blue and red airplane on sky
© Gary Lopater

Engagements envi­ron­ne­men­taux d’Air France : du retard au décollage ?

MISE À JOUR 04 /​08 /​20 /​/​ La for­mule « vol neutre en CO2 » sera sup­pri­mée du site Air France dans les pro­chains jours. Elle sera rem­pla­cée par « Air France com­pense les émis­sions de CO2 de ce vol. »

Fin avril, Air France obte­nait une enve­loppe de 7 mil­liards d’euros de l’État pour être sou­te­nue face à la crise éco­no­mique que la com­pa­gnie se pre­nait de plein fouet avec la sus­pen­sion des vols en rai­son de l’épidémie de Covid-​19. Trois mois après, où en sont les enga­ge­ments envi­ron­ne­men­taux d’Air France exi­gés en contrepartie ?

Greenwashing ou véri­table conscience éco­lo­gique ? Pour Air France, le tra­jet vers un ciel plus vert semble semé d’embûches. À l’heure où l’entreprise fran­çaise doit deve­nir « la com­pa­gnie aérienne la plus res­pec­tueuse de l’environnement » – condi­tion sine qua non édic­tée par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, en échange d’un prêt de 7 mil­liards d’euros pour sou­te­nir la com­pa­gnie face à la crise éco­no­mique –, sa com­mu­ni­ca­tion se heurte à l’avis des spé­cia­listes. Dernier exemple en date, la mise au point sur Twitter, le 27 juillet, de Valérie Masson-​Delmotte, membre du Giec (Groupe d'experts inter­gou­ver­ne­men­tal sur l'évolution du cli­mat) inter­pel­lée par la séman­tique déployée par le groupe.

En cause, la façon dont Air France uti­lise la loi cau­tion scien­ti­fique du Giec pour pro­mou­voir ses actions envi­ron­ne­men­tales. En effet, Air France explique sur son site – réfé­rence sup­pri­mée depuis – que « les experts du cli­mat, et notam­ment le Groupe d’experts inter­gou­ver­ne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (Giec), sou­tiennent le prin­cipe qu’une quan­ti­té émise de CO2 à un endroit peut être com­pen­sée par des pro­grammes en faveur de la cap­ta­tion car­bone. » Après avoir rap­pe­lé que « le Giec n’émet aucune recom­man­da­tion et ne sou­tient aucune des actions lis­tées par Air France », la paléo­cli­ma­to­logue s’est atta­quée à la notion de « vols neutres en CO2 ». Mais alors, un vol neutre en CO2, ça veut dire quoi ? Que l’avion n’a pas décol­lé ? Pour répondre à cette inter­ro­ga­tion, Air France ren­voie à son dos­sier de presse « Horizon 2030 », bien fice­lé, sur les sys­tèmes de com­pen­sa­tion car­bone. On y apprend que der­rière l’appellation « vol neutre en CO2 », qui a tout du mes­sage mar­ke­ting, se cache une méthode simple : la « com­pen­sa­tion volon­taire » : pour chaque tonne de CO2 nette émise par ses vols domes­tiques métro­po­li­tains, Air France s’engage « à acqué­rir un cré­dit car­bone cor­res­pon­dant à une tonne de CO2 cap­té ou évi­té grâce à ce finan­ce­ment en un autre lieu »

Comprenez par là que la com­pa­gnie sou­tient plu­sieurs pro­jets de refo­res­ta­tion ou de pré­ser­va­tion de l’environnement à tra­vers le monde (au Brésil, au Cambodge ou au Kenya par exemple) en échange de ses propres émis­sions. Sur son site, Air France se féli­cite d’afficher plus de 100 000 arbres plan­tés, mais une ques­tion taraude : com­bien d’arbres vaut un Paris-​Bordeaux ? « Il y a un déca­lage de voca­bu­laire dans la com­mu­ni­ca­tion, s’agace Valérie Masson-​Delmotte, contac­tée par Causette. Agir sur ses émis­sions de CO2 en les com­pen­sant autre part ne revient pas à les annu­ler. Cela trompe le consom­ma­teur en lui sug­gé­rant que son vol est nul en CO2, que tout va bien, alors qu’on sait que l’avion reste le moyen de trans­port le plus pol­luant. Il existe bien une com­pen­sa­tion car­bone, mais il est faux de par­ler de neu­tra­li­té carbone. »


Lire aus­si : Reforestation : solu­tions miracles ou coup de com ?

Pour la paléo­cli­ma­to­logue, cette men­tion encore visible à ce jour sur le site d’Air France « flirte avec le green­wa­shing ». Une pra­tique qui consiste à se don­ner, à tort, une image d’entreprise éco-​responsable. Jointe par Causette, Air France pré­cise « tra­vailler actuel­le­ment sur un pro­jet pour valo­ri­ser de la façon la plus pré­cise et trans­pa­rente pos­sible [ses] enga­ge­ments et accom­plis­se­ments en matière de déve­lop­pe­ment durable. » 

« Des vols inté­rieurs dras­ti­que­ment réduits et limi­tés sim­ple­ment aux trans­ferts vers un hub » 

Air France assure donc « com­pen­ser 100 % des émis­sions de CO2 » de ses vols en France métro­po­li­taine. Mais au fait, qu'en est-​il réel­le­ment de ces lignes inté­rieures ? Directement concer­nées par le deal pas­sé entre l’État et la com­pa­gnie, celles-​ci ne devaient « plus être un moyen de faire en 1 h ou 1 h 15 des trans­ports qui pour­raient se faire à moindre coût de CO2 par train en 2 h ou 2 h 30 », avait indi­qué le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, le 30 avril. « Ce doit être la règle et nous la ferons res­pec­ter, avait-​il pré­ve­nu. Dès lors qu’il y a une alter­na­tive fer­ro­viaire à des vols inté­rieurs avec une durée de moins de 2 h 30, ces vols inté­rieurs devront être dras­ti­que­ment réduits. »

Pourtant, le 22 juillet, Jean-​François Julliard, direc­teur géné­ral de Greenpeace, s’étonne sur Twitter de consta­ter qu’un Paris-​Bordeaux soit tou­jours dis­po­nible à la vente sur le site d’Air France. Et ce, mal­gré la sup­pres­sion des vols pour Bordeaux, Lyon et Nantes depuis Orly, par la com­pa­gnie, pour répondre aux exi­gences du gou­ver­ne­ment fin avril. 

