Que recommander aux lycéen·nes et aux étudiant·es qui veulent consacrer leur carrière à la défense du vivant ? Causette a demandé à quelques spécialistes du monde de l’écologie les conseils qu’ils ou elles auraient voulu entendre à leur place, en 2022.
« Quelles sont les filières qui recrutent ? » Lamya Essemlali, de Sea Shepherd France, se rappelle avoir tiqué face à ce petit refrain quand elle s’est pointée au salon de l’étudiant de sa région, il y a vingt ans. « Ça m’a choquée. Ne vaudrait-il pas mieux se demander quel sens donner à nos années passées sur cette planète ? » Alors en filière littéraire dans un lycée « de banlieue », elle choisit un master en sciences de l’environnement. « Mon rêve, c’était d’être chargée de mission océan ou forêt. » Aujourd’hui, face à leur écran et à la liste de choix de Parcoursup, à remplir d’ici le 29 mars, et aux tergiversations des premières années d’études, on se demande combien d’étudiant·es font face au même tableau. Jeanne Burgart Goutal confirme. Philosophe spécialiste de l’écoféminisme et enseignante dans un lycée de Marseille, elle observe : « Les salons mettent les étudiants en état de stress. Et j’ai vu à quel point, nous, les profs, étions démunis sur l’orientation. L’an dernier, une élève a dit qu’elle avait envie d’élever des chèvres. Au conseil de classe, tout le monde a rigolé. J’ai trouvé cette réaction très conne. » Alors, à qui demander conseil ? Causette a décroché son bigophone pour interroger quelques profils-clés.
D’abord, les membres du collectif Pour un réveil écologique. En septembre 2018, cette asso publiait un manifeste de révolte au nom des étudiant·es, souvent obligé·es de se lancer dans des secteurs aux antipodes de leurs convictions écolos. Elle milite aujourd’hui pour que l’enseignement supérieur prenne en compte l’environnement. Avec brio. Depuis le 1er février, les écoles d’ingénieur·es sont chargées d’adapter leurs formations à un nouveau référentiel, pour « former des ingénieurs dans un monde en transition », inspiré des revendications de Pour un réveil écologique. Adam est étudiant à Polytechnique et membre du bureau. Il prend l’exemple des sciences. Il y a deux-trois ans, « ce qui était prévu par les écoles, côté prise en compte de l’environnement, était très soft, à part certaines formations dont c’est l’ADN, comme AgroParisTech ou Les Ponts », relate-t-il. Si on veut parler de formations novatrices en la matière, « ça commence souvent à la fac », selon le jeune homme. Leurs laboratoires sont un peu les premiers lanceurs d’alerte, note-t-il. « Beaucoup de domaines scientifiques à l’université sont en avance sur les réglementations juridiques. Le cadre intellectuel est plus progressiste. Or, c’est super important d’avoir des personnes dans la recherche qui modifient le référentiel dans lequel les études évoluent. » Parmi les suggestions de formations reviennent l’ESC Clermont et son master « Anthropocène » ou la fac de Toulouse, en écologie. Pour cibler les parcours novateurs, il faut bien analyser leurs intitulés et le contenu des cours, souligne Lamya Essemlali. « Pour moi, aujourd’hui, il faudrait que l’idée d’harmonie du vivant apparaisse, car, quand on parle seulement de “biodiversité”, on a tendance à s’en exclure, à se considérer comme supérieur aux autres espèces. Si l’on parle, dans les cours, de “stock” de “ressources”, en poissons par exemple, on continue à banaliser l’exploitation des animaux. » Les formations ambitieuses, d’après elle, remettront en cause l’anthropocentrisme et parleront d’écocide. La notion émerge d’ailleurs (timidement) dans les facs de droit ou de sociologie, où l’on peut étudier la « criminalité verte » (voir Causette #109).
Oublier les masters en “finance verte”
Pablo, étudiant en école de commerce et membre de Pour un réveil écologique, reconnaît le gros risque du greenwashing des formations dites « durables » ou « de transition ». « On peut t’enseigner, dans le même établissement, des modèles financiers permettant toujours plus de croissance, de mobilité, de court terme et, deux jours plus tard, t’expliquer que ça n’est pas compatible avec la durabilité. » Le trompe‑l’œil suprême : les masters en « finance verte ». Il suggère plutôt de viser les programmes sur « l’économie circulaire, la réinvention des usages et les modèles qui remettent en cause la propriété individuelle ». On en trouve du côté des sciences politiques, notamment sur les questions d’alimentation. En ingénierie, on peut se tourner vers la low-tech, la frugalité. Pour les cibler, il existe des ressources : le Grand Baromètre de la transition écologique, une enquête nationale sur le degré d’écologie des offres de formation, dispo sur le site de Pour un réveil écologique ; le site Les Pépites vertes, où l’on trouve des témoignages de jeunes displômé·es sur les parcours qui les ont mené·es à des jobs engagés pour le vivant. Sinon, « le classement des Échos Start, établi sur la prise en compte de l’environnement ». Ou encore les guides de l’asso Ingénieur·es engagé·es, et de la Fabrique écologique.
Mais, s’interroge Jeanne Burgart Goutal, s’orienter vers des « masters écologie », « n’est-ce pas une manière de faire semblant de changer en restant dans un moule intellectuel élitiste, déconnecté de la nature ? » Son principal conseil aux jeunes : « Réécouter la voix de l’enfant en soi, plutôt que le discours sur la réussite. J’ai l’impression que l’un des gros problèmes qui empêchent la transition écologique, c’est le fait que l’on associe l’idée de “belle carrière” à des métiers distants du vivant, voire destructeurs, comme le numérique ou l’intelligence artificielle. » La pression parentale, appuie Pablo, y est souvent pour beaucoup. Son premier conseil : « Embarquer sa famille avec soi. » En même temps que l’on s’engage dans l’écologie, « les former aussi ». En plongeant dans des Mooc (cours en ligne), complémentaires à la fac ou aux écoles, comme celui du collectif C3D ou le site de la Fresque du climat.
Autre conseil auquel tient tout particulièrement l’étudiant : « Ne pas tomber dans le piège de la cage dorée. » C’est-à-dire « ne pas se réfugier » dans des débouchés « faciles » et généralistes, « comme le conseil », en espérant changer de trajectoire plus tard. « On se retrouve dans un cadre avec peu de remise en question, où il est dur de faire marche arrière. » Et la volonté de faire bouger ces sphères de l’intérieur est bien souvent illusoire.
Travail manuel, sciences et terrain
« L’un des gros enjeux, reprend Jeanne Burgart Goutal, est la revalorisation des tâches manuelles, agricoles, de l’artisanat et des pratiques locales. » Opter pour les sciences permet tout de même de les comprendre et de mieux les décons–truire, soutient Lamya Essemlali, et ainsi de « débattre du fond des données ». Mais elle rejoint aussi la philosophe. « Ce qui change la donne », c’est l’action, en particulier « les rencontres ». En licence (« Avec l’accord des professeurs », précise-t-elle), elle a séché ses premiers partiels pour partir en mission « protection du sanctuaire baleinier » en Antarctique. C’est en allant de la sorte sur le terrain qu’elle a rencontré Paul Watson, grand nom de l’écologie américaine, fondateur de Sea Shepherd. Lamya Essemlali a, dans la foulée, fondé l’antenne française de l’association. Son job depuis quatorze ans : la diriger en tant que présidente.