La sélec­tion de février 2020

Isabelle Sorente H4A0129R©F Mantovani 2019 1
© F. Mantovani

Le Complexe de la sor­cière, d’Isabelle Sorente

L’œuvre, abon­dante, d’Isabelle Sorente aborde le corps phy­sique et social des femmes, les réflexions sur le genre ou les quêtes spi­ri­tuelles dans des essais, des fic­tions ou des auto­fic­tions. Le Complexe de la sor­cière, qui mélange l’enquête his­to­rique et la confes­sion per­son­nelle, ne déroge pas à la règle. À mille lieues du per­son­nage hideux des contes pour enfants, la sor­cière fut sur­tout un sym­bole de la guerre des sexes au Moyen Âge : en Europe, plu­sieurs dizaines de mil­liers de femmes ont été accu­sées de trou­bler l’ordre reli­gieux, dia­bo­li­sées, empri­son­nées, exé­cu­tées ou brû­lées vives. L’autrice nous raconte com­ment elles l’ont inté­res­sée, puis obsé­dée au point de com­men­cer une enquête lit­té­raire et ‑his­to­rique. Cette trame docu­men­taire se double d’une seconde, auto­fic­tion­nelle, où Sorente raconte ce qui lie cet ouvrage en cours à sa propre vie, à sa fémi­ni­té et à la façon dont sont consi­dé­rées les femmes ‑bat­tantes. 

Le Complexe de la sor­cière, d’Isabelle Sorente. Éd. JC Lattès, 300 pages, 20 euros.

Trop beau, d’Emmanuelle Heidsieck

La fic­tion, ça sert aus­si à pous­ser le bou­chon tou­jours un peu plus loin. C’est ce qu’a tou­jours appli­qué Emmanuelle Heidsieck dans des romans tein­tés de chro­nique sociale ou d’anticipation poli­tique. Pour sa pre­mière paru­tion dans la toute nou­velle mai­son d’édition du Faubourg, Trop beau règle son compte à un fait réel : ces gens, prin­ci­pa­le­ment des femmes, licen­ciées car trop sexy et trou­blantes ! Comme l’Américaine Melissa Nelson, en 2012, et d’autres citées dans ce livre. Pour chan­ger d’angle, Heidsieck se met dans la peau d’un homme de 36 ans, trois fois viré pour ce motif et qui décide de traî­ner aux prud’hommes son der­nier patron. Avant le pro­cès, il intègre un groupe de parole pour faire entendre la sienne. C’est le corps du livre. Libérant le verbe de son per­son­nage, ce roman court et inci­sif raille aus­si bien la dis­cri­mi­na­tion phy­sique que les excès d’une vic­ti­mi­sa­tion exagérée. 

Trop beau, d’Emmanuelle Heidsieck. Éditions du Faubourg, 120 pages, 15 euros. 

10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange, d’Elif Shafak 

Née en France, d’origine turque, Elif Shafak écrit en anglais et vit à Londres. Depuis La Bâtarde d’Istanbul (2007), elle bâtit une œuvre des plus enga­gées. Ici, la pre­mière scène est sai­sis­sante : Leila est en train de mou­rir. Dans une pou­belle des fau­bourgs d’Istanbul. Surnommée « Tequila Leila », cette jeune pros­ti­tuée semble avoir été assas­si­née. Pendant dix minutes et trente-​huit secondes, son esprit, son corps, puis son âme vont glis­ser vers la mort. Un compte à rebours durant lequel elle va nous racon­ter son his­toire dans un der­nier souffle : celle d’une fille née dans un milieu aisé avant d’être enfer­mée par un sys­tème patriar­cal et ances­tral dont elle a dû se libé­rer. Shafak l’amène aus­si à par­ler de cinq « amies », comme elle, entra­vées et bat­tantes. Un livre ensor­ce­lant, qui se boucle dans une der­nière par­tie des plus baroques. Quand le compte à rebours joue des tours…

10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange, d’Elif Shafak. Traduit de l’anglais par Dominique Goy-​Blanquet. Éd. Flammarion.

Le Silence d’Isra, d’Etaf Rum

L’exil est un thème récur­rent dans la lit­té­ra­ture amé­ri­caine contem­po­raine. Mais celui-​ci est un défi. Premier ouvrage d’Etaf Rum, née à Brooklyn de deux parents immi­grés pales­ti­niens, Le Silence d’Isra dresse le por­trait d’une com­mu­nau­té cli­vante aux États-​Unis (les Palestiniens, donc). Qui plus est, il donne la voix aux femmes, qui racontent ici com­ment les tra­di­tions les ‑des­tinent au mariage, à la mater­ni­té et au silence. Il y a Isra Hadid, 17 ans, à Bir Zeit (Palestine). Mariée contre son gré, elle suit son mari à New York. Il y aura sa fille aînée Deya, née peu après. Il y aura la grand-​mère pater­nelle, Farida, qui vit aus­si aux États-​Unis. Les des­tins de ces trois femmes se croisent au gré des cha­pitres, alter­nant entre 1990 et 2009. Il y aura des drames, des éman­ci­pa­tions, mais aus­si une explo­ra­tion du silence intra­com­mu­nau­taire. Puissant, radi­cal et poétique.

Le Silence d’Isra, d’Etaf Rum. Traduit de l’anglais (États-​Unis) par Diniz Galhos. Éditions de l’Observatoire.

404, de Sabri Louatah

Décidément, les pré­si­den­tielles ins­pirent Sabri Louatah. Comme sa tétra­lo­gie Les Sauvages,adap­tée en série en sep­tembre 2019 par Rebecca Zlotowski pour Canal+, son nou­veau roman débute lors de ces élec­tions. Nous voi­ci en 2022 et la nou­velle pré­si­dente est vic­time de deep­fakes * créés par des intel­li­gences arti­fi­cielles : des « mirages ». Ayant un temps tra­vaillé pour elle, une poly­tech­ni­cienne de 39 ans, Allia, crée une appli­ca­tion infal­si­fiable de strea­ming qui se veut un anti­dote à cette nou­velle menace : 404. Pendant quelques mois, des tests ont lieu dans son dépar­te­ment natal de l’Allier. Le suc­cès y fait conver­ger aus­si bien des geeks que des magnats des télé­coms. Mais voi­là : Allia est franco–algérienne, ses proches s’opposent sur l’intégration et le com­mu­nau­ta­risme, et leurs inté­rêts dans la réus­site de 404 divergent. 
Roman de légère anti­ci­pa­tion, 404 joue de son propre sym­bole (la page ‑d’erreur, la Peugeot et d’autres plus cocasses), puis se déploie en fresque rurale, fami­liale et sociale. Avec une rage lyrique qui cri­tique tous les identitarismes.

404, de Sabri Louatah. Éd. Flammarion, 360 pages, 21 euros.

* Trucages qui super­posent des fichiers audio et vidéo exis­tants sur d’autres vidéos. 

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