pattes et leur sou­rire en coin, les femelles suri­cates sont pour­tant “les mam­mi­fères les plus meur­trières de la pla­nète”, com­mente l’autrice. “Elles sont extrê­me­ment com­pé­ti­tives, agres­sives. Leur socié­té est en ten­sion constante. Je n’ai jamais com­pris pour­quoi on fai­sait de ces ani­maux des per­son­nages d’émissions fami­liales à l’heure du thé et pour­quoi tout le monde les trou­vait si mignons.” Du côté des lému­riens aus­si, les femelles dominent. Elles se montrent agres­sives, n’hésitant pas à déga­ger les mâles – consi­dé­rés comme de véri­tables “citoyens de seconde zone” – de leur coin de bron­zage de pré­di­lec­tion. Une nou­velle preuve que “le patriar­cat n’est pas gra­vé dans notre ADN”, selon Lucy Cooke.

Des “sacs de sperme inutiles”

Alors qu’elle longe l’enclos désert des girafes, la zoo­logue pro­fère son amour pour les femelles arai­gnées, les “plus badass” du règne ani­mal, qui sacri­fient leurs amants inca­pables de for­mer une toile et réduits à “des sacs de sperme inutiles”. Dans le milieu scien­ti­fique, les cli­chés sexistes sur la sexua­li­té des femelles pré­va­laient sou­vent sur l’exactitude des recherches. “À la fin des années 1970, c’est une femme scien­ti­fique qui a ini­tié ce qu’on pour­rait appe­ler une ‘révo­lu­tion poly­andre’, en démon­trant que les femelles de plein d’espèces n’étaient non pas mono­games mais s’accouplaient avec de nom­breux mâles. Avant un voyage au cours duquel j’ai pu obser­ver des lionnes, j’ignorais par exemple qu’elles étaient extrê­me­ment liber­tines et s’accouplaient avec le plus de mâles pos­sible lorsqu’elles étaient fer­tiles”, déve­loppe Lucy Cooke face à une lionne qui baille sur un rocher. 

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© Julia Ferrand
“Renverser toutes ces vieilles fables”

L’observation des femelles dans leur rôle de mère per­met éga­le­ment de décons­truire de nom­breuses idées reçues sur la nature et cer­taines carac­té­ris­tiques fémi­nines encore per­çues comme innées. “La zoo­lo­gie a tou­jours consi­dé­ré que toutes les mères étaient les mêmes, peu importe l’individu ou l’espèce. Or, les babouines démontrent par exemple que nous ne sommes pas toutes dotées du même sup­po­sé ‘ins­tinct mater­nel’ et que la mater­ni­té est aus­si quelque chose qui s’apprend. Certaines d’entre d’elles n’arrivent pas à allai­ter, d’autres encore souffrent de dépres­sion post-​partum”, détaille Lucy Cooke. étudier le com­por­te­ment de pri­mates per­met ain­si, explique la scien­ti­fique, de rela­ti­vi­ser la mater­ni­té humaine dans laquelle de nom­breuses mères “res­sentent beau­coup de honte et de culpa­bi­li­té” dès qu’elles éprouvent des difficultés. 

Vers la sor­tie, au niveau de l’enclos des tapirs, Lucy Cooke évoque sa volon­té “de ren­ver­ser toutes ces vieilles fables qui pré­valent encore aujourd’hui”. Une démarche à contre-​courant, qui s’apparente par­fois à décla­rer que la terre est ronde lorsque le monde l’envisageait encore plate : “Il y a une sorte de résis­tance. J’étais inquiète d’avancer toutes ces théo­ries et de remettre en ques­tion ces sté­réo­types, parce que je ne peux pas me trom­per. Les femmes zoo­logues qui ont fait des obser­va­tions révo­lu­tion­naires et avec qui j’ai par­lé ont res­sen­ti la même chose. Partout, nous devons prou­ver nos capa­ci­tés trois fois plus. Et c’est peut-​être encore plus le cas dans le domaine des sciences.” Loin de se lais­ser impres­sion­ner, Lucy Cooke com­pile aujourd’hui ses recherches dans Bitch, une terme qui désigne à la fois la femelle du chien, une insulte sexiste qua­li­fiant des femmes vul­gaires, méchantes, faciles, mais sur­tout un terme récu­pé­ré dans les années 1990 et reven­di­qué par des fémi­nistes prêtes à mon­trer les dents pour lut­ter contre le sexisme et les relents patriar­caux de l’espèce humaine. 

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Bitch : le pou­voir des femelles dans le monde ani­mal, de Lucy Cooke. Albin Michel. 512 pages, 24,90 euros.

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