Dans “L'Amour et la Révolution”, Johanna Silva passe au prisme du fémi­nisme sa rela­tion intime mal­heu­reuse avec François Ruffin

Publié aux édi­tions Textuel ce mer­cre­di, L’Amour et la Révolution raconte une his­toire d’amour dés­équi­li­brée au cœur d’une machine poli­tique lan­cée à vive allure sur le che­min de l’accession au pou­voir. Un récit cathar­tique qui décrypte les rap­ports de force entre un homme cha­ris­ma­tique et une femme de l’ombre à qui il doit tant.

Johanna Silva 1
Johanna Silva © Maud Pavé 

Disons-​le d’emblée : pas de #MeToo dans cet ouvrage, mal­gré une date de sor­tie for­cé­ment signi­fiante, à deux jours du 8 mars. Certes, la qua­trième de cou­ver­ture de ce récit à fleur de peau publié chez Textuel est sul­fu­reuse, indi­quant que de son aven­ture aux côtés de François Ruffin, l’autrice “est sor­tie meur­trie et gran­die”. S'il n’y a stric­te­ment rien de péna­le­ment répré­hen­sible dans le com­por­te­ment intime du dépu­té LFI tel que décrit par Johanna Silva, leur his­toire n'en reste pas moins inté­res­sante ain­si pas­sée au crible du fémi­nisme. Elle y dépeint les affres d’une rela­tion à deux vitesses, à deux inves­tis­se­ments oppo­sés, située dans un cadre pro­fes­sion­nel de subor­di­na­tion et aux contours bien trop flous puisque s’ajoute l’émulation mili­tante. Contexte qui par­ti­ci­pe­ra ample­ment à abî­mer la jeune femme.

En 280 pages, Johanna Silva retrace presque une décen­nie, s’étendant de l’été 2013 où elle ren­contre François Ruffin aux débuts de l’année 2022, quand elle par­vient pour de bon à se “débar­ras­ser du bou­let de tris­tesse et de doutes qu’[elle traî­nait] depuis qu’[elle avait] quit­té François” et amorce un exer­cice d’écriture émi­nem­ment cathar­tique. Dans L’Amour et la Révolution, Johanna Silva se campe en jeune fille un peu pau­mée à la sor­tie de ses hautes études, qui ne sait pas quoi faire de sa vie et, à l’issue d’une ren­contre presque for­fuite, va s’investir corps et âme auprès d’un François Ruffin qu’elle per­çoit comme un guide révo­lu­tion­naire, qu’il s’agisse du champ poli­tique ou de son propre champ intime (“François ne m’aida pas tant à deve­nir com­pé­tente qu’à vaincre ma peur de ne pas l’être”, livre-​t-​elle ainsi). 

Dissymétrie rela­tion­nelle

Avec enthou­siasme et abné­ga­tion, Johanna Silva devient la femme de l’ombre de tous les pro­jets de celui qui n’est pas encore homme poli­tique, au croi­se­ment du tra­vail rému­né­ré et de l’implication béné­vole dans la lutte pour les grandes idées de gauche : petite main de la logis­tique dans la rédac­tion bor­dé­lique de Fakir, pro­duc­trice de Merci Patron, orga­ni­sa­trice de Nuit debout puis, en 2018, du grand raout que sera La Fête à Macron – dans une ten­ta­tive for­ce­née de faire émer­ger la conver­gence de toutes les luttes de gauche, à l’exception notable du fémi­nisme, nous y revien­drons… Johanna Silva apporte, sans comp­ter ses heures, tout son savoir-​faire métho­dique pour struc­tu­rer et cana­li­ser l’énergie créa­trice intem­pes­tive de son patron. 

