1200px Daniel BRIOT Incendie usine Lubrizol Rouen 2019 2020 2021 Paysages 009 20190926
© Daniel Briot

Un an après l’incendie de Lubrizol, les Rouennais demandent des comptes

Le 26 sep­tembre 2019, un incen­die se décla­rait dans l’usine de Lubrizol et les entre­pôts de Normandie Logistique, à Rouen, en Seine-​Maritime. Des consé­quences sani­taires et envi­ron­ne­men­tales tou­jours incon­nues, une enquête judi­ciaire qui n’avance pas, un an après, par­ti­cu­liers et asso­cia­tions sont plus que jamais mobi­li­sés. Ils réclament notam­ment un sui­vi sani­taire de la population.

Un an après, la colère des rive­rains de l’usine Lubrizol n’est pas retom­bée. « Nous dénon­çons le manque de prise en charge de la popu­la­tion, l’extrême négli­gence de nos ins­ti­tu­tions et de Lubrizol, ain­si que la mise en dan­ger de la vie d’autrui », explique Simon de Carvalho, copré­sident de l’Association des sinis­trés de Lubrizol. D’abord née sur Facebook, cette der­nière s’est créée dans la fou­lée de l’incendie face aux incom­pré­hen­sions et au manque d’information sur l’accident. « Notre col­lec­tif sou­haite faire la lumière sur cette catas­trophe sani­taire, sociale, éco­lo­gique, d’ampleur natio­nale, annonce-​t-​il. Nous acti­ve­rons tous les recours juri­diques pos­sibles à l’encontre de l’usine Lubrizol, deman­de­rons la répa­ra­tion de nos pré­ju­dices et la mise en place d’un plan de sui­vi sani­taire à long terme. »

L’accident est sur­ve­nu dans la nuit du 25 au 26 sep­tembre 2019 : 9 500 tonnes de pro­duits poten­tiel­le­ment dan­ge­reux ont brû­lé dans l’usine chi­mique Lubrizol, site Seveso seuil haut, et les entre­pôts de Normandie Logistique. Alors que l’incendie s’est déclen­ché vers 2 h 45 du matin, les rive­rains n’ont reçu aucune alerte et se sont réveillés sous un énorme nuage noir. Le manque d’informations, de trans­pa­rence et le dis­cours offi­ciel sur la faible toxi­ci­té des éma­na­tions ont, dès le départ, ali­men­té la méfiance des citoyens. Les auto­ri­tés défendent, elles, le bilan : zéro mort, zéro bles­sé et zéro destruction.

Analyse des sols confiée à… Lubrizol elle-même

Mais les rive­rains s’inquiètent des consé­quences sani­taires et envi­ron­ne­men­tales à long terme. « Nous n’avons tou­jours pas toutes les ana­lyses », confie Anne, membre de l’association Rouen Respire, consti­tuée après l’incendie par des par­ti­cu­liers. La réunion de créa­tion a eu lieu quelques jours seule­ment après l’incendie, avec des parents et des par­ti­cu­liers inquiets et scan­da­li­sés par la façon dont l’accident était géré. Anne fait par­tie des rive­rains qui ont vu l’énorme nuage au-​dessus de leur tête, et ont dû aller tra­vailler faute d’informations des auto­ri­tés. « Pour qua­li­fier les pro­blèmes médi­caux, l’État s’appuie sur les registres des urgences et de SOS Médecins, mais il n’y a eu aucune prise en compte des per­sonnes qui n’ont pas consul­té, pour­suit la rive­raine. J’ai eu des maux de tête, des gênes ocu­laires, mais je n’ai pas été voir de méde­cin. Certains rive­rains ont vou­lu faire ana­ly­ser leur sang, mais les méde­cins ont dit que ça ne ser­vait à rien, car per­sonne ne savait quoi cher­cher. Mais sans ces ana­lyses bio­lo­giques, c’est dif­fi­cile de prou­ver la mise en dan­ger d’autrui. »

