Capture d’écran 2021 12 21 à 08.46.19
© Jens Johnsson

Recyclage : l'avenir est-​il dans la récu­pé­ra­tion du CO2 ?

Alors que la concen­tra­tion du prin­ci­pal gaz à effet de serre dans l’atmosphère
ne cesse d’augmenter, aggra­vant encore le dérè­gle­ment cli­ma­tique, des entre­prises récu­pèrent ce « déchet » et le recyclent pour fabri­quer des maté­riaux de construc­tion, du car­bu­rant, de l’aspirine et même… des lunettes ! 

Gand, son châ­teau, sa cathé­drale, son bef­froi et son… trot­toir en CO₂. Dans le cadre d’un pro­jet de ville cir­cu­laire, la muni­ci­pa­li­té belge a eu recours à la valo­ri­sa­tion de ce gaz pour amé­na­ger une voie réser­vée aux pié­tons. Ainsi, les pavés ont été fabri­qués sans aucun gramme de béton, mais avec du CO₂ injec­té dans des déchets de la pro­duc­tion d’acier pour les faire dur­cir. Cette tech­no­lo­gie fait par­tie des solu­tions de cap­tage et de valo­ri­sa­tion du CO₂, qui consistent à recueillir du gaz en sor­tie de sites indus­triels, de métha­ni­seurs ou direc­te­ment dans l’air pour l’utiliser comme matière première. 

Chaque année, 230 mil­lions de tonnes de CO₂ sont déjà trans­for­mées dans le monde, soit l’équivalent de 0,5 % de nos émis­sions. Le dioxyde de car­bone faci­lite l’extraction de pétrole et de gaz. Il entre éga­le­ment dans la fabri­ca­tion des engrais, dans la com­po­si­tion de cer­tains pro­duits comme l’aspirine, les lunettes ou les bois­sons gazeuses, et per­met aus­si de conser­ver des ali­ments ou bien d’augmenter la crois­sance des cultures sous serre. Si une par­tie de ce gaz est récu­pé­rée direc­te­ment dans les fumées d’usines, une autre par­tie est extraite du sous-​sol, ce qui ne résout en rien le pro­blème des émis­sions de CO₂. Au contraire : cela les aggrave. 

Remplacer le car­bone fossile

Depuis une ving­taine d’années, la recherche s’intensifie pour uti­li­ser du CO₂ déjà pré­sent dans l’atmosphère ou émis dans les fumées indus­trielles à des fins béné­fiques pour l’environnement. « L’idée, c’est de fabri­quer des pro­duits cou­rants, des maté­riaux de construc­tion et des car­bu­rants non plus avec des res­sources fos­siles – donc déri­vées du pétrole, du gaz ou du char­bon –, mais avec du CO₂ et des éner­gies renou­ve­lables ou bas car­bone, résume Sylvain Nizou, qui codi­rige le pro­gramme Économie cir­cu­laire du car­bone au Commissariat à l’énergie ato­mique. Ces tech­no­lo­gies nous per­met­traient de main­te­nir nos indus­tries et nos ser­vices actuels en rem­pla­çant le car­bone d’origine fos­sile que nous uti­li­sons actuel­le­ment par le car­bone conte­nu dans le CO₂ dont nous dis­po­sons déjà ! » 

Théoriquement, le recy­clage du CO₂ offre d’immenses pos­si­bi­li­tés. Les « matériaux-​CO₂ » pour­raient rem­pla­cer ceux de construc­tion tra­di­tion­nels, et notam­ment évi­ter l’utilisation du ciment, res­pon­sable de 7 % des émis­sions mon­diales en 2018, selon l’Agence Internationale de l’Énergie. Dans ce sec­teur, le recours au CO₂ semble par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant, puisqu’il est non seule­ment sous­trait de l’atmosphère, mais aus­si pié­gé de façon per­ma­nente. Les « CO₂-​produits » pour­raient, quant à eux, se sub­sti­tuer à ceux issus de la pétro­chi­mie, comme les sol­vants, les plas­tiques ou les déter­gents. Enfin, le CO₂ peut être employé pour fabri­quer des car­bu­rants dont pour­raient se ser­vir les sec­teurs de l’aviation ou du com­merce mari­time qui, contrai­re­ment au sec­teur auto­mo­bile, n’auront pas la pos­si­bi­li­té d’être élec­tri­fiés. En jan­vier 2021, la com­pa­gnie aérienne KLM Royal Dutch Airlines a opé­ré un vol com­mer­cial d’Amsterdam à Madrid, le pre­mier au monde ali­men­té en par­tie par du kéro­sène pro­duit à par­tir de CO₂, d’eau et d’énergies renouvelables. 