Une mesure envi­ron­ne­men­tale qui ne fait d’ailleurs pas l’unanimité. Le 26 mai, face à Jean-​Jacques Bourdin sur BFM-​TV, François Ruffin, dépu­té La France insou­mise, avait expri­mé ses réserves sur les annonces du gou­ver­ne­ment. Estimant qu’une telle mesure est insuf­fi­sante, car « elle ne concerne que trois lignes sur toute la France ». « Si on veut nous faire croire que le grand chan­ge­ment éco­lo­gique demain c’est que trois lignes inté­rieures d’Air France vont être sup­pri­mées, c’est du bidon », avait tan­cé le dépu­té LFI de la Somme. 

Orly-​Nantes ; Orly-​Bordeaux ; Orly-​Lyon : seule­ment trois lignes concer­nées, en tout et pour tout. Pour com­prendre les enjeux, il faut se pen­cher sur les petites clauses du contrat pré­ci­sé par le loca­taire de Bercy. Les vols inté­rieurs seront doré­na­vant « limi­tés sim­ple­ment aux trans­ferts vers un hub ». Le hub, c’est l’aéroport élu par une com­pa­gnie aérienne pour « y concen­trer, puis dis­pat­cher en étoile et par vagues ses vols pour offrir un maxi­mum de com­bi­nai­sons de voyages pos­sibles et mieux rem­plir de plus gros avions », indiquent Les Échos. « Avec plus de 100 000 clients chaque jour, dont plus de la moi­tié en cor­res­pon­dance, dixit Air France, Charles-​de-​Gaulle est recon­nu comme le hub le plus puis­sant d’Europe. » 

De fait, les lignes sup­pri­mées à Orly sont tou­jours acces­sibles depuis l’aéroport pari­sien de Charles-​de-​Gaulle. Une façon pour le gou­ver­ne­ment de ne pas péna­li­ser les voya­geurs qui passent par la capi­tale pour prendre un autre vol et se rendre ain­si à l’étranger. La com­mu­ni­ca­tion d’Air France l'assure : « Conformément à ses enga­ge­ments envi­ron­ne­men­taux dans le cadre des prêts garan­tis par l’État Français, Air France sus­pend ses des­sertes au départ de Paris-​Orly. Les lignes de/​vers Paris-​Charles-​de-​Gaulle sont main­te­nues dans le cadre de l’alimentation du hub. » Toutefois, il est aujourd’hui bel et bien pos­sible de réser­ver un vol entre Paris et Bordeaux, Nantes ou Lyon… sans qu’aucune jus­ti­fi­ca­tion ne soit deman­dée aux voya­geurs sur la suite de leur voyage. 

Le ciel a hor­reur du vide 

Si le 26 mai, lors de l’assemblée géné­rale d’Air France, son PDG, Ben Smith, annon­çait la réduc­tion de « 40 % de sa capa­ci­té sur le réseau domes­tique d’ici à 2021 », pour répondre aux objec­tifs envi­ron­ne­men­taux fixés par le gou­ver­ne­ment fran­çais, cela ne signi­fie évi­dem­ment pas que nous n’apercevrons plus de traî­nées blanches dans le ciel. Car si Air France aban­donne cer­taines de ses lignes au départ d’Orly, la concur­rence pour­rait les reprendre. 

Jean-​Baptiste Djebari, secré­taire d’État aux Transports, apaise le débat au micro de France Inter le 12 mai en décla­rant « avoir des moyens très simples pour ne pas redis­tri­buer les cré­neaux à d’autres com­pa­gnies » – sans les détailler. Cette récu­pé­ra­tion des lignes pose ques­tion au sein même du groupe Air France dont la filiale low-​cost Transavia – qui béné­fi­cie éga­le­ment des aides de l’État – se ver­rait trans­fé­rer des lignes actuel­le­ment opé­rées par Air France au départ d’Orly. La com­mu­ni­ca­tion d’Air France se veut ras­su­rante sur ce point : « Ce pro­jet ne concerne pas les lignes Bordeaux, Lyon et Nantes. » 

Trois mois après l’aide finan­cière appor­tée par l’État, force est de consta­ter que pour Air France 7 mil­liards pour trois lignes sup­pri­mées depuis Orly a tout d’une belle opé­ra­tion. Pour autant, sur le plan envi­ron­ne­men­tal, « Air France n’est pas la pire com­pa­gnie aérienne du monde, elle observe même des pro­grès consi­dé­rables », convient Valérie Masson Delmotte. Quant à « l’audacieuse pro­messe d’avion vert » sur laquelle la recherche aérienne planche actuel­le­ment, elle demeure selon la paléo­cli­ma­to­logue « une ini­tia­tive louable mais uto­pique » : « l’aviation reste un sec­teur com­pli­qué pour l’environnement ». C’est peut-​être désa­gréable, mais pour les spé­cia­listes du cli­mat, le meilleur moyen de rendre l’avion éco­lo, c’est encore de ne pas le prendre.

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