Redonner des couleurs bleu, blanc, rouge aux fleurs coupées : c’est le pari que font de plus en plus d’horticultrices qui s’installent en France. Dans un secteur qui souffre de la mondialisation, Hélène Taquet, agricultrice et présidente de Pop Fleurs, a créé le collectif La Fleur française en 2017. Pour encourager la relocalisation de la production et redonner ses lettres de noblesse à l’horticulture.
Vous avez créé le collectif La Fleur française pour promouvoir le slow flower. De quoi s’agit-il ?
Hélène Taquet : Notre collectif regroupe plus de deux cents membres : des fleuristes qui utilisent plus de 50 % de fleurs françaises, des horticulteurs, des horticulteurs-fleuristes et des grossistes. L’idée de départ de l’association est de mettre en relation les consommateurs avec la fleur française, de les informer de ce qu’on trouve comme fleur de saison. Le slow flower est un mouvement né aux États-Unis, dont le but est de relocaliser la production horticole et de promouvoir la consommation locale et de saison des fleurs.
Dans un secteur agricole que l’on sait majoritairement masculin 1, quelle place occupent les horticultrices ?
H. T. : Il y a 485 horticulteurs en France. La fleur coupée est représentée par un important bassin de production dans le Var, où l’on compte environ 300 horticulteurs, parmi lesquels beaucoup d’hommes, car il y a de nombreuses exploitations historiques qui passent de génération en génération, traditionnellement reprises par les hommes. Les professionnels du Var sont très organisés depuis longtemps, c’est une filière qui tourne bien. Mais dans le reste de la France, la production de fleurs coupées est tombée en désuétude, c’est un marché à reconquérir. Notre collectif regroupe donc plutôt ces professionnels, qui veulent structurer la filière. Il s’agit beaucoup d’horticulteurs nouvellement installés, parmi lesquels on compte de nombreuses femmes. Au total, nous regroupons plus d’une centaine d’horticulteurs, dont environ 80 % de femmes ou de couples dans lesquels les femmes sont sur le devant de la scène.
Vous dites observer beaucoup d’installations féminines ces dernières années. Qui sont ces horticultrices et qu’est-ce qui les anime ?
H. T. : Ce sont des femmes qui viennent de tous horizons, mais elles ont souvent un profil créatif. Environ 70 % d’entre elles ont entre 25 et 35 ans et opèrent une reconversion professionnelle. On retrouve la même tendance en fleuristerie. Le métier a évolué ; auparavant, les horticulteurs étaient dans la monoproduction. Ces professionnelles ne voient pas le métier de la même manière, elles ont de plus petites exploitations. En devenant horticultrices, elles sont à la recherche du beau, veulent de l’indépendance, habiter en milieu rural, travailler la terre et en vivre.
De 8 000 horticulteurs en 1985, on en compte environ 485 aujourd’hui en France. Pourquoi cet effondrement ?
H. T. : Il y a plusieurs raisons. Le choc pétrolier a provoqué une envolée des prix de l’énergie à un moment où beaucoup produisaient avec des serres chauffées et éclairées. Les Pays-Bas, eux, profitaient d’une énergie quasi gratuite des pays nordiques et ont beaucoup investi dans la logistique, chose que nous avons peu faite. Ils ont inventé le bouquet rond avec moins de tiges et du feuillage pour proposer des bouquets avec de l’allure, pas chers et ils ont pris la main sur le marché. En France, il y a eu de moins en moins d’horticulteurs, qui peinaient à expédier aux fleuristes. Les professionnels du Var s’en sont sortis car ils se sont regroupés en coopérative, ce qui leur a permis de continuer à avoir des flux logistiques vers Rungis et la Hollande.
Finalement, ce sont des fleurs du bout du monde que l’on achète abondamment en France…
H. T. : 85 % des fleurs coupées vendues en France viennent de l’étranger. Des Pays-Bas, puis de l’Équateur, du Kenya et de la Colombie, les trois plus gros fournisseurs de l’Europe. Tout passe par la Hollande, via le premier marché aux fleurs d’Europe et quasiment du monde, à Aalsmeer. C’est une aberration écologique évidente ! Entre le moment où les fleurs sont cueillies et où elles sont vendues, il se passe quatre à sept jours. Elles sont expédiées sans eau et trempées dans un bain de fongicide pour ne pas pourrir. Ces fleurs durent moins longtemps et il ne nous arrive que les variétés résistantes. C’est ce qui fait la méconnaissance des consommateurs : cela fait quarante ans qu’ils sont bercés aux lys, gerberas et roses.
Mais j’ai l’impression que les lignes commencent à bouger. Et la nouvelle génération d’horticultrices est très impliquée et motivée par l’enjeu écologique.
Les néoruraux rencontrent souvent des difficultés à s’installer, en est-il de même pour les horticultrices ?
H. T. : Elles font face aux mêmes difficultés d’accès à la terre et elles se confrontent à un manque de formation. Les écoles apprennent à faire de la plante en pot mais pas forcément des fleurs coupées. Le collectif reçoit beaucoup de demandes à ce sujet. C’est pourquoi nous avons mis en place des lives avec des professionnels qui racontent leur parcours, leur activité. Nous avons aussi une plateforme interne pour diffuser les annonces d’emploi, les professionnelles du collectif reçoivent des stagiaires… On ne parle pas de l’horticulture pour les fleurs coupées, même dans les chambres des métiers ! J’aimerais que l’on réussisse à remettre la fleur au cœur de l’agriculture.
- En 2019, les trois quarts des agriculteurs exploitants sont des hommes (Insee).[↩]