Cette pro­pen­sion à faire adve­nir ce qui, sans un mini­mum d’organisation, ne res­te­rait que de belles idées de mecs “qui se branlent un peu la nouille”, comme elle ose le lan­cer à l’une des pre­mières réunions fou­traques de Ruffin et ses potes où elle est conviée, la rend bien­tôt indis­pen­sable. Elle est de l’équipe de cam­pagne lorsque vient à Ruffin l’idée de deve­nir dépu­té et est ensuite pro­pul­sée atta­chée par­le­men­taire. En paral­lèle, la jeune femme s’amourache de cet homme cha­ris­ma­tique et débute une rela­tion avec lui. Mais ses attentes ne coïn­cident pas avec l'attitude de Ruffin, qui souffle le chaud et le froid, la rat­trape d’un mot tendre quand elle cherche à s’extraire et ne lui offre rien d’autre qu’un lien que les jeunes d’aujourd’hui qua­li­fie­raient aisé­ment de “situa­tion­ship” – une rela­tion intime sans éti­quette et donc sans règles for­melles, dont la dis­sy­mé­trie fait sou­vent souf­frir l’une des deux parties.

Avec intel­li­gence, L’Amour et la Révolution ne cherche pas à son­der les res­sorts psy­cho­lo­giques de ce com­por­te­ment sur lequel on pour­rait acco­ler le terme de gou­jat, mais fait le constat de la cruau­té de la situa­tion, comme ce momentoù Ruffin lui glissedans un mail : “Ce n’est pas avec toi que se brise mon exis­ten­tielle soli­tude, mais c’est au moins à toi que je la confie.” Johanna Silva raconte plu­tôt une quête vis-​à-​vis d’elle-même pour com­prendre quels sont ses propres méca­nismes intimes qui l’ont fait res­ter aus­si long­temps liée à un homme qui ne pou­vait pas la rendre heu­reuse, ain­si qu’une révé­la­tion fémi­niste (grâce à la lec­ture d’une BD de Liv Strömquist) qui lui per­met­tra de s’en détacher.

L’intime est politique

Et c’est ain­si que L’Amour et la Révolution devient un texte d’intérêt géné­ral et pas la somme d’impudeurs que l'on pou­vait craindre. Brossant des rap­ports asy­mé­triques qui s’additionnent (homme/​femme, patron/​salariée, chef de file politique/​simple mili­tante) dans un contexte où le public et le pri­vé se mélangent et où le burn-​out pro­fes­sion­nel s’accompagne d’épuisement émo­tion­nel, le récit de Johanna Silva montre com­ment le soin que l’on apporte ou pas aux rela­tions intimes devient un objet poli­tique. C’est, semble-​t-​il, l’impensé du tri­bun Ruffin (et celui de nom­breux hommes de gauche, l’actualité ne manque jamais de nous le rap­pe­ler), qui n’a d’ailleurs jamais caché ses dif­fi­cul­tés à envi­sa­ger le fémi­nisme dans sa dimen­sion micro­struc­tu­relle (celle du couple et de l’intimité). En 2021, à la sor­tie de Debout les femmes, son docu­men­taire sur les femmes exer­çant les métiers invi­sibles du care, il expli­quait ain­si à Causette se dire fémi­niste, tout en pré­ci­sant : “Mais mon fémi­nisme est un fémi­nisme de classe, car je pense avoir une grande atten­tion aux condi­tions de vie et de tra­vail des femmes de classes populaires.”

Interrogé par Causette sur la paru­tion du texte que Johanna Silva lui avait envoyé avant paru­tion, l'ancien jour­na­liste sou­ligne que s'il lui semble que "per­sonne n’est à l'aise de voir son inti­mi­té dévoi­lée, d’anciens SMS exhu­més, etc, [il a] com­pris son besoin d'écrire, d'exprimer, qui signi­fie 'pous­ser dehors'." Peut-​être dans une sorte de quête de rédemp­tion vis-​à-​vis de l'autrice – qu’il a recon­nu avoir esso­rée quand elle a quit­té Fakir, écri­vant un article ren­dant grâce à ses talents “d’intendance” dont il a “pro­fi­té mille fois” – il admet aus­si : "Quand on vous tend un miroir sur une par­tie de votre vie, même si cer­tains reflets ne vous sont pas agréables, il faut les regar­der en face, savoir écou­ter, pour apprendre, pour faire mieux." Signe que, depuis que la qua­trième vague fémi­niste issue de #MeToo décor­tique les rap­ports de genre, le dépu­té a com­pris que tout est poli­tique, rela­tions intimes comprises ?

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L’Amour et la révo­lu­tion, de Johanna Silva. Textuel, 288 pages, 21,50 euros.

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