L’inventaire des pro­duits chi­miques, com­mu­ni­qué une semaine après l’incendie par l’entreprise Lubrizol elle-​même, laisse les asso­cia­tions dubi­ta­tives. Le tableau, opaque, recense des codes plu­tôt que les noms com­mer­ciaux. « Il manque de nom­breuses sub­stances dans cette liste et les quan­ti­tés ne cor­res­pondent pas, insiste Simon de Carvalho. Tant que nous ne savons pas pré­ci­sé­ment ce qui a brû­lé, nous ne pou­vons anti­ci­per les mala­dies de demain. » Lors de dif­fé­rentes ana­lyses autour de l’usine, du ben­zo­py­rène, du plomb, du ben­zène ou encore de l’amiante ont été rele­vés. Des sub­stances qui peuvent être can­cé­ro­gènes, muta­gènes et toxiques pour la repro­duc­tion. Pour les auto­ri­tés, les taux rele­vés ne dépassent pas les seuils fixés. Mais ces ana­lyses de sols ont été confiées et réa­li­sées par l’entreprise Lubrizol elle-​même. « On a regar­dé atten­ti­ve­ment le rap­port d’interprétation de l’état des milieux, et il n’y a pas eu de recherche des sub­stances prin­ci­pales pré­sentes dans l’usine, dénonce Simon de Carvalho. Ils nous font croire que des tonnes de pro­duits chi­miques et toxiques ont brû­lé et que la pol­lu­tion à Rouen n’a pas chan­gé. » L’association cherche depuis à obte­nir des sub­ven­tions pour faire exper­ti­ser de manière indé­pen­dante les sols et prou­ver qu’il y a bien eu un avant et un après Lubrizol.

Un sui­vi sani­taire basé sur le res­sen­ti des habitants

Mais sur­tout, les asso­cia­tions demandent un réel sui­vi sani­taire des popu­la­tions expo­sées. La seule enquête sani­taire est menée par Santé publique France depuis le 1er sep­tembre 2020, et s’intéresse au res­sen­ti. Parmi les ques­tions : « Le 26 sep­tembre 2019, lors de l’incendie de l’usine Lubrizol, à Rouen, avez-​vous consta­té la péné­tra­tion de fumée à l’intérieur de votre domi­cile ? Avez-​vous res­sen­ti des lar­moie­ments, des brû­lures de la gorge, des sai­gne­ments du nez ? Selon vous, ces symp­tômes sont-​ils en lien avec l’incendie de Lubrizol ? » « Le pro­blème est qu’il n’y a pas d’étude sur l’effet cock­tail de tous ces pro­duits, ni des risques pour ceux qui en ont inha­lé ou tou­ché quand ils ont net­toyé leurs jar­dins ou ter­rasses », explique Gérald Le Corre, syn­di­ca­liste CGT et porte-​parole du Collectif uni­taire Lubrizol. Cet ins­pec­teur du tra­vail porte depuis des années le sujet de la san­té du tra­vail et a vu, avec l’accident de Lubrizol, se pro­duire ce qu’il essaie de pré­ve­nir depuis des années. « Mais le gou­ver­ne­ment ne met rien en place pour qu’on ait une étude sur ces sujets. Il n’y a pas eu d’analyses sani­taires au len­de­main du Lubrizol ni un an après, et la pol­lu­tion n’est plus for­cé­ment visible aujourd’hui. »

Lire aus­si : Lubrizol, un plan san­té à court terme

Jeudi 24 sep­tembre, pour faire le point sur les mesures prises depuis la catas­trophe de Lubrizol, les ministres de la Transition éco­lo­gique et de l’Intérieur ont tenu une confé­rence de presse à Rouen. Parmi les annonces, une aug­men­ta­tion des ins­pec­tions des ter­rains de 50% d’ici à la fin du quin­quen­nat, la mise en place d’un sys­tème d’alerte par SMS en cas de dan­ger pour la popu­la­tions ou encore la créa­tion d’un bureau d’enquête acci­dent dédié. « Les annonces du gou­ver­ne­ment ne concernent que des mesures post-​accidents, se désole Gérald Le Corre. Notre crainte est qu’il n’y ait aucun chan­ge­ment pour les indus­triels depuis l’accident. Toutes les uni­tés syn­di­cales de la chi­mie et du nucléaire de la région rap­portent des incen­dies, des explo­sions, des arrêts d’urgence… L’augmentation du nombre d’inspections ne règle­ra pas le pro­blème, car on est loin d’être au niveau et on ne peut pas tout voir. La ques­tion n’est pas s’il y aura un nou­vel acci­dent en Seine-​Maritime, mais quand il aura lieu. »

Depuis février 2020, l’entreprise Lubrizol est mise en exa­men pour déver­se­ment de sub­stances nui­sibles dans les eaux sou­ter­raines, super­fi­cielles ou de la mer et exploi­ta­tion non conforme d’une ins­tal­la­tion clas­sée, ayant por­té une atteinte grave à la san­té, la sécu­ri­té ou dégra­dé sub­stan­tiel­le­ment la faune, la flore, la qua­li­té de l’air, du sol ou de l’eau. Mais l’affaire judi­ciaire est com­plexe et pour­rait durer une dizaine d’années, à l’image de l’explosion d’AZF dont le pro­cès s’est conclu dix-​huit ans plus tard.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.