En pra­tique, les dif­fé­rentes tech­no­lo­gies de valo­ri­sa­tion pré­sentent des degrés de matu­ra­tion très variables. « Beaucoup d’efforts de recherche et ­d’innovation res­tent à faire pour qu’elles soient plus sobres en éner­gie et plus com­pé­ti­tives en termes de coûts, explique Florence Delprat-​Jannaud, coor­di­na­trice CO₂ à l’IFP Énergies nou­velles, un orga­nisme public de recherche. Aujourd’hui, fabri­quer des car­bu­rants syn­thé­tiques coûte beau­coup plus cher que de les pro­duire à par­tir d’hydrocarbures extraits du sous-sol. » 

La valo­ri­sa­tion, un outil

Selon le think tank CO₂ Value Europe, 125 pro­jets de valo­ri­sa­tion seraient déve­lop­pés actuel­le­ment en Europe, et la moi­tié sont proches de la com­mer­cia­li­sa­tion. En France, Marc Robert, qui codi­rige une équipe au Laboratoire d’électrochimie molé­cu­laire, a cocréé la start-​up Carboneo. Son pro­cé­dé, qui s’appuie sur de l’électricité renou­ve­lable et des maté­riaux abon­dants et peu coû­teux, per­met de trans­for­mer le CO₂ en CO (monoxyde de car­bone), une molé­cule aux mul­tiples débou­chés. Il tente désor­mais de pas­ser à l’échelle indus­trielle, mais des acteurs de la chi­mie, de la sidé­rur­gie et de la phar­ma­cie s’intéressent déjà à sa « pile à CO₂ ». « Étant don­né les enjeux cli­ma­tiques, un cer­tain nombre de hauts diri­geants savent qu’ils devront adap­ter leurs modèles indus­triel et éco­no­mique », constate le chimiste. 

Si ces dif­fé­rentes tech­niques offrent une alter­na­tive au car­bone fos­sile – ce qui repré­sente déjà un énorme béné­fice envi­ron­ne­men­tal –, leur poten­tiel de réduc­tion des émis­sions de CO₂ reste dif­fi­cile à déter­mi­ner. De nom­breux « CO₂-​produits » entraî­ne­ront au cours de leur cycle de vie la réémis­sion du CO₂ qui les consti­tue – comme le car­bu­rant de l’avion de KLM. La solu­tion idéale ? Pouvoir les recap­tu­rer direc­te­ment dans l’air pour les réuti­li­ser, et ain­si créer une véri­table éco­no­mie cir­cu­laire du car­bone. Ces tech­no­lo­gies de direct air cap­ture existent – une quin­zaine d’usines sont implan­tées dans le monde–, mais elles sont encore très chères et extrê­me­ment éner­gi­vores, étant don­né la faible concen­tra­tion de ce gaz dans l’atmosphère. 

En somme, la valo­ri­sa­tion du CO₂ est un outil, cer­tai­ne­ment pas la pana­cée. « Ces tech­no­lo­gies peuvent nous don­ner un coup de pouce, mais elles doivent arri­ver en bout de chaîne, insiste Thomas Pellerin-​Carlin, direc­teur du centre éner­gie de l’Institut Jacques-​Delors. Tout est ques­tion de dosage. Si l’on en attend peu, elles peuvent nous être utiles. Si l’on en attend trop, ce sera contre-​productif. »

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.