Une étude suédoise publiée fin juillet met en relation consommation de produits les plus polluants et genre. Résultat : les femmes ont un bilan carbone de 16% plus faible que les hommes.
Voilà un chiffre qui va en froisser certains. À montant de dépense égale, les hommes ont une empreinte carbone de 16% supérieure à celle des femmes. C'est ce que révèle une étude parue le 19 juillet dans la revue Journal of industrial ecology et signée par trois chercheur·euses suédois·es travaillant pour l'entreprise d'étude d'impact environnemental Ecoloop.
Annika Carlsson Kanyama, Jonas Nässen et René Benders étaient parti·es pour travailler sur une étude cherchant à comprendre quels sont les leviers qui peuvent être utilisés pour réduire la production de gaz à effet de serre par les ménages. Leurs résultats ont montré qu'adopter des gestes pro-écologie en matière d'alimentation (privilégier les plats végétariens), de vacances (prendre le train plutôt que la voiture ou l'avion) et d'ameublement permettait de réduire de 40 % l'empreinte carbone d'un foyer. Puis, les scientifiques ont décidé d'analyser les données de leur panel sous le prisme du genre, en ne retenant que les personnes célibataires de leur base de données. Résultat, la consommation est tellement stéréotypée entre les catégories femmes et hommes que ces derniers explosent les compteurs, notamment parce qu'ils dépensent plus d'argent en essence, restauration carnée, alcool et tabac. Les femmes, de leur côté, ciblent leurs dépenses sur la décoration, la santé et l'habillement. Et bien que l'industrie textile et l'ameublement soient des postes de consommation particulièrement polluant, elles n'atteignent pas le niveau de pollution des hommes.
L'écologie fait mal à ma virilité
« L'écart d'émission de gaz à effet de serre entre les hommes et les femmes n'est pas tant due à la somme d'argent dépensé en terme de consommation qu'à la nature même de cette consommation », observent les chercheur·euses. Ces résultats n'étonnent nullement Sylvie Borau, responsable du laboratoire Social & Innovation Marketing à la Toulouse Business School (TBS). « De nombreuses études montrent que les hommes ont, par exemple, un régime alimentaire plus carné que les femmes, lesquelles ont une préoccupation plus grande pour le bien être animal et font plus attention à leur régime alimentaire, souligne-t-elle. D'autre part, du fait de la façon dont elles sont éduquées dans l'empathie et le care, les femmes ont tendance à avoir des actes de consommation plus pro-environnementaux que les hommes. En fait, la recherche montre que dans leur vie privée, les hommes ont en général du mal à se mettre à l'écologie (par exemple, ils trient moins leurs déchets) car ils rattachent cela au féminin. »
Des précédents travaux de recherche ont ainsi montré que les effets combinés d'une stratégie marketing ciblée pour les hommes et leur adhésion à une masculinité classique – se manifestant par exemple dans l'achat de grosses cylindrées ou dans la consommation de viande – faisait des hommes célibataires (mais virils) des champions de la course au réchauffement climatique. « En 1982, un livre publié aux Etats-Unis s'intitulait tout de même Real men don't eat quiche !, rappelle Sylvie Borau. On ne fait pas mieux en terme de création d'un inconscient collectif autour de la nourriture virile. »
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Sylvie Borau a elle-même co-dirigé une étude sociologique l'année dernière démontrant pourtant que cette idée que les hommes se font du masculin les pénalisent… en matière de séduction ! « Nos résultats ont montré que les femmes hétérosexuelles imaginent les hommes propriétaires de produits ménagers verts comme plus altruistes, comme des partenaires plus fidèles et des pères de famille plus engagés et impliqués. Ces hommes sont donc considérés comme plus désirables comme partenaires potentiels pour une relation à long terme. » Finalement, la sensibilité à l'écologie est, pour les femmes qui y sont elles-mêmes sensibles, un critère de sélection de leur partenaire. Lequel, une fois en couple, va renforcer ses aptitudes à préserver la planète via ce que Sylvie Borau appelle une « influence normative dans les couples ». En clair, les femmes hétéros vont renforcer l'éducation environnementale de leur compagnon, ce qui est d'ailleurs décrit, dans la lignée de la charge mentale comme la « charge environnementale ».
Face à cet état de fait, la chercheuse en appelle au marketing pour proposer de nouvelles masculinités positives et vertes. « Au même titre que nous avons vu aux Etats-Unis une campagne #RealMenWearAMask pour limiter la réticence de certains hommes à porter le masque en pleine crise sanitaire, il serait intéressant que des industriels osent cibler des hommes pour vendre des produits verts ou que des publicitaires lancent un #RealMenRecycle », sourit-elle. Déviriliser la consommation, donc, pour ne plus que les hommes se sentent menacés dans leur masculinité parce qu'ils achèteront une petite citadine électrique. A ce titre, on peut se questionner avec Sylvie Borau : les propriétaires des (grosses) voitures Tesla les ont-ils ou elles achetées parce qu'elles sont électriques ou parce qu'elles sont un signe extérieur de richesse ?
Enfin, il est essentiel de ne pas cantonner les femmes dans un rôle de sauveuses de la planète. « Je trouve un peu dangereux que dans certaines manifestations pour le climat, la terre soit associée au féminin sur des pancartes, par exemple avec la figure de Gaïa, indique-t-elle. De la même manière, je ne suis pas sûre que le développement récent du mouvement écoféministe permette de dégenrer la lutte pour le climat. »